
07 Juin 21 Bachelor – ‘Doomin’ Sun’
Album / Polyvinyl / 20.05.2021
Indie rock
À deux c’est mieux. C’est probablement avec cette idée en tête que Melina Duterte et Ellen Kempner, fers de lance d’une certaine bedroom pop moderne sous les noms de Jay Som et Palehound, ont monté leur nouveau supergroupe Bachelor. Enregistré dans l’atmosphère cozy d’un Airbnb loué pour l’occasion, leur Doomin’ Sun a donc été conçu en totale autarcie DIY, si on excepte la présence de James Krivchenia de Big Thief en renfort pour trois titres à la batterie. Cela faisait déjà longtemps que Melina et Ellen étaient fans l’une de l’autre. Quoi de plus logique que cette idylle artistique aujourd’hui ?
Au passage, il semblerait que le projet a également permis à ses deux protagonistes de se ressourcer. Arrangeuse hors pair au sein de Jay Som, que ce soit à la guitare ou aux claviers, on sait que Duterte a aussi tendance à laisser l’habillage en papier glacé prendre le pas sur le contenu dans une bonne partie de ses albums. Plus rêche et épurée, la subtile mélancolie de Kempner dans Palehound manque elle aussi parfois de relief sur toute la longueur d’un disque. Doomin’ Sun tombe encore dans certains de ces travers, mais de manière générale, les deux californiennes y provoquent assez d’étincelles pour faire naitre un véritable incendie dans les cœurs. Et le tout avec une classe et décontraction qui ne ressemble qu’à elles.
L’étincelle la plus dévastatrice est bien évidemment le single Stay In The Car, banger nineties sous influence Pixies / Breeders dont on saura se souvenir quand on énumérera les chansons rock de l’année 2021. Bachelor tient là une carte de visite parfaite, avec son emprunt au Canon en ré de Pachelbel, dont elles pervertissent harmoniquement l’alternance douce-amère d’accord majeurs et mineurs. Le rip off laisse ensuite la place à un refrain solaire, transcendé par une prod qui emmène les bends de guitare surf-rock à la Joey Santiago déchirer le ciel dans un écho infini. Un classique instantané comme on en entend rarement ces temps-ci.
Il serait toutefois dommage de ne pas aller explorer les autres recoins plus intimistes de l’album. Le duo ne laisse certes pas assez de temps pour développer les démarrages pourtant prometteurs de Sand Angel, Went Out Without You et Moon. Heureusement, les grooves indolents qui forment l’assise de Anything At All ou Spin Out sont eux de parfaits écrins pour exposer boucles discrètes et autres envolées soudaines à la six-cordes ou au Mellotron. Ces arrangements invitent à une rêverie adolescente qui trouve son point d’orgue dans le final Doomin’ Sun, où l’invitée Annie Truscott de Chastity Belt déroule des cordes grinçantes sur le fingerpicking limpide et mélancolique joué par Kempner. Le soleil explose au dessus de teenagers en pleine extase amoureuse, et la voix narre cette fin du monde comme si elle n’était qu’un conte pour enfant, dans un souffle, avant qu’un dernier accord plaqué au piano ne conclue l’affaire, parodiant celui qui termine A Day In The Life.
Doomin’ Sun est donc principalement un disque d’ambiances saphiques et confessionnelles, en décalage avec l’efficacité immédiate de Stay In The Car. Trois titres nous permettent cependant d’affirmer que Bachelor n’est pas qu’un simple one-hit-wonder. Autre tube indie-rock, Back Of My Hand convoque lui Liz Phair, influence idéale pour raconter l’histoire d’une fan de rock obsédée par son idole. Duterte et Kempner s’amuseraient-elles à caricaturer leur propre relation ici ? Une autre pièce maitresse est Sick Of Spiralling, joli road trip folk rock/classic rock sur la séparation, avec son petit gimmick seventies répété au clavier Fender Rhodes. Quant au mystérieux Aurora, où le synthé vintage des ballades de 10cc et des Korgis côtoie un piano élégiaque à la Grandaddy, c’est un pur joyau, avec là encore une magie d’alternance entre modes mineurs et majeurs. L’arbre nineties cache en fait chez Bachelor une forêt bien plus vaste de références et d’idées en tout genres. Queer et weird, partagées entre soif d’absolu romantique et besoin de cocooning, Melina Duterte et Ellen Kempner sont bel et bien des jeunes femmes d’aujourd’hui. Sensibles, paradoxales, parfois inégales, souvent inspirées… Libres.
A ECOUTER EN INTEGRALITE
Stay In The Car, Back Of My Hand, Sick Of Spiralling, Aurora, Doomin’ Sun
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