
25 Oct 24 Bacchantes – ‘Pas Un Bruit’
Album / Figures Libres / 11.10.2024
Indie rock trad
Si la vie était une rivière – ne parlons pas de long fleuve tranquille – la musique serait alors ses habitants, oiseaux sur la berge accompagnant les flots ou poissons naviguant dans ses eaux troubles, parfois à contre-courant. On pourrait aussi imaginer des sirènes, créatures peuplant cette rivière pleine de mystères et de magie. Comme ces Bacchantes.
Mais revenons d’abord aux oiseaux, puisqu’il en est question dès le deuxième morceau de ce nouvel album du quatuor féminin. Dans ce titre aux faux-airs d’un inventaire à la Prévert, le ton est donné : ce deuxième effort studio sera harmonie, poésie, détail et précision. Les onze compositions venant orner ce Pas un Bruit nous ravissent tellement que nous serions bien tenté.e.s d’appeler plutôt ce disque ‘pas un faux pas‘ tant tout sonne juste et nous irradie d’une beauté contagieuse. En traçant le chemin d’un rock polymorphe, aussi hybride que les instruments qu’il convoque, les prêtresses de Bacchus donne à cette fête musicale dionysiaque des airs de sabbat féministe, entre kermesse des voluptés et intentions vengeresses. Car s’il s’agit ici avant tout de célébrer les éléments, la nature et la liberté retrouvée, parfois dans la force et la violence, souvent dans la douceur.
Difficile de ne pas entendre l’influence des minimalistes, et plus particulièrement de Steve Reich ou de Meredith Monk sur un titre comme Ô Fontaine, avec son ostinato obsédant, ou encore Montagne, avec toujours ce côté math rock et ce grain de folie galvanisant. Les cris déchirants ponctuant Vertigo répondent eux à merveille à la polyphonie de ces voix qui s’immiscent en nous, nous bercent et nous transcendent. Ces nymphes aux chants élégiaques, telles des muses des temps modernes, nous rappellent ainsi le merveilleux disque d’Elizabeth Vogler qui nous avait ébloui en début d’année, ou encore les deux superbes albums des basques d’Orbel. Outre la qualité des prises et du mix, on notera celles des choix de composition et d’arrangements, qui déploient une réelle expertise mélodique, sans oublier le soin apporté à la diction et aux inflexions dans les méandres de chaque mot, de chaque vers, de chaque image. Avec ses textes mettant à contribution une dizaine d’auteur.ice.s contemporain.e.s ou plus ancien.ne.s, célèbres ou plus confidentiel.le.s, Pas un Bruit offre un écrin musical d’une rare beauté à la force des mots et à leurs pouvoirs, dans leurs sens comme dans leurs propres musicalités et rythmicités.
Et comme si cela ne suffisait pas, le formation a eu la brillante idée d’ajouter aux voix et aux guitares des percussions, des claviers, de la flûte traversière et irlandaise, un harmonium indien, un kalimba ou encore une auto-harp, faisant tendre l’ensemble vers une world music d’un nouveau genre, menant à la transe par le biais d’une grande richesse de timbres. Hautement psychédélique, injectant de l’électricité dans ses dimensions acoustiques, c’est à une séance d’hypnose que nous assistons au cours de ce lumineux voyage. Les expérimentations qui clôturent le disque avec le titre éponyme et surtout Je Retournerai, en jouant notamment sur l’espace et la répétition, nous donnent justement envie de revenir encore et encore à cet univers si envoûtant, inventif et inclassable. En se saisissant ainsi de la poésie et de la polyphonie comme d’une arme de résistance, Bacchantes nous livre un disque qui respire les forces de la nature et des éléments, empreint d’une grande sororité et d’une immense pluralité esthétique. Un grand cru, aussi enivrant qu’une bonne bouteille de vin débouchée à temps pour les bacchanales… Mais sans un bruit.
A ECOUTER EN PRIORITE
Vertigo, Caillasse, Cantique de la poussière, Montagne
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