29 Nov 24 Stuffed Foxes – ‘Standardized’
Album / Reverse Tapes – Figures Libres – Stolen Body / 06.12.2024
Psyché noise shoegaze
Les Stuffed Foxes ont beau avoir remis le couvert avec Thomas Poli, qui avait déjà produit leur diptyque Songs/Revolving et Songs/Motion Return en 2022, hors de question d’utiliser la même formule magique pour Standardized. On imagine aisément le guitariste de Montgomery, ayant aussi officié pour les productions de Laetitia Shériff, Ropoporose, Trunks ou Dominique A, s’interroger devant les nouvelles lubies des six musiciens tourangeaux : ‘Vous me prenez pour le Magicien d’Oz ou quoi ?‘. Les dernières potions prises pour la scène ces deux-trois dernières années ont ainsi clairement donné envie aux Stuffed Foxes d’aller voir ailleurs que dans le Kansas. Certains tempi ralentissaient par rapport à l’abattage initial du groupe, offrant plus d’espace (intersidéral) au foisonnement d’idées. Avec toutefois le même mordant général, qui fait tout le sel de leurs prestations hypnotiques.
Biting The Dawn. Mordre l’aube, en effet, au rythme ternaire d’un rituel shamanique célébrant la majestueuse ascension du disque solaire au-dessus de brumes persistantes, après une nuit d’hiver… C’est beau, c’est très beau, même si on se doute que la journée ne va pas forcément être de tout repos. Sans transition apparente – si ce n’est des mesures elles aussi ternaires, croulant cette fois-ci sous des assauts noise et math-rock – Stuffed Foxes nous souhaite au passage un joyeux Noël et une bonne année. Merry Xmas tombe certes à point nommé pour les fêtes, mais par rapport à l’ouverture de l’album, il est surtout un contre-pied-de-nez-crochu à faire pâlir la méchante sorcière de l’ouest. La schizophrénie guetterait-elle nos renards empaillés ? Diantre, ils décident même de se prendre pour des chiens sur le troisième titre, Pretend To Be A Dog (Gamelle). De doux entrelacs de six-cordes au son clair, accompagnés d’une mélodie vocale envoûtante, se retrouvent lacérés par de nouveaux coups de crocs bruitistes. Le poil est soyeux, mais les babines se retroussent encore, laissant apparaître de belles canines. A peine remis de ces émotions fortes, un étouffant essaim d’abeilles s’en prend à vos oreilles (Bees). Les mots ‘Prohibition‘, ‘Gilla Band‘ et ‘Swans‘ ont été gravés sur les ruches d’où elles ont pris leur envol, sans qu’aucun apiculteur n’ait donné son accord pour la chose.
Alerte ! Le prochain titre s’appelle Rough Up. Va-t-on se retrouver à nouveau violenté ? Pas du tout : guitare acoustique, ambiance bucolique – quasi-More ou Atom Heart Mother – delay electrifié, nappes faisant penser à un orgue, final post-rock où le saxophone de Paul Cadier se faufile discrètement dans les interstices, voix interrogative sous un ciel ocre où flottent des nuages de sables, envoyés par les lointaines tempêtes du Sahara… L’atmosphère est de plus en plus communale. Les membres de la secte ont même entendu parler d’un truc dans un livre, ça s’appelle l’amour (I Heard About Love In A Book). Et ça leur fournit l’inspiration pour une des plus belles ballades de l’année, tous styles confondus, avec en prime une magnifique prestation de Laetitia Shériff herself aux chœurs. Une fois ce moment de grâce accompli, Standardized repart à l’usine travailler sur son tapis mécanique, permettant de nourrir une communauté toujours plus avide de sonorités abrasives et inédites. Puis c’est le retour au feu de camp (Return), une guitare folk à la main et un dernier tour de chant en tête, avant que le disque solaire ne descende sur l’horizon au son d’accords saturés et transcendants, prenant leur envol vers les étoiles du couchant, et suintant de micro-larsens comme on suinte de lumière divine. Return ? L’éternel retour, pardi, celui de Nietzsche avant de s’accrocher aux cous des canassons. Si t’as compris, c’est que t’es aussi timbré que lui / eux.
Sans queue ni tête, une faune d’animaux tutélaires rôde dans les moindres recoins de Standardized : renards, chiens, rennes (de Noël), grues (mécaniques), cygnes (prêtés par Michael Gira), chevaux (volés à la philosophie allemande)… Un bestiaire unique, très figuratif ici, ailleurs totalement abstrait… Sans queue ni tête, c’est aussi de cette manière que le grand public a pu considérer le Velvet Underground ou encore les premières œuvres psychédéliques de Pink Floyd et d’Amon Düül II, à des années d’écart de celui plus bruyant et agité (du bocal) qui anime Stuffed Foxes au 21ème siècle. Humpty Dumpty, perché sur son mur, me rétorquera que les tourangeaux ne cherchent jamais consciemment à sonner ‘psychédélique’. Justement, crâne d’œuf, c’est là qu’ils visent dans le mille ! Aucun revival ici, juste un vent de liberté. Ce même souffle libertaire qui envoie balader tout formatage et toute étiquette comme autant de feuilles cramoisies un soir de décembre : ‘shoegaze’, ‘noise-rock’, ‘psyché’, ‘folk’, ‘industriel’, ‘expérimental’, ‘rock’…
Selon leurs dires dans la revue #5, les six Stuffed Foxes vivent tous ensemble dans une grande maison, pas très loin d’une gare. Il doit bien y avoir au moins un vieux con dans le voisinage pour les considérer comme de douteux hippies, et le crier à tue-tête aux voyageurs éberlués à chaque fois qu’un train passe. La vérité, c’est qu’il a raison de se méfier, le voisin… Ces hippies-là, ils vous font toujours de mauvaises blagues. Ils ne respectent rien, ils ont des bestioles pas nettes chez eux, et il paraît que certains ont le pouvoir de vous téléporter sur de nouvelles planètes avec leur boucan du diable. ‘Standardisés’, mon œil.
Photos : Flavie Herbreteau, Titouan Massé (homepage)
A ECOUTER EN PRIORITE
Biting The Dawn, Merry Xmas, Pretend To Be A Dog, I Heard About Love In A Book, Bees, Return
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