Oiseaux-Tempête – ‘What On Earth (Que Diable)’

Oiseaux-Tempête – ‘What On Earth (Que Diable)’

Album / Sub Rosa – Nahal / 28.10.2022
Brutalisme

What On Earth (Que Diable) est le nouveau projet dense et excitant de Oiseaux-Tempête. Pour en appréhender tout le foisonnement, peut-être convient-il de l’approcher par sa fin. En effet, avec un live de machines résonnant dans le parc d’attraction abandonné de Tripoli, au Liban, le collectif se place sous l’égide de son architecte, Oscar Niemeyer, et cette haute autorité confère à tout l’album le caractère d’un manifeste brutaliste autour des marqueurs de l’anthropocène, sa démesure, ses échecs, et son incapacité à les assumer.

Il y a dans la ruine de béton de Tripoli un résumé de toutes nos vicissitudes : tandis que les puissants écorchent la terre toujours plus profondément et tournent le regard vers Mars, le peu qu’ils font pour ceux qu’ils exploitent est laissé à l’abandon, et rouille au milieu des ronces. Avec le lyrisme sombre et poétique qu’on lui connaît, le groupe compose une symphonie dramatique, ambitieuse et envoûtante.

La Méditerranée des précédents opus ne suffisait plus à Oiseaux-Tempête. Pas assez vaste, pas assez mouvante probablement, pour Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul qui n’ont de cesse de multiplier les rencontres et les influences, depuis plus de dix ans. C’est sur quatre piliers que le groupe avance dorénavant, Jean-Michel Pirès à la batterie et Mondkopf aux machines faisant partie du noyau de base de ce nouvel album. Un tel niveau de qualité suffirait déjà à lui seul, et donnerait à plus d’un artiste l’envie de participer à l’aventure. 

Alors ces drôles d’oiseaux ont décidé de mettre la barre très haut, et la liste des invités donne le tournis : en plus de toujours faire confiance à l’inimitable voix de leur copain G.W. Sok, c’est au Canada qu’ils sont allés recruter les explorateurs les plus exigeants de la scène post-rock et expérimentale :  Ben Shemie (Suuns), Radwan Ghazi Moumneh (Jerusalem In My heart), et Jessica Moss (Thee Silver Mt Zion).

Ce nouvel opus est donc composé de dix compositions réparties en quatre grands mouvements. Même si les quatre premières, qui forment la première partie, restent assez proche de ce qu’on connait du groupe (riffs électriques, sombres, colère rentrée, explosivité marquant son héritage post-rock), on note d’entrée la présence d’une atmosphère électronique beaucoup plus épaisse, jouant systématiquement le contraste avec, sur le premier titre, la voix extrêmement modulée de Ben Shemie, puis la guitare éraillée de Partout Le Feu. Pris entre le marteau et l’enclume, le chaud et le froid, on s’accroche ensuite à Terminal Velocity, tout en suspensions cristallines, qui nous permet de reprendre notre souffle. Puis Voodoo Spinning, introduisant le buzuki de Radwan Ghazi Moumneh, relance par des distorsions angoissantes la montée dramatique vers le second acte, impérial : les vingt minutes de The Crying Eyes-I Forget.

Pour apprécier les déluges auxquels nous soumet depuis toujours Oiseaux-Tempête, il faut paradoxalement aimer le silence, et être capable de s’arrêter, tendre l’oreille, lâcher prise malgré la lancinante inquiétude où la musique nous tient, et accepter de se faire emporter finalement sur des rives inexplorées. C’est l’Odyssée, que renouvelle à chaque album le groupe, et c’est ce sentiment de latence et d’immensité qui traverse tout entier The Crying Eye-I Forget, d’abord sur des modulations entêtantes de drônes, sourdes, fascinantes, comme l’est ensuite la voix psalmodiée de RGM.

C’est dans la poésie fiévreuse de G.W. Swok, les arpèges du violon de Jessica Moss et un rythme rock retrouvé que se poursuit l’aventure. Toujours aussi impeccable, Oiseaux-Tempête montre alors sa capacité à renouveler sonorités et ambiances : c’est d’abord Waldgänger, un titre sans rythmique marquée par la prédominance des claves et des flûtes, puis Nu.e.s Sous La Comète, aux accents d’impro jazz piano-machines. Puis on finit par où on avait commencé, ce Dôme enregistré dans le parc que le visionnaire Niemeyer avait envisagé pour permettre aux plus démunis d’accéder aux aussi à la modernité. Mais contrairement aux projets les plus délirants de nos leaders, la guerre eut ici raison de la fragile utopie. C’est bien dans les ruines d’un monde meilleur que plus personne n’espère, que naît la colère poétique de What On Earth (Que Diable). Une fabuleuse chambre d’écho.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Partout Le Feu, Voodoo Spinning, The Crying Eye-I Forget, A Man Alone In A One Man Poem,Nu.e.s Sous la Comète


1 Comment
  • PolarisDeux
    Posted at 22:20h, 21 octobre Répondre

    Superbe album ! Un grand merci pour cette avant-première. Sept jours en avance ; quel cadeau !

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