Clavicule – ‘Full of Joy’

Clavicule – ‘Full of Joy’

Album / A Tant Rêver du Roi – Le Cèpe – Ideal Crash / 10.03.2023
Garage punk

À la sortie de son premier album Garage is Dead (2020), Clavicule impressionnait par la qualité de ses compositions et l’énergie furieuse avec laquelle celles-ci étaient interprétées. Combien de groupes pouvaient se targuer de présenter, dès ses premiers pas discographiques, des morceaux monumentaux comme CAB ou

Jericho ? La formation rennaise s’imposait alors comme un modèle du genre dont elle annonçait de façon provocante la disparition, mais l’on attendait du second album qu’il canalise une fougue encore juvénile.

Full of Joy : plein de joie, donc. Spinoza disait de ce sentiment qu’il est ce que l’on éprouve lorsque nous nous accroissons nous-mêmes : franchir une limite en se découvrant une nouvelle puissance, voilà ce qui nous ravi, physiquement et spirituellement. C’est un fait, cette collection de dix nouveaux titres métamorphose Clavicule vers une version plus riche et ample de lui-même, ce qu’indique déjà la pochette représentant un corps en apesanteur libérant une nuée de fleurs multicolores, symbole d’une désagrégation appelant peut-être une recomposition à un stade que l’on peut estimer être celui de la pleine maturité. Il suffit d’écouter le dernier single paru, Do It, pour comprendre ce que cela signifie : ça démarre comme un morceau de The Hives, mais on comprend très vite que les bretons se sont résolus ni à subir leurs influences, ni à s’enfermer dans l’approche garage des débuts pour aller voir du côté du Punk, voire du Post Punk. Concrètement, cela signifie que la rugosité des guitares a fait place à un son plus tranchant et plus clair qui, associé à une rythmique puissante et frénétique, n’a pas seulement gagné en efficacité, mais également en ampleur. Beaucoup de compositions de ce Full Of Joy voient grand, ce qui ne signifie pas uniquement que la production est plus musclée -ce qui arrive très souvent aux seconds albums – mais que, dans le jeu, Clavicule a trouvé un rythme qui, quoique très élevé, lui a permis de vraiment décoller et d’habiter en totale confiance les nouveaux espaces ainsi investis.

Il y a toujours une certaine ambition dans la construction des morceaux, mais également une plus grande cohérence, liée à ce que l’on sent être une conviction et un sérieux nouveau dans le propos. Wilted Flowers, probablement le sommet de l’album, illustre bien cette nouvelle stature du groupe : la mélodie aux influences orientales monte progressivement en intensité et en vitesse, soutenue avec une force nouvelle par une voix plus assurée, jusqu’à se propulser à une hauteur inédite où la puissance accumulée par le morceau se déploie dans toute son envergure, sûre d’elle-même. Il y a même quelque chose de mystique dans la manière d’emballer cette composition, impression renforcée par ces sons de guitare rappelant le violent clair obscur de la culture andalouse qui, des ténèbres les plus profondes de l’existence corporelle des hommes hisse l’âme, furieusement, vers une lumière toute spirituelle.

Donc, autant Garage Is Dead était ironiquement mal nommé puisqu’il se détournait complètement du constat énoncé, autant Full Of Joy est probablement à prendre au sens littéral : il est ici question, sincèrement, de la joie d’avoir exprimé une version plus intense de soi. Et pourtant, l’introduction pouvait être trompeuse. Total Hapiness, voilà ce qui était promis ; or, ce que l’on entend, c’est plutôt l’écho d’une certaine tristesse, de ce qui fait régresser et stagner : le contraire de la joie, donc. Mais sans doute s’agissait-il de se servir de ce faux départ pour énoncer l’intention véritable de l’album, à savoir continuer de vouloir trouver l’épanouissement alors même que tout fout le camp autour de soi. La suite semble confirmer cette interprétation puisque dès Painkillers, il est clair qu’il s’agit de prendre le monde à bras le corps et de trouver en soi l’énergie nécessaire pour ne pas se laisser vaincre par tout ce que l’on y trouve de négatif, et la guitare héroïque de la fin du morceau montre bien que cela n’est pas utopique. Après ce début programmatique, Full Of Joy impose son rythme infernal, surtout dans l’enchaînement imparable des trois extraits déjà publiés – sous la forme du single ou de la version live -, Do It, Wilted Flowers et un Rockets de folie, lancé à tombeaux ouverts vers un ailleurs incertain.

Que faire après une telle démonstration de force ? Ralentir le rythme en glissant des éléments plus pop dans les refrains, et You, sous des dehors plus conventionnels, convainc dans ce registre, ce qui montre bien l’intelligence de Clavicule lorsqu’il s’agit de varier sa formule afin d’éviter l’épuisement inutile de l’auditeur. INET (Move Slow), qui clôt ce flamboyant périple musical, donne l’impression de reprendre les hostilités avec son début fracassant et son dernier refrain clamé plutôt que chanté, mais rejoint pourtant les tonalités plus graves de l’introduction de l’album en se terminant par ces derniers mots, ‘something more’, répétés sur de fragiles et mélancoliques notes de guitare. Suspendu entre deux moments nous rappelant que le quotidien peut bien être triste et angoissant, Full Of Joy, en définitive, se dresse fièrement contre ce constat en projetant vers le chaos du monde son ode électrisante à tout ce qui nous fait croître.

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A ECOUTER EN PRIORITE

Do It, Wilted Flowers, Rockets


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