Daria – ‘Fall Not’

Daria – ‘Fall Not’

Album / Twenty Something / 06.12.2024
Power pop – Post hardcore

Notre entretien avec les Daria pour la revue #6 au printemps dernier n’avait pas seulement permis de revenir sur leur passionnant parcours depuis le début des années 2000. Ce fut aussi l’occasion de découvrir les sources d’inspiration de Fall Not, qui sort enfin ce mois-ci, et qui voit les frères Belin reprendre le fil exactement là où il l’avaient laissé en 2016 avec le magnifique Impossible Colours. Le groupe se bonifiant à chaque album, cette nouvelle collection de bangers ravira donc tout auditeur n’ayant jamais su choisir entre les mélodies soyeuses de la power pop et l’énergie contagieuse du post-hardcore. Enregistré par leurs propres soins, le tout avec leur batteur historique, Arnaud Ligonnière, Fall Not prouve déjà que Camille et Étienne Belin n’ont plus besoin de traverser l’Atlantique pour sortir un disque possédant un son à l’aune de leurs ambitions. Aujourd’hui rejoint par Pierre-Yves Sourice des Thugs à la basse, quelques temps après la fin de l’aventure LANE, Daria devient même, sans avoir cherché à le devenir, le symbole d’une certaine idée de l’indépendance rock à la française.

Certains morceaux de Fall Not datent de l’époque Impossible Colours, d’autres ont été composés plus récemment. Tous mettent la barre très haut, à commencer par le titre d’ouverture, Citrus Paradisi. Camille : ‘J’ai toujours une espèce de couleur générale en tête pour les morceaux. Pour celui-ci, c’était une couleur de fin d’été. La chanson parle de la mélancolie qui se dégage de cette période en particulier‘. De la mélancolie, certes, mais aussi beaucoup de fougue d’entrée de jeu, qui rappelle celle de jeunes gens profitant de la belle saison jusqu’à ses derniers jours. Et un sens de la mélodie qui priorise les harmonies en mode clair-obscur, que les refrains immenses de Keep My Head et The Coral Wounds mettent également à l’honneur. L’imagerie dégagée par ce dernier titre, qui a failli donner son nom à l’album tout entier, résume à lui seul la ‘patte’ Daria : en utilisant la métaphore des blessures ou égratignures dues au corail, réputées pour très mal cicatriser, les Angevins illustrent au passage la beauté tranchante de leurs chansons, là où souffrances et espoirs deviennent indissociables.

La posture écorchée vive des Daria sur ce disque a donc une inspiration adolescente, mais elle sait aussi s’exprimer de manière aboutie et adulte, avec une élégance naturelle. Cette profondeur se retrouve jusqu’au guitar bend ouvrant les premières secondes de l’énorme Cognac – simple mais menaçante série de demi-tons autour duquel orbite rapidement une ligne de basse toute aussi sombre, et sur laquelle finissent par s’agréger lumineux arrangements de guitare et hand claps à contre-temps. De ces contrastes surgit la lueur réfractée d’un trou noir, dans lequel se trouverait cette ‘monstrueuse vérité’ évoquée au détour d’un refrain parmi les plus émotionnels que le groupe ait jamais écrit. Camille : ‘Il y a parfois des choses que tu ressens sur des situations, que tu ne nommes pas précisément sur l’instant, et littéralement, des mois ou des années plus tard, tu finis par mettre des mots dessus. La question, c’est comment s’écouter dans ces moments initiaux ? Est-ce que l’on peut véritablement agir sur le sort, ou seulement le noyer dans l’alcool après coup ?‘. La noirceur des regrets transpire à chaque seconde du morceau, et le timbre chaud et habité de Camille transforme cette prise de conscience en une véritable libération.

La sincérité toujours enthousiaste des Daria déborde parfois du champ introspectif pour aborder de brûlants sujets de société, comme en témoigne Water And Sand, sorti il y a deux ans en réaction à une tragique actualité. Camille : ‘Novembre 2021, trente-six migrants se noient dans la Manche, dont la moitié de gosses. Ce titre est sur le cynisme des pouvoirs publics qui sont censés être responsables de la sécurité des personnes entre l’Angleterre et la France. On les a juste vu se renvoyer la balle, là où ils devraient plutôt aider tous ces gens‘. Un cynisme qui est également le sujet de Minor Majority, titre peut-être involontairement annonciateur du dernier cirque des législatives…

Que leurs chansons aient une portée politique ou soient plus classiquement introspectives, les quatre ont toujours quelque chose de vital à dire, de l’ample, lent et poignant The Invisible Wandering, où l’esprit semble flotter au-dessus d’une existence remplie de moments douloureux ou émouvants, à la rage de vivre des embardées punk-rock de A Smile, An Oasis – qui rappellera aux connaisseurs quelques souvenirs de la vieille scène pop-punk angevine. Un panorama d’émotions se décline ici, rendu encore plus viscéral par la grande cohésion stylistique du disque. Tout juste la conclusion Second To None se permettra d’expérimenter quelques textures ambiantes rendues possibles par la pédale Boss PS-3 (le titre de travail du morceau était ‘Brian Eno’ !), avant de revenir aux grands fondamentaux du groupe pour le refrain (influence de Chokebore, ou encore celle de Jawbox, groupe originel du compagnon de route J. Robbins, qui a mixé l’album). De quoi convertir de nouveaux aficionados aux joies du rock indépendant tel qu’il se déclinait il y a quinze ou vingt ans. On sait que les cycles et les revivals vont et viennent de plus en vite sur les champs de courses des musiques populaires. Science exacte du refrain qui tape, générosité mélodique, rage et sensibilité, goûts pour les riffs à la fois accrocheurs et racés… Tout un art de la composition rock, injustement sous-côté ces dernières années, s’exprime dans Fall Not. Parions que le galop de ce cheval-là continuera à emmener les Daria le plus loin possible.

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A ECOUTER EN PRIORITE

Citrus Paradisi, Keep My Head, The Coral Wounds, Cognac, A Smile An Oasis, The Invisible Wandering, Second To None


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