Bruit ≤ – ‘The Age of Ephemerality’

Bruit ≤ – ‘The Age of Ephemerality’

Album / Pelagic / 25.04.2025
Post rock

En 2021, à la sortie de The Machine Is Burning and Now Everyone Knows It Could Happen Again, ceux qui s’étaient déjà laissés impressionner par Monolith, le premier Ep de Bruit , assistaient sans grande surprise à l’éclosion d’un talent post-rock hors norme. Les autres qui, comme nous, ignoraient même l’existence des toulousains, ont pris une gifle monumentale dont ils ressentent encore quelques picotements sur la joue. Puissant par son pouvoir d’évocation, hallucinant de maîtrise technique, ce premier album plaçait d’entrée le quatuor sur un piédestal partagé avec les pontes du genre, parmi lesquels Godspeed You! Black Emperor avec qui le groupe entretient de nombreuses similitudes, jusque dans son indépendance vis à vis d’un music business qui, de toute façon, fait fi des projets instrumentaux hors format.

Si on en avait beaucoup entendu de Bruit ≤ au moment où on le qualifiait de ‘prophète du sublime apocalyptique’, on ignorait pourtant ce dont il était encore capable. Trois ans plus tard, après avoir accompagné M83 en tournée mondiale, Théophile Antolinos (guitares, tapes, soundscapes), Julien Aoufi (batterie), Luc Blanchot (violoncelle, synthétiseur, programmation) et le multi-instrumentiste Clément Libes sont partis s’isoler en altitude pour composer une suite qui ne fasse pas retomber le soufflet. Là, des Pyrénées, ils sont repartis avec cinq long titres qu’ils ont ensuite immortalisés dans divers endroits, du studio jusque dans une vieille église toulousaine.

Fidèle à ses racines comme à ses convictions, Bruit ≤, après avoir placé l’écologie au centre de son premier long format, signe avec The Age of Ephemeralityune réflexion philosophique, poétique et politique sur notre fascination insatiable pour la technologie‘, pourtant omniprésente également quand il s’agit de produire un tel album. Alors plutôt que de la pointer simplement du doigt, le groupe en joue : ici, volontairement, le passé se confronte au présent, synthés modulaires et guitares peuvent s’associer à un orgue vieux de 150 ans, les sons organiques et électriques se marient pour donner forme à une symphonie à son tour source d’incroyables émotions, produite grâce à ‘différentes méthodes de production et de composition issues de différentes époques technologiques‘.

Car Bruit ≤ a beau être instrumental, son approche vaut mille mots. ‘On souhaitait que le message soit présent à différents degrés de lecture, afin d’avoir une cohérence aussi bien sur le choix mélodique que sur le choix de l’instrument, ainsi que par rapport à la façon dont il est enregistré‘ précise Clément. C’est donc par le biais de parti pris artistiques forts que le groupe dénonce la fuite en avant qu’est la course au progrès, au détriment de la curiosité, de la diversité des opinions, du contrôle de l’homme sur la machine. Comme sauvés des eaux, spectateurs d’un monde à la dérive, les quatre toulousains s’en inspirent pour atteindre une nouvelle fois avec The Age of Ephemerality un pic vertigineux de créativité ou les ères technologiques s’entrelacent jusqu’à provoquer un flou artistique recherché en termes de production. Si elle n’a rien de trop cérébrale ou élitiste, la démarche a le mérite d’offrir une richesse musicale qui se laisse patiemment découvrir au fil des écoutes.

Et il y a de quoi faire ! Comme sur son prédécesseur, ce nouvel album voit Bruit ≤ pousser plus loin sa science du contraste. On passe ainsi, d’un bout à l’autre du spectre, de moments effrénés à d’autres plus minimalistes, de passages rapides à d’autres nettement plus lents. De quoi apprécier d’autant plus les nombreux changements de rythme et d’ambiances qui forment ces monstrueuses montagnes russes : l’entame Ephemeral voit son effusion aux airs de révélation mystique coincée entre une montée de cordes et quelques arpèges acoustiques apaisants ; Data fait se succéder expérimentations électroniques, passages ambiants et rock symphonique avant de s’éteindre sur quelques notes de piano directement issues de maquettes enregistrées par le groupe, passant parfaitement le relais à une guitare seule ouvrant un Progress/Regress tout en progression.

Et alors que le vertige se fait déjà ressentir, Bruit ≤ enfonce le clou en dernière ligne droite. D’abord avec Techno-Slavery/Vandalism, longue ascension intemporelle jusqu’à ce qu’un bruitisme expérimental maîtrisé laisse place à des chœurs sacrés. ‘Pour moi, c’est vraiment le moment qui symbolise cette notion de collectif, de faire des choses et de résonner tous ensemble dans un même espace‘ confie Clément. Avec The Intoxication of Power ensuite qui, grâce à son groove imparable, sa musicalité envoûtante et son intensité dévorante, met un point final à une oeuvre majuscule qui, non seulement confirme le statut bien mérité du groupe sur la scène internationale, mais laisse aussi présager à son tour de lendemains passionnants. ‘On a entendu beaucoup trop de disques de musique instrumentale un peu vides. Ils ont des idées et de belles mélodies, mais ils ne racontent pas grand-chose. Il n’y a rien de pire. Pour moi, si tu ne mets pas de texte et de voix sur tes morceaux, il faut fournir un effort encore plus gros pour que ton storytelling, paradoxalement, soit hyper prégnant conclut le musicien, en bon garant de l’avenir. On connaissait le bruit aux multiples couleurs, on peut désormais y ajouter le beau Bruit ≤.

Photo : Arnaud Payen

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A ECOUTER EN PRIORITE
Data, Techno-Slavery / Vandalism, The Intoxication of Power

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