Annabel Lee – ‘Drift’

Annabel Lee – ‘Drift’

Album / Howlin Banana – Humpty Dumpty / 24.03.2023
Power pop

Certains artistes, on le pressent à leur écoute, ne prétendent pas changer le monde. Certains artistes ne paraissent pas en lutte avec le quotidien ou avec un certain état de la société. Certains artistes chercheraient juste, par leurs pratiques, à se créer un cocon chaleureux, un havre de paix ou de repli, au sein duquel ils recueilleraient leurs souvenirs d’enfance, leurs films favoris, leurs disques de chevet et où ils formeraient avec leurs ami.e.s une véritable communauté de goûts. Ce refuge, comme tout refuge, ne signifierait pas une forme de résignation à l’égard de la situation du monde extérieur, ni même une espèce de fuite à l’égard de celui-ci, mais bel et bien cet espace où l’on peut se retrouver et gagner des forces afin d’affronter l’incertitude de l’existence. Certains artistes, pour l’auditeur, ressemblent à des couettes moelleuses dans lesquelles se lover après une journée difficile et où irradie à nouveau ce qui, en chacun, donne un sens à la vie.

Annabel Lee, on l’imaginait jusqu’à présent ainsi, ne semblait pas être en guerre, mais on ne le soupçonnait pas pour autant d’être indifférent au monde au point de ne plus avoir l’espoir d’y trouver de la beauté. Sur Drift, son troisième album, ce groupe légèrement décalé diffuse à nouveau avec une touchante simplicité les états d’âmes de celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans la sécheresse et la superficialité de tout ce qui les entoure – ce qui, d’ailleurs, peut s’imposer comme une définition a minima du romantisme. En écoutant la musique du trio belge, on pense à ces comédies dramatiques américaines indépendantes montrant des personnages qui peinent à se résigner à quitter l’enfance et l’adolescence, heurtés par l’hostilité du monde des adultes. Audrey Marot, la chanteuse, paraît plus déterminée que Frances Ha dans le film de Noah Braumbach, mais elle a malgré tout en commun avec celle-ci cette difficulté à se fondre dans les conventions sociales définissant la vie des personnes raisonnables. D’où cette tonalité douce-amère que l’on retrouve dans les compositions des Bruxellois, et qui charme à nouveau sur Drift.

Toutefois, si la forme musicale de ce dernier album renvoie toujours à la Power Pop ou à la Pop Garage déjà expérimentées sur le délicieusement efficace Let the Kid Go en 2020, on constate un durcissement du son : la rythmique, plus lourde, met davantage en avant la basse ; les guitares délaissent régulièrement la puissance des riffs pour produire des effets de stridence mélodique apportant plus de nuances à l’ensemble. On est donc plus proche des Pixies que de Weezer, et les accents mainstream qui affleuraient dans certains refrains disparaissent au profit d’une ambiance résolument Indie Rock teintée, parfois, d’une certaine gravité. Certes, le rythme ébouriffant de Dinosaur lance l’album sur les chapeaux de roue en affirmant joyeusement un certain optimisme, tandis que les très beaux et enlevés, Go Go Gadget et surtout By The Sea montrentle grand talent d’Annabel Lee à délivrer des perles pop qui lui permettent de cultiver sa mélancolie tout en l’empêchant, par leur légèreté et leur montée en puissance, de dériver en neurasthénie ; mais il faut compter également avec des moments plus introspectifs – comme sur Terrain Vague ou Comedy – où le vague à l’âme semble cohabiter avec une forme de pessimisme naissant. Et lorsque High Anxiety s’aventure franchement du côté du punk, avec une approche beaucoup plus frontale et explosive permettant à la voix d’exprimer une agressivité toute nouvelle, on devine que le moment de quitter le cocon dont nous parlions précédemment est peut-être proche. La belle ballade 247, à la tristesse délicate, semble prendre acte de ce nouveau départ, mais en manifestant paradoxalement, au cœur de son apparente fragilité, une résolution qui apaise et donne confiance.

Sur la pochette de Drift, un chat lancé à pleine vitesse semble négocier un tournant. Le félin qui se plaît si souvent à se prélasser dans des intérieurs douillets est également cet animal qui en un éclair, bondit à la rencontre du monde. Annabel Lee, tout en continuant d’entretenir son aspiration romantique au cœur du quotidien, semble s’être également résolu à s’élancer vers un territoire inconnu pour le marquer de sa patte.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Dinosaur, By The Sea, Go Go Gadget, High Anxiety, 247


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