Atsuko Chiba – ‘Water, It Feels Like It’s Growing’

Atsuko Chiba – ‘Water, It Feels Like It’s Growing’

Album / Mothland / 20.01.2023
Rock psyché expérimental

L’eau, la terre, l’air, le feu. Les quatre éléments ont toujours joué un rôle fondamental, plus ou moins ésotérique et référencé, dans la scène musicale indépendante. Alors quand les Montréalais d’Atsuko Chiba, à l’occasion de leur troisième effort, se transforment en alchimistes pour transformer le plomb (la relative lourdeur de leurs deux premiers disques, entre frustrante absence de direction et touchantes errances stylistiques) en or (les joyaux peuplant cet opus), nous aurions bien tort de ne pas tendre une oreille sur leur proposition. Et quelle proposition.

Car c’est bien là le genre de disque qui vous emporte dès ses premières secondes, avec un Sunbath (le feu et l’eau) baigné de lumière et d’argent. Tout y est : drone hypnotique avec fade in organique, batterie aux accents tribaux, sons de sitar en reverse façon retraite spirituelle sous influences psychédéliques et voix envoûtante tour à tour apaisante ou inquiétante. Les arpèges de guitare chorus se disputent à l’ascension des claviers, avant un balayage en règle des fréquences aigues par un arc mélodique dressé par un solo épique. So Much More déploie une palette où le chant, schizophrénique et frénétique, est roi. Un jeu de lumière et de miroirs où les arpèges se font lancinantes alarmes tandis que les doublures au Rhodes soulignent chaque modulation vocale pour nous plonger dans un monde parcellaire, à la fois stellaire et pourtant profondément terrien. Pour les plus mystiques, difficile de ne pas voir dans ces entrelacs sonores aux relents de math rock, de post-punk et de funk (!) une question d’énergie, de fusion, de symbiose entre ciel et terre. Cette fièvre électrique, parsemée de cuivres étincelants, sent sur sa deuxième partie les trottoirs mouillés imaginaires d’un Broadway décadent, comme une remontée de boulevard sous toxines. Dans Shook (I’m Often), qui porte prodigieusement bien son nom, le son se fait plus synthétique et aérien (l’air donc), avec ses nappes menaçantes, sa batterie anxiogène et sa voix cherchant à s’échapper de ce dédale de sons comme le vent chercherait à trouver son chemin entre les flammes (le feu) d’une terre (promis, on arrête bientôt) ravagée par un incendie – à peine – volontaire. Difficile de ne pas penser aux mondes de Radiohead dans ces instants de grâce et d’équilibre entre abstraction et force émotionnelle dévastatrice. Sous son habillage instrumental minimaliste, avec ce do obstiné au clavier, Seeds (la terre) pousse tel un arbre en terrain hostile (celui-là même dévasté par le grand incendie précédemment évoqué ?) pour donner des branchages aux feuilles verdoyantes et irradiées. Malgré le chant trop lisse, les arpèges synthétiques et hypnotiques, portées par la basse, érigent le tout en élégie post-rock, avec un final orchestral aux frontières de la musique spectrale. ‘I’m loosing control‘ répètent-ils, mais le groupe est-il encore réellement capable de lâcher prise sur sa propre musique ? Pas si sûr, tant l’édifice semble imparable, parfaitement rôdé et tend vers un point précis, à l’opposé de ses précédentes productions. Link serait justement peut-être ce lien manquant, entre plusieurs conceptions, plusieurs époques, plusieurs identités. Avec sa basse délicieusement 70’s, comme chez les premiers Black Sabbath ou Deep Purple, la parenthèse vire gentiment au kitch mais affirme sa volonté de transcender toutes les attentes, toutes les limites esthétiques. A l’image du morceau-titre, Water, It’s Feels Like It’s Growing (l’eau, et cette fois promis c’était le dernier) qui achève cette collection de six morceaux de la plus puissante, ténébreuse et envoûtante des façons.

Dans ces dédales de voix, de guitares, de claviers, de basse, de percussions, de cuivres et de cordes se révèle alors, caché, un véritable génie mélodique, où l’économie est reine et se niche derrière la profusion, servie par des arrangements classieux d’une étonnante maturité. Car il se passe tant de choses dans l’espace d’un morceau chez Astuko Chiba, nous renvoyant en permanence d’un état à un autre, comme un pogo méditatif, passant en permanence du calme à la violence. On ressort donc de ce disque forcément secoué et avec l’envie, lors d’une prochaine écoute, de monter encore davantage le volume pour en saisir toute la force et les contours. Un véritable raz-de-marée en somme.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
So Much More, Shook (I’m Often), Water, It Feels Like It’s Growing


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