Arlo Parks – ‘My Soft Machine’

Arlo Parks – ‘My Soft Machine’

Album / Transgressive / 26.05.2023
Pop indé

Difficile d’ignorer le fait que la pop indé, et plus spécifiquement son sous-genre le plus intimiste, la bedroom pop, a connu ces quelques dernières années une explosion sans précédent. À la faveur des confinements successifs, d’une démocratisation de l’autoproduction et, sans doute, d’une lassitude face à un monde s’étouffant dans la surenchère de contenu, pas mal d’artistes émergents se replient dans un cocon fait de contemplation du quotidien et de sentiments subtils, d’observation du macrocosme humain à travers son microcosme le plus infime et, a priori, banal. À tout juste 20 ans, la Britannique Arlo Parks apporte sa pierre à ce délicat édifice en 2021 avec son premier album, Collapsed in Sunbeams, petite merveille pop minimaliste qui place instantanément l’artiste dans la catégorie des songwriters à suivre et lui vaut un prestigieux Mercury Prize. La finesse et la maturité d’écriture d’Arlo est indéniable, parvenant à atteindre ce fragile équilibre entre pure poésie et redoutable efficacité parolière, comme a pu le faire en son temps une Joni Mitchell.

Deux ans plus tard, My Soft Machine confirme cette trajectoire sans la renouveler pour autant. La vulnérabilité qui caractérise l’univers de l’artiste est toujours là, à fleur de peau, dans la texture même de sa voix, jamais poussée et jamais poussive, et dans l’aspect confessionnel des récits qu’elle partage : amitiés ambigües, amours avortées ou complexes, traumatismes, mais aussi solidarité face au deuil, acceptation de soi et exaltation de la beauté de l’autre, de l’être aimé, du partage, des petits détails insignifiants mais pas tellement. Arlo Parks est égale à elle-même, enfilant des perles de poésie comme si de rien n’était, peignant le portrait d’une jeunesse hypersensible et déjà nostalgique, d’adultes en devenir dans un monde sans doute trop indifférent et détaché des préoccupations qui submergent sa génération.

Côté production, l’artiste s’entoure ici de noms prestigieux, entre autres son collaborateur de longue date, Paul Epworth (Adele, Florence + The Machine…), mais aussi Buddy Ross (qui a contribué à l’incroyable Blonde de Frank Ocean) et son ami Romil Hemnani du collectif BROCKHAMPTON, qui signe deux des meilleures pistes de l’album, Impurities et Devotion. C’est propre, c’est pop, entrelacé de sonorités funk, trip-hop, folk et rock indé, mais on aurait aimé davantage de prise de risques, une sortie de la zone de confort de la part de musiciens aussi aguerris.    

Car si la première partie de l’album est plutôt solide (nous y reviendrons), on reprochera peut-être à la suite de s’essouffler quelque peu, de s’enliser dans le territoire de la balade introspective sans offrir l’électrochoc nécessaire à un regain d’intérêt dans la dernière ligne droite. Pegasus, avec son featuring de Phoebe Bridgers peu inspiré, inaugure cette deuxième partie, où seuls le très trip-hop Puppy et, dans une moindre mesure, I’m Sorry, parviennent à tirer leur épingle du jeu, en grande partie grâce à leur production immaculée signée Buddy Ross et Ariel Rechtshaid.

Mais, malgré tout, on pardonnera ces quelques errances, tant la première partie de My Soft Machine s’avère assez irrésistible. Quelque part entre Warpaint et le renouveau soul/R’n’B/pop un peu candide mais touchant d’honnêteté de son compatriote Raleigh Ritchie, les titres Impurities, Blades, Puppy, ou encore le vaporeux Purple Phase compensent leur simplicité structurelle et leur production peu foisonnante par la sincérité de leur approche, par leur manque d’affectation. Tout y est clair, direct, sans fioritures, et c’est au fond cette authenticité qui sauve ce disque d’Arlo Parks et le rendra si attachant au fil des écoutes. S’il y a une surprise à retenir de cet album, ce sera Devotion, hommage presque naïf au grunge des années 90, avec ses guitares saturées inattendues et ses références à Kim Deal et à Deftones. On se laissera aussi volontiers porter par le premier single de l’album, Weightless, réminiscence lointaine d’une Dido époque White Flag.

Finalement, si l’inventivité musicale n’est pas ce qui nous fait revenir vers Arlo Parks, alors ce sera peut-être davantage ce que suggère le titre de l’album : chez elle, tout passe par cette Soft Machine, cette ‘machine molle’ qu’est le corps, avec ses sentiments subtils et intenses, ses ecchymoses, toute sa tendresse ses failles, que l’artiste explore par petites touches légères, lumineuses et sans emphase. Simple et fragile comme une bulle de savon irisée, comme la caresse d’un rayon de soleil, comme les draps bleus d’une amante, l’arôme du thé à la rose sur ses lèvres ou ce regard à peine échangé mais qui en dit pourtant long, au fond…

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Impurities, Devotion, Blades, Purple Phase, Weightless, Puppy


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