
08 Nov 23 Animal Collective – ‘Isn’t It Now?’
Album / Domino / 29.09.2023
Néo-psychédélique
‘L’image qui me vient à l’esprit quand je pense à ce disque et à pourquoi on devait se trouver dans la même pièce pour le faire, est celle de nous quatre courant bras dessus bras dessous à travers un champ. L’élan de chacun sera toujours un peu différent de celui de son voisin, pareil pour nos instincts respectifs. Mais on doit rester reliés, et pouvoir compter les uns sur les autres. Ces silences et ces changements d’accords, tu ne peux pas les accomplir si tu n’es pas connecté de cette façon’. Cette métaphore de Brian Weitz (alias Geologist), émise lors d’un entretien à lire prochainement sur Mowno, est une parfaite illustration de la singularité d’Isn’t It Now?, album qui restera parmi les plus attachants de la discographie d’Animal Collective, et qui méritait beaucoup plus que l’accueil globalement poli mais quelque peu décontenancé que la presse musicale lui a adressé lors de sa sortie en septembre dernier. En retrouvant l’émulation de sessions live enregistrées avec des méthodes analogiques par le producteur Russell Elevado (The Roots, Kamasi Washington), le groupe américain offre ici un correctif salvateur à la rigidité et l’empressement dont souffraient globalement ses derniers albums officiels – d’abord les plus lointains Centipede Hz et Painting With, mais aussi le tout récent Time Skiffs, assemblé en mode ‘distanciel’ par ses membres en raison de la pandémie du COVID.
Parce qu’il ralentit souvent le tempo, qu’il prend son temps et savoure chaque seconde comme si c’était la dernière, Isn’t It Now? est un de ces disques capables de vous faire voyager dans une dimension parallèle. Certains déroulés sont imprévisibles, comme souvent chez les auteurs de Feels et Strawberry Jam. Genie’s Open démarre sur une progression d’accords tournant sur eux-mêmes comme des escaliers dans une toile d’Escher. Dave Portner (alias Avey Tare) et Noah Lennox (alias Panda Bear) s’y extasient à propos d’une ‘mer de lumière’ au cours d’harmonies sublimes, puis sans prévenir, enchaînent sur un road trip oscillant entre motorik et classic rock. Quant à Magicians Of Baltimore, il alterne coups de semonce glaçants à la batterie et accents bluesy, avant d’aboutir sur une séquence empruntant autant à la soul music qu’aux bizarreries à la Kevin Ayers.
Le plus beau voyage reste toutefois Defeat. Au cours de cette odyssée méditative de vingt minutes, une voix douce-amère commence par nous guider à travers un interminable tunnel de sonorités en suspension, noyées de reverb. Near-death experience. Au bout de ce tunnel, la nostalgie d’un paradis enjoué à la Beach Boys, très sixties, très Pet Sounds. Puis c’est le retour aux longues et inexorables notes du début, s’étirant comme autant d’ombres sous le crépuscule. ‘Isn’t it now?’ ‘Defeat?’ ‘Oh no, not now!’ s’écrient Dave et Noah lors d’un échange final aussi désespéré que bouleversant. Passé, présent et futur sont ainsi rassemblés au sein d’une seule expérience immanente – comme si, au mitan de votre existence, vous pouviez contempler toute votre vie d’un seul regard, des joies de l’enfance à la mélancolie de la vieillesse. Grand, grand moment de bravoure de la discographie d’un groupe qui en compte pourtant beaucoup. Le reste de l’album ne s’en remettra qu’à moitié, d’ailleurs, aussi enjôleur et catchy que soit le titre suivant, Gem And I.
Car l’architecture sonore aérée d’Isn’t It Now? ne soutient pas uniquement des compositions à tiroirs. Elle est aussi la clé qui ouvre en grand les espaces tout aussi chatoyants mais moins tarabiscotés de chansons plus directes : le ‘dub-wop’ de Gem And I, donc, avec son refrain digne des plus grands titres de Merriweather Post Pavilion ; le titre d’ouverture Soul Capturer, ses guitares vibrantes et son ambiance communale, presque shamanique ; ou encore la ballade élégiaque Stride Rite menée par Josh Dibb (alias Deakin), dont le piano et la voix cherchent à tutoyer le Brian Eno de Another Green World. Même Broke Zodiac et All The Clubs Are Broken, plus anecdotiques, possèdent leurs lots de mélodies simples et élégantes.
En bout de course, le très expérimental King’s Walk offre un dernier aperçu des talents d’Animal Collective pour les harmonies vocales qui ont fait sa renommée, grâce à ses lentes mélopées répétitives interprétées a cappella ou presque. C’est un choix un peu étrange pour conclure le disque, ascétique, anti-spectaculaire – même si la performance en tant que telle peut s’avérer fascinante. Mais aussi bizarre qu’elle soit, cette conclusion fait sens par rapport à l’effet général qu’Isn’t It Now? est capable d’opérer sur l’auditeur : celui d’un disque où instants de folie encore juvéniles se mêlent avec une posture plus sage, plus patiente. Toute une vie d’un seul regard. Si on s’en donne les moyens, vieillir n’est ni un naufrage ni une défaite, c’est un atout.
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