Amyl And The Sniffers – ‘Cartoon Darkness’

Amyl And The Sniffers – ‘Cartoon Darkness’

Album / Rough Trade / 25.10.2024
Punk rock

Amyl And The Sniffers, c’est un peu ce groupe de potes, ni trop éloigné ni trop proche, qui nous tanne de temps à autre pour une virée nocturne. Des acolytes que l’on voit rarement, mais dont la compagnie fugitive parvient à détruire toutes nos barrières. Les jours suivants, on paye ces heures d’abandon d’une sale gueule de bois. Les souvenirs comme des spectres flous et un mal tenace au crâne, on se pose la question : leur vision du monde, à ces amis de passage déglingués, elle ressemble à quoi au juste ? Pour réponse, les Australiens nous livrent Cartoon Darkness, un troisième album plus nuancé où la ballade mélancolique et le groove léché côtoient l’odeur de bière et le bikini fluo. Enregistré par Nick Launey (Nick Cave & The Bad Seeds, IDLES) aux 606 Studios de Los Angeles, le disque se présente comme un voyage foutraque aux côtés du quatuor. On oscille entre l’immensité des tournées mondiales et l’intimité des rues de Melbourne. Amy Taylor déploie sa verve incandescente face aux envieux qui lui reprochent son succès, nous crache à la face ses combats pour l’émancipation de la femme, la survie du rêve et le retour de l’amusement, qui nous ferait du bien à tous.

Alors musicalement, quelle forme prend ce nouvel album ? Arrivé plus de trois ans après le succès de Comfort To Me, il porte en lui l’attente d’une audience mondiale croissante pendue aux lèvres de l’impétueuse chanteuse. Ici, les aussies font le choix de la diversification. Plutôt que de rester dans le sillon tracé par leur son et de se contenter d’un punk rentre dedans, ils s’aventurent dans des contrées étrangères. La couleur des singles présageait d’une volonté d’enrichir leur proposition, pour pallier au sentiment de répétition qui pouvait poindre de leurs précédents projets. La basse de Gus Rommer prend une place croissante et dote certains titres d’un groove inédit chez les Sniffers. Du riff d’intro au solo relevé par le saxo, U Should Not Be Doing That propose une richesse musicale plus ambitieuse, portée par une exigence de composition renouvelée. Un clin d’œil aux Saints et au balbutiement de la scène punk australienne. Les pérégrinations ne font que commencer, et la ballade rock Big Dreams offre une douce mélodie tout en montée, que libère un solo dépouillé. Une simplicité qui ne manque pas d’énergie et colle bien avec la facette douce que l’on sentait sourdre sous la façade trash d’Amy.

Les plus énervés peuvent cependant être rassurés, le disque s’ouvre sur le raz-de-marée Jerkin’ qui nous accueille par la ligne ‘You’re a dumb cunt, you’re an asshole‘, puis libère un flot d’injures sur un riff dont les notes se comptent sur les doigts d’une main. Les mélodies rageuses ne s’arrêtent pas là, et de nombreux titres ne dépayseront pas les inconditionnels de la première heure. Lors des passages les plus rentre dedans, la guitare de Dec Martens nous rappelle avec quelle facilité il enchaîne les riffs entêtants (Doing In Me Head, Do it Do it, Tiny Bikini) et les soli, du saturé (It’s Mine) aux flirts avec le hard rock (Motorbike Song). Ces strates mélodiques ont l’avantage d’offrir une tribune plus large à la voix d’Amy, élément clé lorsqu’on sait à quel point le son du groupe repose sur ses intonations caractéristiques. Le pari semble réussi tant l’australienne passe avec habileté de la mélancolie de Bailing On Me au punk candide de Tiny Bikini. Son amour pour le rap crée même une nouvelle fois des incursions efficaces sur Chewing Gum et le déjanté Me And The Girls. C’est dans ce flot de titres rageurs que figurent les quelques longueurs de l’album qui, parmi ses 13 titres, comporte des compositions dispensables, sans coups d’éclats instrumentaux ni vocaux (Pigs, Going Somewhere).

Une vision du monde à hurler, scander et chanter qu’Amy Taylor ne pouvait plus retenir en elle : la genèse de l’album tient là. Cette volonté louable de traiter énormément de sujets peut expliquer la sensation de décousu que l’on ressent sur la globalité de Cartoon Darkness. Avec la notoriété grimpante et une horde d’auditeurs transcendés, on perçoit la confiance et l’audace gagnées à coups de sets enflammés sur les planches de plusieurs continents. Elle expose son dégoût du consumérisme et des Big Tech (It’s Mine), sa fierté d’agir en défiant les normes (U Should Not Be Doing That) et la force que l’on peut tirer du collectif et de la sororité (Me And The Girls). Ces thèmes, dans la bouche d’autres, pourraient sonner au mieux clichés, au pire moralisateurs, or la spontanéité et la crudité des textes donnent une cohérence et un impact indéniable au phrasé de la terreur blonde.

Cartoon Darkness sonne riche, désordonné et complexe, comme le quotidien du quatuor. Un entrelac de fosses explosives, de folie intense, de remises en question et de déconnexion face aux réalités du monde. Pour affronter ce futur bien sombre, la meilleure arme des aussies reste leur joie de vivre et leur amour du lâcher prise. Patti Smith nous rappelait que la rage était constituante de l’être humain, qu’il fallait utiliser cette énergie active pour créer des possibles et inventer sa propre liberté. Amy Taylor personnifie cette idée à sa manière. Le futur, elle le défie d’un regard intense, le sourire carnassier et le microshort fluo bien remonté, prête à affronter n’importe quel badaud qui lui lancerait un regard de travers. Et, perso, je ne m’y frotterais pas.

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A ECOUTER EN PRIORITE
Chewing Gum, Big Dreams, Motorbike Song, Me And The Girls

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