![](https://www.mowno.com/wp-content/uploads/2018/04/CROSSES-goodnight-god-bless-i-love-u-delete.jpg)
21 Oct 23 ††† (CROSSES) – Goodnight, God Bless, I Love U, Delete.
Album / Warner / 13.10.2023
Dark wave
Presque une décennie après la sortie de son premier album éponyme, ††† (Crosses) – discret projet chapeauté par Chino Moreno (Deftones) et son ami de toujours Shaun Lopez (officiant à la guitare dans Far) – revient avec un second opus que les amateurs de new wave, synth rock, emo et autres joyeusetés attendaient indubitablement au tournant. Car il va de soi, en écoutant l’ensemble de la production du groupe, que ses deux membres ont un amour profond et non feint pour leurs prédécesseurs dans ces genres qui ont forgé leur propre sensibilité musicale et, à n’en point douter, émotionnelle.
Comme pour leur précédent album et leur très bon EP Permanent.Radiant, cette filiation et cet amour se ressentent ici sans ambigüité. C’est d’ailleurs cette sincérité qui sauve Crosses du kitsch ou du pastiche, malgré sa propension à flirter avec. Certes, ce disque ne s’illustrera pas comme le plus original de l’année, loin de là : il y a, en effet, toujours un peu de ‘déchet’ dans les sorties de Crosses. On pense aux génériques Runner ou Grace, et peut-être même à Big Youth que même un featuring du légendaire El-P (Run the Jewels) peine à rendre palpitant. Certains autres morceaux sont efficaces mais attendus, car typiquement Crosses. Pas surprenant qu’ils aient été choisis comme singles : c’est le cas d’Invisible Hand qui ressemble diablement au magistral Vivien (tube incontesté de leur précédent EP), ou de Light as a Feather et son refrain à la mélodie étrangement Lana Del Reyesque.
Il y a pourtant quelque chose d’irrésistible à se laisser porter, à se laisser submerger malgré tout. Car dans son domaine, lorsqu’il est au pic de sa forme, Crosses est vraiment bon. On retiendra Pleasure qui ouvre parfaitement l’album avec un retour à des racines pop-indus à la Nine Inch Nails (l’un des morceaux de l’album, le malheureusement trop court Eraser, partage son nom avec l’un des titres du mythique The Downward Spiral…) qui se retrouvent dans Ghost Ride évoquant par moments un Skinny Puppy passé au filtre Depeche Mode, une des influences évidentes du duo. On appréciera aussi l’excellent Pulseplagg qui laisse libre cours aux sonorités électroniques d’ailleurs préférées sur l’ensemble de l’album aux guitares, certes présentes en fond et habituellement plus saillantes. Found et Natural Selection, avec ses lignes de voix que ne renierait pas un Jonathan Davis époque Follow the Leader, se distinguent également. Mais le point d’orgue sera néanmoins Girls Float † Boys Cry, hommage total et assumé à la dark/synth wave qui a bâti les fondations de Crosses et sur lequel, pour enfoncer le clou, les comparses s’offrent la coquetterie (qui, pour la peine, n’en est pas une) d’un featuring de Robert Smith – rien que ça – pour un morceau ‘plus The Cure, tu meurs’.
Dans l’ensemble, Goodnight, God Bless, I Love U, Delete. est un album généreux et soigné qui, bien qu’il suive une recette à peu près similaire à celle de ses prédécesseurs, fonctionnera très bien pour quiconque est déjà acquis à la cause ou aime titiller une corde sensible mise à nue par des années d’écoute des émotifs prédécesseurs susnommés. La production est impeccable, léchée, minimaliste mais pas trop. Et puis comment faire l’impasse sur la voix incomparable de Chino Moreno, reconnaissable entre mille et sans laquelle ce projet ne serait sans doute pas ce qu’il est. C’est sa puissance fragile – qu’il laisse aller, brute, avec Deftones, mais qu’il contient davantage ici, toujours sensuelle et sans artifice – qui donne sa cohérence implacable à l’ensemble. Finalement, peu importe ce qu’il raconte : Crosses est un groupe éminemment esthétique dont le grand talent, comme d’autres avant eux, est de savoir sculpter une atmosphère sombre et pop à la fois, dans laquelle on acceptera – ou pas – de perdre pied.
No Comments