
24 Juin 19 Festival Yeah 2019 – 7 ans et toutes ses dents
Il y a quelques semaines, Mowno vous proposait une sélection de festivals d’été faisant la part belle à ceux dits ‘de taille humaine’ qui, chacun à leur manière, luttent pour perdurer en toute indépendance dans un paysage musical où l’ogre Live Nation ne cesse de dévorer toute la musique live du monde. Petit par la taille mais grand dans l’âme, le YEAH fait indéniablement partie de ces rassemblements qui, sans relâche, nous éblouissent chaque année par la qualité de leur organisation, l’audace de leurs choix artistiques, leur accueil bienveillant et l’ambiance familiale qui les caractérise depuis leurs débuts. L’événement fondé par Nicolas Galina, Arthur Durigon et Laurent Garnier ayant tout du rendez-vous annuel simple et parfait, nous avons donc décidé de prendre la route de Lourmarin, dans le Luberon, pour vivre pleinement – et de l’intérieur – la septième édition du festival. Pour en mesurer toute l’ampleur, nous sommes partis à la rencontre de tous ceux qui font vivre le YEAH : artistes, bénévoles, organisateurs, festivaliers, habitants du village… Bienvenue dans le journal de bord du YEAH 2019.
On ne va pas se mentir : avec ses allures de carte postale du sud de la France, le village de Lourmarin nous a conquis dès les premières secondes où nous y avons mis les pieds. Petites ruelles pavées, devantures à l’ancienne pour les commerces, champs de coquelicots et d’oliviers en bordure de route… Il ne nous faudra pas plus de quelques minutes pour comprendre ce qu’est en réalité l’atout majeur du festival : son lieu. Situé à environ 45 minutes au nord d’Aix en Provence, Lourmarin est un village facilement accessible, magnifique et apaisant à souhait. On déambule dans les rues avec, au loin, le château – classé monument historique depuis 1973 – où se dérouleront chaque soir les festivités.
Ici, tout se fait à pied ! Vous pouvez quasiment oublier votre voiture durant la totalité du séjour, le camping des Hautes Prairies se trouvant à seulement 15 minutes de marche du village, lui-même à 5 minutes du château. Un confort de distances fort appréciable pour les festivaliers qui commencent doucement mais sûrement à peupler les environs. Egalement dans le coin, les Flamingods (photo ci-dessous) viennent de finir leurs balances.
Nous leur proposons d’aller faire une petite ballade dans le village, et nous en profitons pour rendre visite aux commerçants, tous souriants et ravis d’accueillir une fois de plus l’événement. Certes l’aspect touristique déjà propre à Lourmarin attire du monde, mais nous sentons rapidement que le YEAH apporte avec lui une ambiance et des sourires bien particuliers. En témoigne d’ailleurs le magnifique accueil que nous réserve l’atelier de poterie Buisson-Kessler qui nous propose même d’improviser une session live dans sa boutique. Les Flamingods étant peu coutumiers de l’exercice 100% acoustique, nous déclinons l’offre, non sans regrets. Partie remise ! Nous arrivons ensuite sur la bien-nommée place des bars où le premier concert du weekend vient de débuter. Là, le duo local Jean Paul est bien décidé à chauffer l’ambiance à coups de rythmes dansants et de synthétiseurs. Nous y abandonnons les Flamingods, captivés par le spectacle et l’ambiance qui s’offrent à eux (photo ci-dessous), pour retourner au château retrouver la bande du Bryan’s Magic Tears.
Il est 15h passé et l’organisation affiche déjà beaucoup de retard. ‘Ce n’est rien‘ nous lance Virginie, l’attachée de presse du festival, ‘c’est toujours comme ça le premier jour, mais vous verrez que tout sera prêt dans les temps‘ nous confie-t-elle d’un clin d’œil assuré. Pendant ce temps, les gars du Bryan’s Magic Tears (photo ci-dessous) poursuivent leur soundcheck sur une version monstrueuse du titre Son of a Witch, extrait de leur premier album. Attentif et comme subjugué par ce qu’il entend, Laurent Garnier n’est pas loin. ‘Le son est énorme, ça va être dément‘ nous lance le pape de la techno, aussi impatient que nous à l’idée de retrouver le groupe sur scène le soir même. Les balances finies et quelques poignées de main plus tard, nous embarquons le groupe pour une session photo dans la cours du château, et lui proposons d’aller rendre visite à une de leurs connaissances bruxelloises : Elzo Durt, patron du label Teenage Menopause, mais aussi l’artiste à qui l’on doit notamment la pochette du premier album de La Femme ainsi que de nombreux artworks pour le label Born Bad. Le monsieur expose dans la galerie Albert Camus durant tout le festival. Retrouvailles au sommet donc pour cette bande de zinzins à la réputation dite borderline, voire incontrôlable.
‘A l’époque, nous avions un groupe avec Benjamin qui s’appelait Dame Blanche, et nous allions souvent jouer en Belgique. C’est là que nous avons rencontré Elzo. On le faisait régulièrement chier pour rester faire la fête chez lui‘ nous explique Laurianne, la bassiste. ‘Ils sont restés trois jours ! J’ai cru qu’ils ne partiraient jamais ! A la fin, j’en pouvais plus, mais heureusement j’avais des voisins sympas‘ nous lance le belge. On quitte la bande rassemblée autour d’une table, sourires en coin et verres de Ricard à la main, avec la malicieuse intuition que ce breuvage typique du sud devrait lui servir de potion magique pour la suite des festivités.
C’est là que nous croisons Mermonte qui, à son tour, profite des derniers instants de calme avant son concert pour découvrir le village et ses environs. Quand on demande aux rennais leurs impressions sur Lourmarin et le YEAH, leur réponse est sans équivoque : ‘C’est la première fois que nous venons ici, et l’endroit est simplement incroyable. On se croirait dans un petit village d’Italie et, pour les bretons que nous sommes, c’est très dépaysant. Quant à l’accueil du YEAH, il est juste au top, sans doute le meilleur qu’on ait eu dans l’histoire de Mermonte. On sent que c’est une grande famille et qu’ils prennent du plaisir à bien nous recevoir. On espère leur rendre la pareille en faisant le meilleur concert possible‘.
18h30, c’est l’ouverture des portes et la billetterie bat déjà son plein pour la première soirée au château (photo ci-dessous). Ici, contrairement à toutes les activités et autres concerts proposés gratuitement en journée dans le village, le bracelet est indispensable pour pénétrer dans le lieu, et quel lieu ! Avec sa jauge à taille humaine, le château est un emplacement incroyable pour pouvoir contempler la globalité du village. Assister à des concerts dans pareil endroit devient une forme de privilège quand on réalise que le YEAH affiche complet chaque année, seulement quelques minutes après la mise en vente des billets.
Nous croisons alors Clémence, l’une des responsables en charge des bénévoles du YEAH. ‘Tout le monde semble prêt et à son poste, je suis contente. On a eu quelques désistements de dernière minute mais, pour le moment, tout se passe pour le mieux. Maintenant, on va veiller à ce que personne ne se blesse et qu’on puisse tous profiter du festival à fond malgré le boulot‘ confie-t-elle, souriante et heureuse de démarrer cette nouvelle édition.
Les bénévoles font en grande partie le cœur du YEAH. Que ce soit aux bars, au stand de merchandising, à l’entrée du château, ou dans le village, ils sont un nombre important de petites mains motivées et d’âmes chaleureuses qui ne demandent qu’à rendre service. Avec leur t-shirt à l’effigie du festival, vous ne pouvez pas les louper. C’est ainsi que nous rencontrons Basile (photo ci-dessous), coqueluche et bénévole au YEAH depuis son plus jeune âge, en pleine période de baccalauréat et qui fête ce jour là ses 18 ans. ‘Là tu vois, je vais bosser jusqu’à 2h du mat, et à 8h demain matin je serai d’humeur joviale en cours de physique‘ nous balance-t-il. Et quand on lui demande ce que c’est pour lui d’être bénévole ici, et s’il arrive à profiter des concerts, il nous répond : ‘Franchement, c’est une bonne expérience chaque année, et c’est aussi beaucoup de rencontres. Le but c’est vraiment d’offrir le meilleur festival possible aux gens, qu’ils viennent et qu’ils passent un super moment. Même pour les Lourmarinois, et notamment les plus jeunes, c’est cool qu’il y ait un évènement culturel de ce type ici. Pour les souvenirs, personnellement je garderai toujours en mémoire le passage d’Arnaud Rebotini l’an dernier au Tennis Club, ou de Chassol trois ans plus tôt sur la grande scène, c’était des moments fous.‘
Après que Mermonte ait éblouit nos oreilles avec son post-rock et sa pop flamboyante, place au Bryan’s Magic Tears dont le concert restera l’un des événements marquants de ce premier soir. Puissant, mélancolique, émouvant, jamais nous n’aurions pensé être autant touchés par la bande de lascars avec laquelle nous partagions quelques instants dans l’après midi. Grâce à un Paul des grands soirs à la batterie, et malgré quelques soucis techniques pour Laurianne à la basse, le groupe nous a offert – le temps d’un set – une vraie leçon et un moment de pure jouissance. C’était beau.
Suivaient ensuite les Flamingods qui n’ont pas manqué de faire danser la foule en faisant honneur à leur dernier album Levitation taillé pour les festivals et les dancefloors. Puis Nova Materia enchaînait avec son rock électronique, indéniablement parfait pour clôturer cette première journée. Avant de rentrer nous tombons sur un couple de festivaliers accompagnés de leur petite fille, portrait craché de la gamine malicieuse dans Little Miss Sunshine, et dont le sourire jusqu’aux oreilles en dit long sur sa soirée. ‘On est de Grenoble et c’est son premier festival‘ nous confient ses parents. Nul doute qu’elle n’a pas choisi le pire des rendez-vous musicaux.
Le lendemain midi, retour au village où nous apercevons au loin les membres du Bryan’s Magic Tears en quête d’un restaurant. Pour nous, direction le château pour y rencontrer Leonie Pernet (photo ci-contre). Ses balances tout juste terminées, nous l’entraînons à l’étage, jusqu’à un magnifique piano à queue. La jeune chanteuse y livre une magnifique session acoustique, un moment en apesanteur que les quelques visiteurs du jour ont le plaisir de vivre en toute intimité. On lui demande alors ses premières impressions sur Lourmarin et le château : ‘On ne va pas se mentir, c’est une splendeur. On arrive d’un Paris assez pluvieux et triste, et là l’ambiance est complètement détendue, tout est trop beau. Je suis toujours frappée par la diversité des paysages de ce petit territoire. Faudrait vraiment être aigri pour ne pas le remarquer ou en avoir une mauvaise impression. Et puis, au delà du village et de la région, le lieu du festival a l’air top. Je vais pouvoir moi aussi voir des concerts, ça change des festivals usines où tout le monde joue en même temps, où tu restes enfermé dans des loges en plastique de WC‘.
Une fois ce constat partagé avec la chanteuse, cap sur le boulodrome où le tournoi de pétanque annuel bat son plein. Le tableau est quasi surréaliste : Moustic, l’ancien animateur du Groland ici paré de ses plus beaux tissus, allume la piste à coups de mashups improbables, de mimiques clownesques et de perles chinées aux quatre coins du monde (photo ci-dessous). L’équipe des Pétrolettes fait pétarader ses mobylettes sur le terrain de basket attenant. Les triplettes s’affrontent dans la rigolade et sous les yeux d’un public à l’aise. Assis plus loin à l’ombre, des anciens du village font un peu la moue. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que leur terrain de jeu devient un dancefloor géant.
Le tournoi existe depuis maintenant 6 ans, mais il a pris une autre dimension avec l’arrivée en 2015 de Guillaume et Stan, organisateurs de la Boule Cup à Paris et Marseille. Tous les ans, les inscriptions en ligne s’amassent aussi vite que le festival vend ses pass 3 jours. ‘Ça marche bien, c’est rodé, on a 32 équipes dont une bonne dizaine qui reviennent chaque année. Mais l’improvisation fait aussi partie de l’ADN du truc. Cette année par exemple, on a eu 8 annulations de triplettes. On a du former 8 équipes sur le tard en mélangeant des festivaliers, des cantonniers de Lourmarin, des gars du coin. D’ailleurs, ce sont eux qui gagnent tout aujourd’hui‘. La triplette des Gaziers vient en effet d’annoncer sa victoire 13-9 contre la Boule au Pot en demi-finale. Guillaume reporte sur le tableau du tournoi. On est dans les temps pour revivre une finale de folie, comme l’an dernier : ‘une fin en apothéose, Moustic sur le terrain, c’était vraiment le feu. Mais si ça traîne, on doit couper le son, donc on essaie de tenir le délai‘. Et puisqu’on parle de cette finale, on va taper la discute avec la triplette Yeah Baby Yeah, habituée des tournois des Bouches du Rhône ‘où personne ne nous regarde‘. Damien, Nico et Titi n’ont pas oublié leur victoire l’an dernier : ‘Une remontada dans une ambiance de malade. C’était pas évident : jouer devant tout ce monde, avec la musique, on croirait pas mais ça change la concentration. On joue la gagne, il y a la pression, et être ridicule avec ou sans public, c’est pas la même chose. Mais c’était génial‘.
A 18h09, Moustic est encore plein d’ambition quand il lance au micro : ‘A partir de maintenant, c’est du grand n’importe quoi !‘. Hélas, si l’annonce est immédiatement suivie d’effet, les matchs ont pris du retard, les concerts vont commencer au château, et il faudra couper la sono du boulodrome avant la finale. Nul doute qu’il y aura du monde pour regarder, mais la folie sera retombée. Et ce sera sans les Yeah Baby Yeah, sèchement sortis en quarts de finale par Les Vieux Fourneaux, des régionaux de l’étape qu’ils avaient pourtant battus l’an dernier. ‘Ils ont annoncé la belle pour l’année prochaine !‘ nous lance Damien avant d’aller partager le verre de l’amitié avec les vainqueurs. Déçu Nico ? ‘Pas du tout ! Cette année, pour la première fois, on a réussi à avoir des places pour la soirée au château, donc on fait la fête !‘. Et Damien de résumer : ‘Il faudrait plein de petits festivals comme ça. Evidemment, il y a peu de places, les gens s’en plaignent, mais ça donne un truc qui garde sa cohérence, sa logique, qui ne se dénature pas‘.
Accaparés par l’ambiance de feu du boulodrome, nous n’avons pas eu la chance d’assister au concert gratuit de Bruit Noir dans les caves, ni même à la prestation de GRAMI en ouverture au château. Nous nous rattrapons donc avec la magnifique performance de Leonie Pernet, la folie étourdissante des arbres vivants de Snapped Ankles (photo ci-dessous), ou bien encore avec le groove imparable d’Underground System. Et c’est au milieu de cette programmation du samedi pour le moins éclectique que nous croisons le chemin des membres de The Psychotic Monks, quelque peu songeurs. En voyant la foule danser et faire la fête, le batteur nous confie n’avoir qu’une seule crainte : casser l’ambiance, avec leur rock sombre, bruitiste et lourd, teinté de stoner.
C’était sans compter sur l’une des véritables forces motrices du YEAH : son public. On le remarque très vite ici, si les gens viennent principalement pour le cadre et l’amour qu’ils portent au festival, ils demeurent néanmoins très ouverts et curieux face à une programmation qui leur est majoritairement inconnue. Et ce soir là, les Psychotic Monks en ont eu la preuve instantanée. La prestation des quatre jeunes parisiens, d’une rare violence et d’une parfaite maîtrise, fera date dans l’histoire du YEAH. Avec des influences proches de Nick Cave & The Bad Seeds, Girl Band et Kyuss, ils ont délivré avec force une gifle monumentale à toutes les personnes présentes.
Les concerts terminés, nous croisons Caro (photo ci-dessous), directrice du château et lourmarinoise de naissance, avec qui nous entamons la discussion. ‘Pour moi qui suis née ici, ce qui est vraiment génial et intéressant, c’est de voir l’évolution du village, de constater notamment l’impact du YEAH et ce qu’il apporte socio-culturellement à la région. Je suis contente de voir ma fille heureuse, accrochée à la rambarde devant la scène, en train de vivre des concerts qu’on ne vivait pas dans la région quand j’étais gamine. Les jeunes d’ici grandissent avec cet événement, et c’est quelque chose de chouette. Il y a un autre point que j’apprécie beaucoup aussi : si on regarde bien autour de nous, on se rend rapidement compte à quel point ce festival n’est pas stéréotypé. Il y a tous les genres ici : des jeunes, des moins jeunes, des familles, le panel est très large. Ça crée de nombreuses rencontres amicales, parfois professionnelles, voire amoureuses. Des couples se sont formés ici, et se sont même demandés en mariage pendant le festival. Bientôt nous aurons des bébés du YEAH !‘. Amen.
Qu’il s’agisse de la grosse baffe assénée hier soir par The Psychotic Monks, du matelas mal gonflé, ou du Ricard de trop avant couchage, quelque chose a transformé le réveil dominical en épreuve. C’est donc salement groggys et courbaturés qu’on comble la marche qui nous sépare de l’espace Albert Camus, où le festival lance pour la première fois son loto. Le voisin Elzo Durt n’a pas encore ouvert sa galerie. Et pour cause : à peine arrivé, on a l’impression qu’ici personne n’a dormi. Après le concours de pétanque déjanté, on commence à mieux cerner le concept de réinvention de la tradition. Tous les poncifs du loto de village sont là : mauvaise sono, éclairage aux néons, tables de mairie et chaises de jardin, enfants et anciens, jetons à la main et penchés sur leurs cartons. Mais l’animation diffère légèrement : quatre jeunes gens en tenues disco flashy se déplacent en bonds énergiques autour de la salle, célébrant chaque numéro tiré comme une victoire potentielle. De quoi donner l’agréable impression de débarquer dans un after de fous.
On s’installe à côté d’un groupe de trentenaires, étonnamment en pleine forme, qui se retrouvent en nombre tous les ans à Lourmarin ‘selon le nombre de billets qu’on a réussi à arracher‘. Des copains venus de Marseille, de Savoie, de Londres et de Rome. Pour Manue, qui vient depuis 2 ans, c’est clairement ‘le rendez vous immanquable des copains, le lancement de l’été‘. Tous espèrent décrocher l’un des nombreux lots mis en jeu, du pack de rouleaux de PQ au carton de vin, en passant par la TV écran plat. Mais c’est Christiane qui crie la première. Le carton est validé et, sous les hourras de la foule, Laurent Garnier (photo ci-dessus) – qu’on commence à soupçonner de posséder le pouvoir d’ubiquité – vient lui remettre le Graal : un pass 3 jours pour l’année prochaine. La dame est ravie, c’est son petit fils qui en profitera. Elle, de toutes façons, sera là comme tous les ans, en bonne lourmarinoise.
Comme prévu, l’animation a attiré les retraitées du village, et pas les plus austères. A la table voisine, on rencontre Colette, Simone, Lili, Gérard et la doyenne Marie, habitante du village, ravie de l’organisation de ce loto, un événement rare puisque ‘cette année on a eu que le loto du foot !‘. De manière générale, on a trouvé là des supportrices ardentes du festival : ‘l’organisation est super, on se cultive, on apprend des choses, le soir on se met au lit avec un bouquin pas trop intellectuel, on entend la musique de loin, mais comme on a le double vitrage c’est pas gênant‘. La bande de copines n’en est pas à son coup d’essai puisque tous les vendredis soirs, une bonne douzaine d’entre elles se paie une petite virée dans un des bars du village, tradition qui explique sans doute la bienveillance avec laquelle elles accueillent l’invasion annuelle des obsédés de l’apéro. Elles ont même mis la main à la pâte pour l’occasion, la mi-temps du loto étant animée par un concours de tartes maison : Colette et Simone concourent respectivement avec une tarte chèvre courgettes et une tarte tomate. C’est pourtant Josiane et sa tarte aux poireaux qui séduisent un jury composé de Fred le cuisto et de Nans Adamo le boucher-charcutier de Manosque.
Pas étonnée de la victoire de son amie, ‘la meilleure cuisinière‘, Simone reprend place devant son carton pour le deuxième round du loto qui se terminera sans nous, programme chargé oblige. On se dit à l’année prochaine ‘si tout va bien‘, et à défaut d’avoir du bois sous la main, c’est mon crâne chauve qui servira de porte bonheur. Sur la place du marché, on traverse la brocante, ça se plaint des parisiens marchandeurs. Pour un dimanche midi, on est mieux réveillés qu’après Téléfoot. Magie du loto. Nos estomacs sont remplis de tartes, on a oublié nos courbatures, et on boirait bien un canon.
Passage rapide par la Fruitière Numérique où on a le temps de faire le tour des disquaires, de jouer à un ou deux jeux d’arcade, et de boire une bière bien fraîche avant la conférence de Jean Claude Vannier. Celui que l’on connait surtout pour son travail d’arrangeur pour le Melody Nelson de Gainsbourg, habituellement discret et peu loquace, est venu commenter les titres phares de sa carrière. Pas son exercice favori apparemment. JC Vannier est parfois très critique envers lui-même, et prend souvent le contre pied de l’enthousiasme général. On découvre pourtant une vraie patte musicale apposée progressivement sur les disques de Gainsbourg, Nougaro, Brigitte Fontaine ou Françoise Hardy. Autodidacte, il s’est fait la main dans le studio de Michel Magne au début des années 60, et un nom à force de culot et d’une image, très tôt, ‘du jeune qui a la baraka‘. De ses débuts où il ne sait ‘rien faire’, quand il fonctionnait à l’instinct et se faisait remplacer pour diriger ses premières sessions avec un orchestre classique, jusqu’à sa dernière collaboration qui verra le jour en septembre 2019 avec Mike Patton, Vannier aura collaboré à des dizaines d’albums en tant qu’arrangeur, auteur, compositeur et même interprète, avec plus ou moins de bonheur. Lui-même reconnait n’avoir jamais compris la logique du succès, certaines réussites commerciales le rendant presque honteux quand ses plus grandes fiertés obtenaient un accueil des plus froids. Cinquante ans de carrière lui auront fait traverser les époques et remplir son tiroir à anecdotes (dont une savoureuse histoire de bagarre à coups de béquilles entre Gainsbourg et Nougaro dans un café parisien). De la musique d’aujourd’hui, il ne dit pas grand chose, si ce n’est qu’il a renoncé très vite à poursuivre tous ceux qui l’ont ‘samplé’ (et il y a du gros poisson), ne comprenant pas cette mode du ‘vol pur et simple’, mais préférant garder son énergie à la création telle qu’il la conçoit. De là, on repart de la Fruitière Numérique la tête pleine de vieux trésors à aller déterrer, mais aussi avec l’envie de faire les cons. Ca tombe bien, le YEAH a tout prévu en ce dernier jour de festivités.
Direction donc le tennis club – décidément le village de Lourmarin est joliment équipé – pour une fin d’après-midi en dehors du temps. Quelques centaines de festivaliers combattent la chaleur par la bière, et la fatigue par le barbecue. Boudin Room et leurs divines saucisses se chargent de parfumer nos rots. Les Sheitan Brothers et Camion Bazar transforment depuis 14h le dancefloor improvisé en mini teuf de campagne. En attendant le clou du spectacle, un concours de Air DJ promet le feu, l’ambiance est déjà chaude et enjouée. Sur les coups de 15h30, les jurés s’installent, tant bien que mal, noyés sous une foule en pleine montée de sérotonine. Moustic en est, bien sûr, aux côtés de professionnels venus des Nuits Sonores et du Sonar festival, signe encore une fois qu’on rigole mais qu’on fait ca bien, et que le YEAH séduit à tous les niveaux. Guillaume de Radio Meuh impose son style de Maitre de Cérémonie, le combo toupet mulet frisé / faux accent anglais / punchlines de drogué provoquant fous rires et jalousies dans l’assemblée. La grande classe. Il en éclipserait presque les candidats, jeunes innocents (DJ Delga et DJ Rocky, une petite vingtaine d’années à eux deux), vieux loups venus en force (DJ Armand, Alex Appy) ou personnages cintrés (Scoubidou et Pasteur Guy). Garnier balance les tracks, les styles diffèrent. Sobres ou provocateurs, ambianceurs ou techniciens du fader invisible, tous jouent le jeu à leur façon. On ajoute des contraintes bien senties (de l’annonce ‘voiture mal garée’ en plein set, aux mains menottées), Pasteur Guy ose un puissant break en forme d’invitation (‘Coucou, tu veux voir ma bite ?’), et tout le monde se marre. Le barème des juges est aussi flou que la vue qu’on a de la scène mais qu’importe, le public est roi et couronne finalement l’expérimenté Alex Appy, pas gêné par la contrainte imposée du T-shirt mouillé.
Pays de marseillais oblige, c’est sur l’hymne de Van Halen qu’il viendra soulever son trophée. Foule en délire, moment de beauferie commune bienheureuse sur We Are the Champions, dispersion rapide mais de courte durée, Camion Bazar reprenant sans tarder son irrésistible entreprise d’excitation massive des membranes. On croisera plus tard Alex Appy, fidèle du YEAH depuis 7 ans : ‘Aujourd’hui, c’était chaud parce qu’il y avait du monde. J’ai pas l’habitude de faire ça devant du public, mais c’était la folie‘ avoue cet avignonnais d’origine qui a commencé le Air DJ en imitant son pote Garnier pour les copains.
Et parce que l’après midi ne pouvait pas mieux se finir, nous tombons sur Denis Quélard (photo ci-dessous), sur lequel le manque de sommeil semble n’avoir aucune prise. On se fait des câlins, on boit une bière. Denis, c’est le Grand Guide du Pop-In, petit temple de l’indie parisien depuis 22 ans. Il s’en est passé des choses dans son bar, et des concerts historiques dans sa petite salle. Son histoire avec le YEAH, elle commence là bas, bien avant la première édition : ‘Nicolas Galina, l’un des fondateurs du festival, était client de mon bar il y a des années. Il y a même travaillé six mois pour payer sa note, parce qu’il buvait trop ! Depuis les débuts, je n’ai jamais manqué une édition. C’est un peu la grand messe annuelle. Je connais tout le monde ici, Moustic m’appelle Pépère. Tous les ans, quand il arrive à Lourmarin, il me cherche, et dès qu’il me voit il dit c’est bon, le festival peut commencer ! Le YEAH c’est ça, de l’amour, des copains, de la convivialité, un truc qui grossit d’année en année sans perdre sa taille humaine.‘
Quand on lui parle de souvenirs, il est presque ému en faisant le tri. Il y en a tellement, de rencontres, d’ivresses, de concerts inoubliables. Il en sort un qui résonne particulièrement : ‘Il y a 3 ou 4 ans, les Fat White Family sont venus jouer ici, et j’étais tout devant avec Richard Bélia. C’était une tuerie, c’était juste hallucinant. Et dans son bouquin à Richard, il y a une photo de ce concert avec en légende un truc comme ‘au concert avec mon pote Denis, on vit un moment incroyable’. Ça, c’est un grand souvenir et une grosse émotion. D’ailleurs hier, au concert des Psychotic Monks, j’ai eu la même émotion. C’est pas la même chose musicalement, mais ce qu’ils ont balancé, c’était incroyable. Pour l’instant, c’est le meilleur concert de cette année. Sur le dernier morceau, j’ai pleuré tout du long, c’était ouf‘. Rendez vous est pris avec Denis, qui promet qu’on vivra le deuxième sommet du weekend quelque part entre minuit et 5h du matin. On est chauds, on est bien, on se fait des câlins et on laisse le soir l’emporter.
Fin de journée et fin de festival en approche, il est temps de retourner voir Elzo Durt (photo ci-contre) à la galerie pour faire avec lui un petit bilan de sa semaine à Lourmarin, et avoir son avis personnel sur le YEAH. Le grand gaillard, arrivé sur des charbons ardents, s’est acoquiné du Lubéron et de son cadre à la fois paisible et bienveillant. ‘C’est assez génial pour être honnête. Le cadre est fantastique et les gens sont trop gentils, t’es reçu comme nulle part ailleurs, et franchement on se marre bien, faut le dire. Et puis je suis sincèrement épaté par la programmation. J’écoute beaucoup de musique et là, il y avait pas mal de choses que je ne connaissais pas, des choses très différentes les unes des autres, mais ça reste très cohérent, et ça marche. C’est assez rock finalement ! Moi qui pensais, comme beaucoup, que le festival aurait une patte très électronique et techno du fait de Laurent Garnier, ben non, je m’étais trompé, c’est beaucoup plus riche que ça encore. J’ai notamment adoré Snapped Ankles, ça c’était génial. Et sur un plan plus personnel, je suis ravi de l’exposition, j’ai eu pas mal de monde, de visites, et notamment de personnes qui venaient exprès de la région, ce qui prouve que le festival a une bonne communication et qu’il cohabite bien avec les habitants du coin. Il ont une vraie relation ensemble‘.
On part vers le château pour notre toute dernière soirée au YEAH. La fatigue dans les jambes commence à se faire ressentir, mais les sourires et la bienveillance de chacun des regards que nous croisons nous motivent à profiter de chaque instant jusqu’au bout. C’est à ce moment là que nous tombons sur les membres de Yacht Club. ‘C’est dingue ici ! On dirait Westeros en mode festival de musique swag‘ nous balance Yuri la chanteuse. ‘C’est hyper beau, l’accueil est top, l’équipe technique aux petits soins, on est hyper détendus et on hâte de jouer du coup‘ rajoute Bastien le batteur.
Dernière entrée au château donc, par conséquent dernier passage par la billetterie. On en profite donc pour échanger quelques mots et impressions avec certains des bénévoles de l’équipe présente sur place, notamment Pierre et Edith, couple à la ville et duo habitué du YEAH depuis maintenant quatre ans. ‘Pour nous le YEAH, c’est un peu le lancement officiel de l’été. C’est là qu’on retrouve nos potes, que ce soient les organisateurs, les autres bénévoles qui souvent reviennent chaque année, voire même certains artistes. C’est devenu un vrai rendez-vous annuel‘ nous explique Pierre. Quant à Edith, elle rajoute : ‘ce qui nous plait aussi, c’est le coté bienveillant qui prédomine dans ce festival, de la part de tout le monde, autant le public que le staff que les bénévoles ou les artistes ! Je crois que c’est un événement qu’on aime tous partager ensemble et ça se ressent‘. Elle conclue : ‘de plus, il faut avouer que la programmation est juste géniale. Quand je repense à la toute première année où on est venu, il y avait Fat White Family, Suuns ou encore Deux Boules Vanille, et ce fut tous des concerts hyper marquants pour nous‘.
La nuit ne va plus tarder à tomber, la faim commence à se faire ressentir, mais nous ne pouvons passer à coté de l’un des héros emblématiques du YEAH. La veille, nous l’apercevions du coté du boulodrome en DJ loufoque et excentrique. Quelques heures plus tôt, il était parmi le jury du prestigieux ADWCCL (Air-DJ World Champion Contest of Lourmarin). Moustic (photo ci-dessus) est l’un des personnages phares du festival, un ami de longue date de Laurent Garnier et un fidèle parmi les fidèles.
‘Ici, c’est un peu comme quand t’as pris une cuite. Tu sais pas à quelle heure tu t’es couché, et puis tu te lèves le matin et tous tes copains sont là à t’attendre sur la terrasse, et ça te rend heureux. Ben, revenir ici tous les ans, ça me fait cet effet là. Il y a une magie qui opère, c’est un tout. Tu as le lieu qui est fantastique, la programmation qui est toujours géniale, mais le point culminant, je trouve, c’est que tout le monde est sympa ici, absolument tout le monde, vraiment c’est fou. Et puis ce festival est top parce qu’il résiste aux effets de modes. Quand tu regardes beaucoup d’autres festivals en France, je ne sais pas si c’est par fainéantise, mais les lineup se ressemblent tous. Moi, quand je viens ici, je repars tous les ans avec des tas de découvertes et l’envie d’aller en découvrir encore plus sur internet‘. Ce n’était que quelques minutes mais nous avons pu boire les paroles d’un homme attachant, sensible et drôle et qui, pour certains d’entre nous, a bercé notre tendre adolescence à coups de ‘Baaanzaaïïïï’ !
Remis de nos émotions, nous errons pour nos dernières heures dans l’enceinte du château afin de trouver à manger et à boire. On se pose et on contemple une dernière fois la façade du monument, ornée du logo spécialement concocté par Cauboyz pour cette septième édition du YEAH. Les stands battent leur plein, les gens ont l’air heureux, et un détail mérite d’être signalé : le temps se sera montré clément tout le weekend, et ce n’est pas rien.
Le finish de ce merveilleux weekend sera assuré par les belges 2ManyDJs, seule vraie tête d’affiche de l’édition, du moins sur le papier. A coups de basses et de drops, les deux frangins ont offert aux festivaliers un final en apothéose sur fond de dance et de fun. Attablé près du bar, nous en profitons pour remercier et glisser un clin d’œil à Basile, le bénévole du bar, toujours souriant et serviable durant ces trois jours. Le concert se finit et les principaux acteurs à remercier se présentent sur scène, amicalement, généreusement, pour un ultime salut, un ultime merci aux nombreuses personnes présentes et qui soutiennent le festival. Le YEAH, c’est aussi Nico, Arthur et Laurent, ne l’oublions jamais ; c’est un tout comme disait Moustic, mais un tout imaginé à la base par ces trois là.
Puis on a trainé jusqu’au lever du soleil et, en marchant le long de la route qui nous ramenait au camping, on imaginait à quel point cela allait être dur de reprendre la voiture pour rentrer, de quitter pareil endroit pour reprendre notre rythme quotidien. Tu nous as bien eu, Lourmarin. Mais de tout cœur, si tu acceptes qu’on te considère comme notre deuxième maison, alors tu ferais de nous les plus heureux de tous les festivalYEAH du monde…
Toutes photos : © Cahuate Milk
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