On y était ! Retour sur le Levitation 2019

On y était ! Retour sur le Levitation 2019

Chaque rentrée, en accueillant le festival Levitation, Angers enterre l’été et sa cohorte de manifestations populeuses avec une des affiches les plus audacieuses et intransigeantes. Cette année encore, les organisateurs ont exploré le spectre très vaste des musiques ‘psychés’ pour offrir une programmation variée et pertinente. Parmi les tendances de ce nouveau cru, très peu de machines, du gros son plutôt que des nuances, et des groupes d’inspiration ‘trad’ inspirants. Une parenthèse enchantée au Quai, ce magnifique écrin de béton et de verre magnifié chaque année par des light shows démentiels, qui va peut-être passer la main. Car le ‘petit festival’ qui monte, adossé à son homonyme texan d’Austin, commence à voir la vie en plus large, et pourrait encore de changer de site pour s’accorder avec ses ambitions.

VENDREDI 20 SEPTEMBRE 2019

Miët a le lourd privilège d’inaugurer le festival, et le trio assume impeccablement son rôle en posant un set aux boucles indus dépouillées. Ses lamentations fantomatiques et distordues de l’archet sur la guitare édifient même progressivement un public attentif. Le décor est posé, et l’esprit de ce week-end psyché habite déjà les lieux. Après cette parfaite mise en condition, The Warlocks, étrangement programmés à l’heure de l’apéro, balancent les premiers gros riffs de cette soirée. Impeccables, les californiens imposent d’entrée leur magma sonore impeccable, d’où s’échappent régulièrement quelques riffs abrasifs. Vingt ans de métier leur permettent encore de faire progresser avec science un set marqué par un faux rythme dont on ne se lasse jamais, flirtant parfois avec des ambiances de vieux blues gras survitaminés, tel ce Caveman Rock impeccablement explosif en fin de prestation.

Les New Candys font ensuite le job avec des titres aux sonorités rétro marquées par des bridges très propres, soniques et atmosphériques, et un abus de réverbération dans la voix. Dans la foulée, Black Midi investit la grande scène du forum. Quelques semaines après leur prestation mi-convaincante à la Route du Rock, les surdoués arrivent dans un déluge de cordes cacophonique. Comme d’habitude, les chanteurs alternent, permettant au groupe de faire évoluer sensiblement la coloration de son jeu. Les sonorités sont riches, les expériences musicales particulièrement diversifiées. Les jeunes anglais osent même toutes les ruptures, tous les enchaînements, les sonorités plus incongrues, dissonantes et bruitistes devant un public studieux. En état de grâce, les londoniens font mouche dans toutes leurs propositions.
En marge de la prestation – très intéressante à défaut d’être très originale – de Mattiel qui impose sa forte voix féminine sur un americana très proche des sonorités historiquement psychédéliques de Jefferson Airplane ou Grateful Dead, on visite le merch et les bars, histoire de profiter aussi de la mise en lumière des lieux, ondoyante et saturée, assurée cette année encore par Mustachio qui concourt aussi à faire du Lévitation un festival hors-norme. Puis arrive Frustration, avec une seule idée en tête : réveiller le public. La fosse comprend très vite et se décolle enfin. Le groupe, sorte de Kraftwerk hardcore alternant sans complexe avec du bon stoner bien pilé, introduit les premières sonorités électro de la soirée. Chant névrotique, voix punk, refrains scandés comme des slogans…, les parisiens rodent quelques titres de l’album à venir et se rassurent : leurs prestations scéniques sont toujours aussi efficaces. Ce qui n’est pas le cas de celle d’Iceage, à laquelle il fallait s’accrocher pour en apprécier quelques ballades déglinguées.

Une sorte de cabaret fou, comme un prologue sur-mesure à la prestation de Fat White Family qui s’empare alors de la scène dans des nappes synthétiques floydiennes, avec un light show et des projections de fond de scène à sa démesure. Le ton est donné, Saul Adamszwski et ses potes ont le sens du spectacle, et la scène devient théâtre. Restait aux Psychotic Monks la charge de clôturer ce premier soir. Maîtres de bout en bout d’un set au son très élaboré, les parisiens ont enflammé une dernière fois la petite salle T400 par leurs vagues évolutives, alternant à la perfection le chaud et le froid, la sidération et les ténèbres, l’attente et l’explosion. Du grand art.

SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019

La seconde journée du festival commençant outrancièrement tôt, on a raté les passages de Jumaï et TVAM. Devant un parterre clairsemé, Vanishing Twin démarre un set tout en délicatesse, mélange savant d’un math-rock métronomique et de tentations ethno-jazz. La voix de Cathy Lucas assure l’envoûtement de ce voyage exotique. Impatiemment attendu, l’indéfinissable France ne cesse de convertir ceux qui viennent à lui. Les mecs sont des chamans qui font littéralement brûler la salle T400 au seul son d’une basse, d’une vielle et d’une batterie, toutes en boucle durant 40 minutes. Le magnétisme exercé par le trio auvergnat est inexplicable, pourtant la transe est palpable dans le mouvement des corps se laissant emporter jusqu’à l’obnubilation. Une claque.
Mais c’est avec Frankie & the Witch Fingers que la soirée prend sa pleine puissance et s’emballe définitivement. Le groupe offre un concert musclé, pas forcément subtil, ponctué de puissantes montées, d’explosions brutales, et de bridges savamment gérés faisant trépigner le public. Deria Yildirim fait alors office de découverte. Comparé à Altin Gün de par ses origines partiellement turques, le groupe – plus traditionnel – impose pourtant d’entrée un groove improbable, entre fragilité trad et onirisme psyché souligné par l’ostinato d’un Rhodes digne de Ray Manzarek. C’est moins ‘propre’ que les enregistrements studio, mais la simplicité du live donne ici sa pleine dimension.

Le Villejuif Underground sonne alors le début d’une seconde partie de soirée définitivement plus explosive. Le groupe, poussif dès l’entame, profite paradoxalement d’un problème technique pour lâcher les chevaux. Les musiciens trouvent mille parades pour assurer le spectacle et, grâce à cet apparent bordel, l’interaction avec le public devient plus naturelle et évidente, l’énergie est décuplée et les parisiens finissent même par un bon bain de foule. La suite sera plus décevante : si Mystic Braves emporte l’enthousiasme, King Khan laisse une impression plus mitigée. Bien qu’ovni à lui seul, le frontman épuise rapidement avec un show basé sur ses vociférations et des guitares en mode machine-outil. C’est résolument punk, et rien d’autre. En manque de variété, Night Beats entre par une oreille pour mieux sortir par l’autre, et laisse la place à L’Epée. Le super groupe, composé des Liminanas et d’Anton Newcombe entourant la voix d’Emmanuelle Seigner, envoie un son à tomber. Cinq guitares en façade saturent l’atmosphère d’un déluge post-rock parfaitement contrôlé. C’est brillant, jusqu’à ce que se pose le parler de la chanteuse. Malgré quelques belles ballades bien denses, et sans être franchement déçu, on ne peut cacher une moue dubitative devant cet amalgame de talents. It It Anita clôture enfin le festival, et les fans – majoritairement hyper enthousiastes – qui ont résisté à tout pour vivre cet instant là, assistent à un moment énorme : s’immergeant dans la foule, les belges lâchent prise, prennent plaisir pour un moment de totale communion avec le public, refermant par la même occasion ce Lévitation 2019 dans un brasier indéfinissable.

Texte : Nicolas Rivet
Photos : Céline Non

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