Iceland Airwaves 2022, immersion dans le festival le plus nordique au monde

Iceland Airwaves 2022, immersion dans le festival le plus nordique au monde

Privés de sortie du territoire et de concerts pendant pas loin de deux ans en raison du Covid, nous avons décidé de nous prendre un double kick de dépaysement, visuel et sonore, pour compenser les assignations à domicile, et la tristesse des concerts streamés des années 2020-2021. Une manière de les mettre à distance à leur tour, et de conjurer les possibles mauvais sorts et éventuelles reprises épidémiques que l’avenir, ce truc sombre, nous réserve.

Direction Reykjavik donc, terre dont les étendards musicaux que sont Björk et Sigur Ròs continuent d’impressionner, l’une nous ayant livré récemment un de ses plus beaux albums, les autres concluant tout juste une tournée pharaonique. Avec une population équivalente à celle de Limoges ou Nîmes, la ville a réussi à se faire une telle place sur la scène indé qu’elle excite les attentes et fantasmes musicaux du festivalier voyant en elle un incubateur pour génies du songwriting. En effet, là-bas, le nombre de musiciens par habitant relève du délire. La preuve, sur la centaine de groupes programmés lors des trois jours de ce Iceland Airwaves 2022, pas moins de 56 sont islandais. Pour un pays de 350 000 habitants, les proportions sont énormes.

Imaginer un festival dans un pays si peu peuplé et si isolé, en fin d’automne et à quelques centaines de kilomètres du cercle polaire, suppose donc de jongler avec des paramètres bien différents de ceux des grands-messes classiques du rock, déclinées dans toutes les grandes villes européennes avec des line-up en Ctrl C – Ctrl V. Les infrastructures sont celles de cette ville où il fait froid, et où les concerts se tiennent donc à 100% en intérieur. Musée d’art moderne, cinéma, église, bar, club ou cathédrale sont ainsi réquisitionnés, sans compter la dizaine de lieux occupés par le festival off. Avec ce que cela suppose de déplacements, d’organisation étant donné l’attente possible avant chaque concert, c’est toute une gymnastique particulière qu’il faut intégrer. De fait, on n’a pas forcément vu tout ce qui était initialement prévu. C’est le jeu ma pauvre Lucette…

A notre arrivée la veille, on s’attendait à une ville en pleine effervescence, mais il faut croire que le Reykjavikois faisait déjà des réserves d’énergie, le centre-ville se démarquant davantage par son calme que par une agitation bouillonnante. Voilà qui laissait le temps de prendre ses repères, et un florilège de claques visuelles en visitant les alentours… Difficile en effet de ne pas parler des paysages islandais quand on évoque l’art local, musique comprise. À dix kilomètres de la capitale, il se dégage une telle puissance des étendues volcaniques, des plaines comme vierges de toute trace ou activité humaine, qu’on pourrait penser ces visions suffisantes pour combler les attentes esthétiques et rendre ainsi l’expression artistique non-avenue. Mais si le curseur de beauté semble ici indépassable, on y ressent tout autant un sentiment de profonde solitude, un rapport au monde très romantique, qui va avec l’invitation à créer et produire.

JOUR 1 – Június Meyvant, Amyl & The Sniffers, Nation Of Language, JFDR et Crack Cloud

C’est époustouflés par le pays que nous nous rendons au musée d’art moderne de Reykjavik, lieu principal du festival, dont la capacité doit avoisiner les 2000 places. Trois paramètres vont alors rapidement émerger, qui resteront une constante durant le festival. L’importance du vestiaire – en libre accès et non surveillé – car il fait deux degrés dehors, et se faire une place dans la grande salle conduit rapidement au coup de chaud. À croire qu’emmagasiner la chaleur fait plaisir aux locaux qui n’ont rien contre le fait d’assister à un concert en doudoune-bonnet-écharpe au milieu d’un millier de personnes. Le second paramètre est une question de grandeur : l’Islande est le pays au monde ou la taille moyenne est la plus élevée, et cette statistique est criante dans une salle de concert. On s’inquiète donc rapidement du diptyque chaleur suffocante / visibilité réduite. Troisième paramètre, important pour tout festival : celui du prix des céréales, limitant la casse hépatique avec la canette de Pils aux alentours des neufs euros.

La soirée commence par Június Meyvant, ensemble islandais folk-soul-funk très ancré dans les seventies. Rien de fulgurant, mais on relève la popularité nationale du groupe aux paroles régulièrement entonnées par les festivaliers. Le concert est surtout un prétexte pour se faufiler aux premières loges du show d’Amyl And The Sniffers (photo ci-dessus) qui lui succèderont. Le temps d’entrer en hyperthermie, et les australiens débarquent sur scène sur un Freed From Desire de Gala en guise d’intro. Amyl est déchainée, tire la langue comme un tic nerveux dès qu’elle regarde le public, dans une rage à mosh pit qui arrive rapidement à prendre de l’envergure dans le grand hall de l’Art Museum. Les pogos à moins de trois grammes étant moins exaltants, on regrette une nouvelle fois le prix de la bière. Le principe du festival se résumant au premier arrivé – premier servi, on écourte pour ne pas manquer Crack Cloud (photo ci-dessous) qui joue à dix minutes de là, au Gamla Bió, vieux cinéma reconverti en salle. Notre favorite : 500 personnes au doigt levé, une ambiance plus tranquille, moins Châtelet-les Halles un jour de grève, une atmosphère de vieux club avec un beau balcon, un grand lustre, et des tapis rouges au bar. Un lieu avec une âme. Décidant de camper là pour le reste de la soirée, on enchaine Nation Of Language, JFDR, et Crack Cloud.

Nation Of Language livre un set de synth-pop hyper mélodique, au lyrisme certain, quelque part entre Tears for Fears, Kraftwerk, New Order, et Morrissey pour la voix. Les lignes de basses sont particulièrement entrainantes, et la grosse reverb vocale nous fait voyager dans le temps. Welcome back, eighties. Le temps de risquer l’interdit bancaire au bar, et l’islandaise JFDR succède au trio de Brooklyn. La demoiselle est d’une mélancolie nordique, froide, sa voix rappelle celle de Elena Tonra (EX:RE, Daughters). Une découverte folk qui laisse la place à Crack Cloud, moins attendu à Reykjavik qu’il ne l’aurait été ailleurs en Europe. Les canadiens sont d’ailleurs concurrencés par Daughters Of Reykjavik, les stars féminines du hip hop local, en passe de s’affranchir des frontières. On en aura que davantage le sentiment de vivre un moment privilégié tant Crack Cloud s’érige par sa force créatrice, la puissance de son collectif, et la singularité de ses compositions. Sans conteste la grosse claque du festival. Un regret cependant, le plaisir n’ayant pas duré plus de quarante petites minutes. Le civisme islandais fait qu’on n’entend ni cris ni hurlements de protestation du public sur ce clap de fin un peu trop brutal. La nuit, certains ont vu des aurores boréales dans les cieux de Reykjavik. Pas nous : la journée fut longue, et il reste deux jours de festival.

JOUR 2 – Kristján Hrannar Pálsson, Metronomy (ou presque), Flott, Marius DC et requin fermenté.

Midi. Nous puisons dans la gastronomie locale, et nous vient l’idée aventureuse de tester le requin fermenté, séché des mois durant. L’odeur est infecte, on fait donc passer le truc avec du Brennevin, l’alcool (très fort) local. Partis en quête de force, c’est finalement l’échec : digérer un truc pareil demandant beaucoup d’énergie, nous avons plutôt passé la journée en mode slow-motion, et avons de fait apprécié le calme du premier concert. Dans la grande cathédrale emblématique, Hallgrimskirkja, l’organiste Kristján Hrannar Pálsson rejouait Discovery de Daft Punk sur un orgue de quinze mètres et 5275 tuyaux. Difficile de ne pas rire en entendant One More Time sur l’orgue, et en mesurant le contraste entre la connotation religieuse et celle de la teuf d’after. Tête d’affiche du festival, c’est Metronomy qui était attendu. Pourtant, curieux de découvrir les succès mainstream du pays, on préférait se laisser tenter l’un des phénomènes variétés-pop islandais : Flott, pressenti pour représenter le pays au prochain Eurovision. Car l’Islande adoooore l’Eurovision. Dehors, la file d’attente devant le Reykjavik Museum étant sans appel, on se réoriente vers Idnó, un bar concert où joue Marius DC (photo ci-dessous), rappeur des îles Féroé. Le mec est jeune, un peu arrogant, avec un côté nineties dans son rap et son flow. Pas d’autotune, un backing band, et une attitude de star. C’en est trop : le requin dans l’estomac impose du repos à notre organisme.

JOUR 3 – Axel Flóvent, Porridge Radio, Arooj Aftab, Club Dub et réunion de crise au Crédit Lyonnais.

Le programme du troisième jour est étudié selon les probabilités d’attente devant chaque lieu. Il faut prévoir de quitter un concert en cours, prendre le risque de ne pas voir un groupe pour être sur d’en voir un autre. Tel un tableau de probabilités de tirage de coupe du monde en phase de groupes, le truc relève du casse-tête.

On commence par la Frikirkjan, une petite église au bord du lac où les canards glissent en atterrissant sur la glace, un des lieux symboliques du festival qui ne vend évidemment pas d’alcool. Commencer la soirée sans bière ne pouvant en aucun cas constituer un démarrage favorable, on zappe la folk pourtant prometteuse d’Arny Margret pour retrouver le Gamla Bió où joue Axel Flóvent, sorte de James Blunt. Décidément, il se passe vraiment un truc avec les nineties ici. Porridge Radio prend le relais. La chanteuse de Brighton fait le boulot avec ses trémolos identifiables dans la voix, devant un parterre moins compacte qu’attendu en raison du concert de Go_A, dernier représentant ukrainien à… l’Eurovision, ayant lieu au même moment. De retour à l’église, on saisit les dernières places pour Arooj Aftab (photo ci-dessous), notre seconde claque du festival : la chanteuse américano-pakistanaise, récemment victorieuse d’un grammy plus que mérité, subjugua l’assistance grâce à sa voix éthérée en totale adéquation avec le lieu. Simplement éclairée d’une lumière bleue, avec pour décor le Christ en croix et un ménorah hebreu (c’est une église libre), elle s’amusa de la situation en demandant moins de reverb à l’ingé son, précisant qu’elle avait l’impression d’entendre Dieu chanter, suivi d’un ‘No offense’ gêné alors qu’elle réalisait la teneur de sa blague dans un tel lieu. Aussi attachante que sa musique est planante, Arooj distribua des roses au public lors de ses interludes permettant d’apprendre que ses productions sont trop souvent prises pour des complaintes sur la situation au Moyen Orient, alors qu’il s’agit simplement de déboires amoureux et alcooliques d’une musicienne trentenaire. Un véritable moment privilégié, avant de se décourager devant la foule trop compacte du Museum où se tient le concert d’Arlo Parks, et de se rabattre sur le IA Center, lieu d’accueil du festival, ou Club Dub y va de son rap autotuné. La salle vire alors à la boite de nuit alcoolisée et, dehors, des islandais à six grammes sont allongés sur le trottoir devant leurs banquiers médusés.

C’est à la fin du Iceland Airwaves qu’on réalise finalement sa vraie force : celui d’être totalement ouvert à la création musicale locale, sans présupposés ni préjugés. Tout le contraire de ce live report écrit dans un esprit bitcheur bien français. Reste que, au delà du master en stratégie nécéssaire pour se faire son programme et se laisser des opportunités de découverte, avoir l’opportunité de passer d’une musique marquée par les traditions moyenne-orientales, à un groupe d’indie de Brighton, un groupe de rap autotuné islandais, voire même un accordéoniste d’éléctro finlandais est une chance, et finalement tout le charme du festival. Mis en danger par deux ans de Covid, le Iceland Airwaves nous aura convaincu de suivre ses prochaines éditions de plus près où futurs vainqueurs de l’Eurovision et claque esthétiques magistrales nous donneront certainement envie de reprendre une leçon de programmation démocratique.

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