23 Sep 21 Putain déjà – Weezer fête les 25 ans de ‘Pinkerton’
‘– T’aimes bien Weezer toi ?
– Ouais carrément !
Vient un silence embarrassé
– Enfin… Seulement leurs deux premiers albums, ok ?
Signe de tête entendu’.
Cette scène, vous l’avez peut-être vécue à la Route du Rock, au Primavera ou à n’importe quel autre rendez-vous de fans d’indie-rock. Comme si dans la bible du bon goût figurait un point de basculement entre ce qu’il est tentant d’appeler le Weezer des nineties et celui des années 2000. Le premier aurait réalisé deux albums hors du commun, le genre de miracle power-pop qui parvient à joindre l’intime au fédérateur tandis que le second se serait vautré dans un rock trop FM pour relever la comparaison.
Or rappelez-vous (ou lisez attentivement ces lignes si à l’époque vous étiez plus branché Henri Dès que Pavement), le contraste n’est pas aussi net quand sort ‘Pinkerton’ en 1996. Aujourd’hui frappé du sceau des disques cultes, le second album de Weezer s’est bien mangé un bide royal à sa sortie. Boudé par les fans du groupe, moqué par la critique, il fut rapidement considéré par Rivers Cuomo comme ‘une douloureuse erreur commise devant des milliers de gens’. Alors quoi ? De sa création marquée par les crises existentielles à sa réception désastreuse et sa réhabilitation en ‘chef d’œuvre’, ‘Pinkerton’ vaut bien une putain d’histoire de rédemption.
Passé de nerd à rock star avec le multi-platiné ‘Blue Album’ (1994), notre frontman bigleux envisage dès l’année suivante de passer la vitesse supérieure en termes de réalisation avec l’écriture d’un opéra-rock sur l’espace : ‘Songs From The Black Hole’. Un projet mégalo qui vire finalement à l’arlésienne même si plusieurs morceaux de ces sessions d’enregistrement figurent sur ‘Pinkerton’ (dont ‘Why Bother ?’, ‘Getchoo’, ‘No Other One’ et ‘Tired Of Sex’). La faute en grande partie à un Cuomo à côté de ses pompes, parti s’enterrer à Harvard pour des études en musicologie inadaptées à ses attentes. Déprimé par des errements tant musicaux qu’amoureux (à ce qu’il paraît, passer sur MTV aide pour baiser, moins pour nouer des relations saines), il revient finalement en Californie pour réaliser ce qui va devenir ‘Pinkerton’. En parfait petit control freak, il décide d’assurer seul la direction de l’album, quitte à se brouiller avec le bassiste Matt Sharp, lui-même galvanisé par le succès inattendu de son projet parallèle The Rentals.
Éminemment personnel, ‘Pinkerton’ transpire la loose de son créateur à plein nez. Y sont évoquées pêle-mêle des histoires d’amour frustré (‘No Other One’) voire carrément impossible (‘Pink Triangle’), des difficultés à gérer convenablement ses émotions (‘El Scorcho’) ou encore un fantasme honteux porté à une jeune japonaise (‘Across The Sea’). Le tout avec une sincérité à la limite de l’obscène (‘I wonder how you touch yourself‘ chante Cuomo à propos de cette fane nippone de 18 ans) qui lui valu par ailleurs un procès en place publique pour misogynie de la part de quelques pisse-froids. C’était pourtant mal saisir la portée ironique ou autocritique de textes souvent très drôles, parfois tristes aussi.
Sauf qu’entre-temps le son de Weezer s’est lui aussi raidi et apparaît moins poli pour conquérir les radios, malgré des qualités mélodiques toujours aussi évidentes. Ajoutez à cela qu’au milieu des années 90, entendre un homme ‘dans le rock’ s’étendre en détail sur ses problèmes sentimentaux ou sexuels relevait presque de l’inédit, et vous capterez la réception mitigée de ‘Pinkerton’ – le magazine Rolling Stone l’avait même consacré pire album de l’année 1996 avant de se corriger quelques temps plus tard.
Pourtant disons-le franchement, ce disque en particulier a largement ouvert la voie à un genre dérivé de l’indie-rock et du punk : l’emo – pour le meilleur et pour le pire. Écoutez aujourd’hui des groupes comme Modern Baseball ou Sorority Noise, et vous constaterez par vous-mêmes les filiations musicales et thématiques.
On imagine ne pas vous surprendre en vous annonçant que malgré un accueil à la limite de la catastrophe, l’histoire de Pinkerton se termine bien. Les fans ont progressivement appréhendé le disque et échangé avec enthousiasme à son sujet, quelques bonnes critiques ont fait leur apparition dans la foulée, et l’engouement s’est répandu avec prudence. En 2005, l’album est finalement devenu disque d’or aux États-Unis (soit 500 000 ventes réalisées) et, happy end ultime, dans la foulée d’une réédition en 2010, Weezer s’est lancé dans une tournée où son disque maudit et honni fut joué en entier à travers le monde.
En attendant une adaptation cinématographique avec Michael Cera en Rivers Cuomo névrosé, les kids peuvent dormir sereinement. Il existe bien une justice dans ce monde ingrat pour les post-adolescents chétifs. Et tant pis si la suite du groupe ne mérite l’attention que par intermittence, à la faveur seulement de quelques tubes bien sentis. Avec ‘Pinkerton’, Weezer a probablement livré son album le plus estimable jusque dans ses imperfections. Et aussi suffisamment d’histoires pour animer les débats à la buvette de la Route du Rock, ou à n’importe quel autre rendez-vous pour fans d’indie-rock. En écoute intégrale ci-dessous pour son 25ème anniversaire.
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