Putain déjà – Radiohead fête les 25 ans de ‘The Bends’

Putain déjà – Radiohead fête les 25 ans de ‘The Bends’

En 1995 en Angleterre, le shoegaze – trop réservé – n’a jamais conquis les stades; le grunge – trop américain – a des relents d’ailes brûlées; la Brit pop émerge, menée par Blur et Oasis qui, un an auparavant, sortait son premier album. Il semble pourtant à peine nécessaire de mentionner cette toile de fond lorsqu’on évoque une formation aussi avant-gardiste que Radiohead, musicalement ‘acontextuelle’ et indépendante.

Il y a une certaine ambivalence autour du deuxième album du quintet d’Oxford, le ‘vrai’ premier pour nombre de fans. Souvent perçu comme la véritable éclosion du groupe dans son identité, son authenticité défricheuse et imprévisible, The Bends s’est aussi affirmé dans une volonté de réaction, une forme de rejet de son aîné Pablo Honey et du succès écrasant de son single Creep. Succès incontrôlé et volontiers boudé, du moins ironisé par le groupe ici sur My Iron Lung : ‘This is our new song/Just like the last one/ A total waste of time‘.

The Bends comme un nouveau départ donc, où Radiohead devait trouver son style : celui de toujours surprendre. A travers les sonorités tout d’abord, le perfectionnisme des textures, les explorations ciselées de Johnny Greenwood (Just), mais aussi via la grande maitrise des effets de production. En attestent le trémolo sur l’ouverture grandiloquente de Planet Telex, ou cette batterie traitée à la saturation sur Bones, qui forgera le son comme les ambiances de cette période pré-millenium.

C’est d’ailleurs au cours des sessions avec le producteur John Leckie que le groupe rencontrera son assistant, un certain Nigel Godrich, souvent considéré par la suite comme le sixième membre du groupe. Il signera ensuite chacune de leurs productions. Mais si The Bends est définitivement l’album à guitares de Radiohead, il n’omet pas un travail mélodique recherché, une profondeur mélancolique et angoissée : Thom Yorke y déploie pour la première fois tout son génie tourmenté et visionnaire de compositeur, de parolier, de chanteur et de frontman. A travers une ballade à fleur de peau (Bullet Proof…I Wish I Was), une élégie crépusculaire (Street Spirit (Fade Out)), ou encore l’hymne dystopique de Fake Plastic Trees, il dresse le portrait d’une société aliénée, déshumanisée, une tapisserie cauchemardesque d’anticipation, où se mêlent amours abstraites et réalisme écologique :

She lives with a broken man / A cracked polystyrene man/ Who just crumbles and burns
(…) She looks like the real thing / She tastes like the real thing/ My fake plastic love‘ (Fake Plastic Trees)

Il est intéressant de noter que ces thèmes qui se développeront par la suite comme autant de leitmotivs au cours de la carrière de Radiohead, s’ancrent dans cet album majeur, d’un point de vue du mode musical des compositions, de sa discographie. D’où un étrange jeu de clair-obscur, d’échos de lumières qui s’articulent, comme une flamme mordue par le vent autour de cette torpeur saturnienne, ce sentiment prescient de la fin d’un monde (Black Star).

Certains trouveront à redire sur The Bends. D’autres estiment qu’il n’a pas eu le succès qu’il méritait, éclipsé qu’il fut deux ans plus tard par le multicertifié et immensément reconnu OK Computer. D’autres encore discuteront son influence sur toute une série de formations à l’esthétique plaintive plus ou moins fâcheuse, de plus ou moins bon goût, Muse et Placebo en tête. Mais The Bends demeure l’album de l’affirmation pour Radiohead, celui qui lui permit de s’arracher aux limbes déterminées d’un succès éphémère. Dès le 13 mars 1995, Radiohead n’était plus ce groupe à un tube, de même que The Bends n’est plus seulement l’album d’avant Ok Computer.  Ecoute intégrale à l’occasion de ce 25e anniversaire.

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