19 Août 17 Interpol fête les 15 ans de ‘Turn On The Bright Lights’
Au début des années 2000, le renouveau de la scène artistique et musicale de New York prenait a contre-pied le climat d’apocalypse qui régnait dans ses avenues. A la suite des attentats et de l’ébranlement de la toute-puissance américaine, les groupes fleurissant dans le quartier de l’East Village, poche de résistance à la morosité ambiante, annoncèrent le fameux ‘revival indie’: les Strokes, les Yeah Yeah Yeahs et Interpol – dans une veine davantage post-punk – constituèrent le fer de lance de ce renouveau.
Hanté par le spectre de Joy Division et des Chameleons, le groupe, tout de noir vêtu, s’est d’abord formé par rapport à une esthétique, notamment vestimentaire, d’élégance décadente et de minimalisme dandy. Après trois Eps plutôt remarqués et la rencontre avec le label Matador (Pavement, Belle and Sebastian…), Interpol lâchait ‘Turn on The Bright Lights’ le 20 août 2002, un des meilleurs longs formats de la décennie.
L’album synthétise le minimalisme de la cold-wave, l’angoisse et le romantisme post-punk flirtant avec le gothic rock des Cure, les guitares aiguisées de la Britpop et quelques éléments plus bruitistes/shoegaze des nineties. Alors, la voix grave et spleenétique d’un Paul Banks au sommet de son inspiration (‘Leif Erikson’), le ronronnement disco-punk de la basse inimitable et géniale de Carlos Dengler (‘Stella Was a Diver and She Was Always Down »), comme les jeux de question-réponses et de contre-temps de guitares hantées si sobrement réverbérées (‘Obstacle 1’) étiraient les frontières du rock indé.
En rendant un vibrant hommage à la Big Apple, Interpol signait de très loin son meilleur album. Car si Carlos manque cruellement aux fans de la première heure, si plus généralement l’esthétique des débuts – si baroque et si bizarrement nouvelle – se dilue aujourd’hui dans un rock à cravates assez galvaudé – alimenté par deux derniers albums relativement médiocres – ‘Turn On The Bright Lights’ lui, n a pas pris une ride.
L’originalité de ses mélodies, l’équilibre de ses compositions et l’harmonie qui les unit, l’écriture sensible, abstraite, visuelle voire visionnaire (‘Subway she is a porno / And the pavements they are a mess‘ chante Paul de sa voix de damné sur ‘NYC’) plante le décor d’une jungle urbaine, moite et nerveuse. La mélancolie – existentielle toujours sur ‘NYC’ (‘It’s up to me now / Turn on the bright lights / Got to be some more change in my life’), obscure sur ‘Hands Away’ – suinte le long des rames de métro comme une sueur froide à l’heure de pointe. A intervals réguliers cependant, des rythmiques inventives, presque sautillantes (‘Say Hello to the Angels’), ou au contraire des bourdonnements dissonants (‘The New’) viennent déstabiliser ce sentiment, le rendant plus fragile, plus essentiel.
Chainon manquant entre différents genres hybrides du début des années 2000, cette véritable oeuvre d’art a su gagner un respect immédiat et s’ancrer dans la réalité névrosée de l’air du temps. Il y a de mauvais disques auxquels les années donnent raison. Il y en a parfois de bons qui passent à coté de leur époque et qui sont voués à sombrer dans l’indifférence et l’oubli. Mais les grands albums sont ceux qui figent le temps telle une photographie. Et c’est sans doute le vernis de l’instantané qui a fait de ‘Turn On The Bright Lights’ une oeuvre intemporelle.
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