1997, l’autre grande année du courant alternatif

1997, l’autre grande année du courant alternatif

Mais aussi le début de la fin pour le petit rock de blancs.

N’y allons pas par quatre chemins puisque vous le savez aussi bien que nous : les nineties forment la décennie magique du ‘rock alternatif’. Celle où les étoiles ont essaimé sur la nation des kids sans histoire de la classe moyenne pour donner lieu, paradoxalement, à tout un pan de l’histoire encore difficilement dépassable. Et peu importe qu’on l’ait vécue en direct, où avec le recul d’une connexion ADSL, on a tous, à un moment, longuement flirté avec ses plus fiers ambassadeurs (Nirvana bille en tête). Et c’est d’ailleurs 1991 – ‘Nevermind’, tout ça – qui fait souvent office de détonateur à ce grand déballage créatif.

Pas besoin d’être un fin limier non plus pour deviner que les années d’avant préfiguraient déjà une remise à plat des canons du genre, celle de la musique à guitare. Bien qu’à peu près impayables, les eighties auront quand même laissé échapper des disques de la trempe de ‘Doolittle’, ‘Damaged’, ‘Repeater’, ‘Daydream Nation’, ‘Isn’t Anything’, ‘Psychocandy’ ou ‘On Fire’ (Galaxie 500)… En gros, que des albums aux idées longues pourtant imaginés par des jeunes gens écartés des écoles d’art.

Mais voilà, il fallait attendre 1991 pour que ces signes avant-coureurs ne prennent l’allure d’un énorme panneau clignotant au milieu du désert. Merci Cobain (ci dessus avec ses Nirvana et Sonic Youth). Mais pas que. Rappelez-vous (ou imaginez) une époque où sortaient à quelques semaines d’intervalle ‘Loveless’ de My Bloody Valentine, ‘Bandwagonesque’ de Teenage Fanclub, ‘Spiderland’ de Slint, ‘Out Of Time’ de R.E.M., ‘Screamadelica’ de Primal Scream, ‘Goat’ de The Jesus Lizard, ‘Green Mind’ de Dinosaur Jr… On arrête là pour le name dropping mais vous avez compris : voilà une pelletée de disques bien ancrés dans la mémoire collective. Si on devait s’appliquer au champ lexical du marketing, on pourrait même arguer que le marché était arrivé à sa maturité. De nombreuses portes ont été ouvertes et il ne restait plus qu’à s’y engouffrer. Pour citer les exemples les plus flagrants, il y eut le fameux couplet calme/refrain coup de boule des Pixies transfiguré ensuite par Nirvana en hit planétaire, ou la power-pop sursaturée de The Jesus & Mary Chain portée à un autre niveau d’expérimentation par My Bloody Valentine.

Au-delà, du succès commercial et artistique de quelques-uns, c’est toute la culture ‘alternative’ qui s’est retrouvée exposée au grand jour. Et les majors – toujours dans les bons calculs – de signer dans la foulée, et à tour de bras, des groupes pourtant loin du du Billboard pour tenter le carton déjà réalisé par Geffen avec Nirvana. Ce qui explique en gros comment The Jesus Lizard ou ces gros tarés de Butthole Surfers ont pu atterrir chez Capitol.

Certains clameront que c’est précisément là que les choses ont commencé à sentir le sapin. J’ai plutôt tendance à penser que ce petit coup de pouce du destin à en fait permis à beaucoup de bénéficier du petit plus d’inspiration ou de l’exposition qu’ils méritaient justement. Comment expliquer sinon les succès suivants – et autant critiques que commerciaux – de Pavement, The Smashing Pumpkins, Beck, Guided By Voices, Weezer ou Mazzy Star (photo ci-dessus) ? (On écarte ici volontairement la Britpop, un mouvement plus réactionnaire qu’inscrit justement dans cette ‘vague’.) Admettez le, ça valait quand même le coup de se coltiner ces gros tâcherons de Foo Fighters par la suite.

Et bien figurez-vous que l’année 1997 constitue en fait un autre pic, une autre incroyable moisson touchée par le divin. Ok, on en fait peut-être des caisses, mais jetez un œil à la petite liste ci-dessous si vous avez des doutes :

On peut aussi ajouter à ce top 10 le colossal ‘Ok Computer’ si on n’est pas trop tatillons sur l’étiquette rock alternatif. Avouez que ça en jette. Même si ces albums ne sont pas pour la plupart aussi ‘cultissimes’ de notre côté de l’Atlantique, ils renouvellent encore un genre pourtant déjà bien labouré, avec un sens de l’écriture et une intention absolument fraîche (pour l’époque). Comment qualifier autrement pour ne citer que lui, le fabuleux ‘The Lonesome Crowded West’ de Modest Mouse (photo ci-contre) ? Une fresque ahurissante du midwest américain, pleine de religieux flippants, de cowboys alcooliques et d’interminables routes au milieu du désert. Une relecture complètement névrosée de Kerouac et Dylan sur fond de guitares stridentes et de rythmiques concassées.

On souligne ce point parce que c’est aussi là que les choses ont commencé à se gâter. Peut-être que tout ce qui pouvait être dit à base de mélodies bancales et torturées a fini par l’être avec ce dernier grand jet, comme l’apothéose d’une décennie même pas encore révolue. Force est de constater que c’est à partir de 1997 que l’inspiration a commencé à s’étioler. Beaucoup de ces héros aux gueules lambdas on fini par se répéter (et du coup le geste devient moins impressionnant) soit par raccrocher. Et côté nouvelles têtes, là encore, le tribut aux aînés avait l’air trop lourd pour afficher une quelconque audace.

Et n’allez pas nous parler du fameux ‘revival’ démarré début 2000 avec The Strokes, Interpol, The Whites Stripes, et tous les ‘The’. On ne va pas discuter de leurs qualités ici mais reconnaissons ensemble qu’à l’exception de quelques-uns (Arcade Fire, The Yeah Yeah Yeahs, Liars…), pratiquement tous ont joué sans recul du pastiche en plongeant allègrement les doigts dans l’héritage sixties et seventies. Le début de la rétromania en somme. Et les amateurs de nouveautés n’ont plus eu qu’à lorgner du côté du hip-hop et de l’IDM pour tenter d’assouvir leur intarissable soif.

Depuis, on continue quand même à s’enflammer pour certains disques du genre parce que, hé, c’est difficile de tourner le dos à ses premiers amours et sa ‘famille musicale’. Et parce qu’en vrai, aussi, il continue de sortir des albums tout à fait honnêtes chaque année. Sauf qu’on aimerait quand même un peu plus de pas de côté, de mise en danger ou de travestissement pour ressentir le grand frisson. Suffit d’aller faire un tour au parc de Saint-Cloud, fin août, à Rock en Seine, pour s’apercevoir que plus grand monde né après 1997 n’en a quelque chose à foutre des guitares. Là où les ventres bedonnants et les cheveux gris se rassemblent religieusement devant The Jesus & Mary Chains, At The Drive-In et Slowdive, les kids surchauffés à la vodka Redbull ingurgité fissa avant la fouille se pressent eux pour voir Vince Staples ou Denzel Curry, autrement plus emballants sur scène. Chaque époque à ses canons de genre, et peut-être que le rock alternatif est à placer définitivement sous une vitrine. Ou peut-être qu’un soubresaut peut encore se produire. Et ouais, nous voilà bien avancés.

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