Zombie Zombie en bande organisée

Zombie Zombie en bande organisée

On pourrait passer beaucoup de temps à analyser comment Zombie Zombie, symbole de l’avant-garde parisienne au moment où le rock se répand comme une traînée de poudre dans l’Hexagone, puise dans les bandes-son analogiques du cinéma et du krautrock. On pourrait aussi réfléchir longtemps à la signification du titre de son dernier effort. Vae Vobis, ou ‘Mort à vous’, sonne tel un appel de l’empire, et résonne comme un sort jeté aux dominants ! Hormis quelques lignes de vocoder ponctuant jusque-là leur discographie, le chant semblait être la seule ficelle qu’Etienne Jaumet, Cosmic Neman et Dr Schonberg n’avaient point tiré de manière audible. Car il n’y a rien de désinvolte chez ce groupe qui opère souvent dans le cadre d’un amusement conscient. Alors qu’il semblait être au sommet de son art, cet album est une énième tentative manifestement sincère d’insuffler de nouvelles couleurs à sa créativité. Bien qu’une grande partie de ce que nous classons sous le nom de disco cosmique donne souvent l’impression d’être suffisant, branché, voire émotionnellement aride, Zombie Zombie embrasse une fois de plus les aspects cosmiques de ses influences rétro, les films de science-fiction de série B, le disco italien, Jean Michel Jarre, le prog rock méditerranéen, et campe le tout avec un style new age et des concepts généraux énigmatiques. Cet hymne du Consortium inspiré par des idées apocalyptiques de l’humanité, et qui joue ironiquement avec la préhistoire hippie et trippante de la musique électronique, dévoile dans l’espace psychique de notre folie un album complexe et addictif, en contrepoint électrique qui nous aveugle par son sérieux.

Alors que, comme des zombies, on a tous l’impression de renaître de nos cendres en cette période post-Covid, dans quel état d’esprit abordez vous cette nouvelle actualité ?

Etienne Jaumet : Les zombies ont toujours été à la mode. C’est devenu le mythe de notre société, on ne sait plus vraiment qui pilote nos cerveaux. Il y a quelque chose qui nous dépasse, et ce mot zombie a plus que jamais une résonance dans l’actualité, bien qu’elle ne date pas du COVID malheureusement.

Est-ce que vous vous êtes consacrés à de nouvelles activités pendant ces deux dernières années ? Je pense notamment à votre live au Levitation avec Sonic Boom. Est-ce que ce projet est né pendant le confinement ?

Cosmic Neman : Ça fait longtemps qu’on connait Sonic Boom et qu’on admire son travail. Ce n’est pas toujours évident de trouver le temps de monter des projets ensemble, même si on a déjà joué avec lui à Villette Sonique notamment. Le projet au Levitation était assez libre, sans réflexion derrière. C’était surtout pour le plaisir de jouer ensemble. C’était un rêve d’adolescent et un réel plaisir de jouer avec lui. Nous serions ravis de rééditer cela. Je pense qu’il suffirait qu’on lui propose. A mon avis, il accepterait.
Etienne Jaumet : Pourquoi pas un prochain album ? Mais, pour revenir à ta question, on a essentiellement passé ces derniers mois à composer ce nouvel album. Le projet est parti de quelques fantasmes comme l’usage des voix avec du texte en latin, puis on s’est envoyé des fichiers à distance.

Une autre de vos influences, c’est la musique de film. Depuis votre dernier album, vous avez de nouveau collaboré avec Sébastien Manier pour son dernier film. Est-ce que vous pouvez nous raconter votre rencontre et cette affinité artistique qui vous lie ?

Cosmic Neman : On s’est rencontré il y a quelques années sur son premier film, Irréprochable, après que son ingénieur du son Benjamin Laurent nous ait recommandé. On avait travaillé ensemble sur la BO du premier film de Narimane Mari, Loubia Hamra. Les conditions de cette rencontre étaient assez particulières car nous n’avions qu’un mois pour faire la musique du film. Heureusement, ça s’est très bien passé, donc il nous a naturellement proposé de composer la musique de son second film, avec beaucoup plus de temps cette fois. Son prochain film qui sort bientôt s’est fait sans nous car je crois qu’il voulait de la musique classique.
Etienne Jaumet : C’est moins notre registre (rires)

Est-ce que votre façon de travailler diffère profondément selon que vous travailliez sur une BO ou non ?

Il faut essayer de comprendre ce que veut le réalisateur. La musique, on la fait souvent assez facilement et rapidement mais avant, il faut trouver le point de rencontre
Cosmic Neman : Il y a un exercice de style à prendre en compte. La plupart du temps, on garde notre style étant donné que le réalisateur nous contacte parce qu’il aime ce qu’on fait. Mais ça reste quand même une commande, avec un cahier des charges précis qu’on n’a pas forcément lorsqu’on produit nos propres albums. C’est un exercice amusant et excitant qui nous permet de nous exercer sur des choses qu’on aurait fait différemment de prime abord, ou qu’on n’aurait pas fait du tout. Par exemple, on a dû faire un reprise de Patti Smith et composer avec une chorale d’enfants : des choses pas évidentes pour nous à la base.
Etienne Jaumet : On aime bien se mettre de nouveaux défis à chaque album. On avait fait une musique pour un spectacle de cirque avec des contraintes différentes de celles d’un film, sur la longueur des pistes par exemple. En général, ce type de projet nous permet de nous confronter à des choses qu’on a jamais faites.

Parlons de votre nouvel album qui nous plonge plus que jamais dans votre univers. Est-ce qu’on peut dire que la pandémie a été une aubaine pour votre créativité ?
Je ne sais pas si ça a été une aubaine, mais ça nous a laissé du temps en tous cas ! On ne savait pas quand on pourrait de nouveau répéter ensemble, du coup on a eu le temps de digérer nos idées.
Cosmic Neman : Au bout de presque 15 ans, on avait le sentiment d’avoir fait le tour de ce qu’on pouvait faire. Cette période nous a donné le temps de renouveler un peu notre musique.

D’où le chœur en latin ?

La période qu’on vivait nous a donné envie de créer une secte. C’était le moment où jamais de trouver quelque chose qui nous fasse un peu revivre. On s’est mis au latin, on a créé le consortium, et on essaie de recruter un maximum d’adhérents sur cette tournée. Grâce à elle, on va pouvoir sensibiliser le maximum de fidèles à cette langue morte qu’est le latin. On l’espère en tous cas (rires). C’est dans ces moments apocalyptiques que se créent des religions. On reste très discrets mais, sait on jamais, ça peut prendre des proportions.

Et quel rôle tient Virginie Leroux dans cette secte ?

C’est notre première fidèle (rires). Au début, on était un peu en dilettante, on traduisait nos textes sur Google, et JB nous a incités à faire les choses un peu plus sérieusement en reprenant de vraies déclinaisons linguistiques. Virginie, qui est une néo-latiniste, nous a été d’une grande aide pour trouver des idées et des textes, notamment chez Erasme qui a traduit beaucoup d’écrivains antiques. Il y a beaucoup d’adages très courts qui peuvent avoir plusieurs significations. On a essayé de jouer avec tout ça pour laisser les gens interpréter nos textes librement.

L’idée des chœurs est venue après la dernière BO ?

Effectivement, c’était la première fois qu’on travaillait avec le chant. Certes, c’était une chorale d’enfants mais ça nous a mis l’eau à la bouche. On a utilisé les mêmes principes que ceux qu’on utilise pour nos percussions avec les boîtes à rythmes.
Etienne Jaumet : On a souvent utilisé le vocoder dans nos mélodies avec peu d’harmonie. Les choeurs ajoutent de l’épaisseur et de la richesse aux accords. On aime bien les sons acoustiques et les sons électroniques, donc c’était parfait.

Vous signez chez Born Bad après près de 15 ans chez Versatile. Est-ce aussi un signe de ce renouveau artistique ?

Cosmic Neman : C’est surtout un changement de religion (rires). Versatile, c’est un label parisien avec des gens que l’on côtoyait et connaissait déjà, donc les choses se sont faites naturellement. On a travaillé longtemps avec eux, et c’était bien de changer un peu, de trouver une nouvelle énergie. Même si on était très contents de ce qu’on a réalisé avec Gilbert, ce changement a juste été l’occasion de trouver une nouvelle impulsion. Pour les gens aussi je pense que c’est intéressant de changer plutôt que de faire un énième disque au sein du même label. Cela nous a permis de faire les choses différemment. On n’aurait sûrement pas fait le même disque si on était resté chez Versatile.

J’ai lu ici et là que vous passez très peu de temps en studio. Est-ce que le fait d’avoir enregistré au OneTwoPassit sur la console Neve a influencé votre manière de travailler ?

Etienne Jaumet : Il y a toujours une interaction différente à chaque enregistrement. On aime bien jouer avec ce qui nous entoure, avec le contexte. On aurait pas fait le même disque ailleurs. On ne fait pas une musique assez précise pour réussir à maîtriser et s’affranchir de la personne avec qui on le fait, ou de l’endroit où on le fait. On va dire que ce n’est pas une musique écrite, elle est plus liée au feeling.
Cosmic Neman : Le principe reste toujours le même. On fait les prises assez rapidement car les bases du morceau sont enregistrées en direct. Par contre, on va prendre plus de temps pour les arrangements et les effets. Effectivement, dans un tel studio où il y a pas mal de périphériques et d’effets à disposition, on a pris le temps de les utiliser. C’est vrai que c’est plaisant d’utiliser de vraies machines en studio, comme des reverbs à plaques, des delays ou des chorus, même s’il existe aujourd’hui de très bons plug-in qui font très bien le job. On n’avait pas prévu de mixer avec Laurent De Boisgisson, mais ça s’est fait naturellement après l’enregistrement qui s’est bien passé. Il n’ y avait pas forcément de plan d’attaque précis. C’est un studio avec lequel Born Bad travaille souvent, et on était contents de découvrir ce nouvel endroit. On a souvent enregistré nos disques sur des consoles analogiques, que ce soit avec Joaquim (Rituels D’un Nouveau Monde) ou Angy Laperdrix (Slow Future) qui fait notre son sur cette tournée. Effectivement, à part le premier disque qui a juste été masterisé au magnéto à bande, on n’est pas forcément des puristes du full analogique. En tous cas, on aime bien enregistrer en direct et jouer tous ensemble plutôt que de faire des disques pendant des semaines. Et puis ça coûte très cher d’aller en studio.

Vous vous apprêtez à monter sur scène. Comment se passent les retrouvailles avec votre public ?

Etienne Jaumet : Les gens ne connaissent pas encore le disque donc c’est marrant de voir comment ils réagissent aux nouveaux morceaux. J’ai hâte de voir comment ils réagiront une fois que le disque sera sorti.
Cosmic Neman : C’est vrai que c’est plus difficile d’emporter le public que lorsqu’il a déjà écouté le disque. Donc il faut qu’on prenne cela en compte, en jouant aussi les morceaux des autres albums histoire que les gens puissent se retrouver un tout petit peu. L’accueil est plutôt excitant, ça se passe très bien pour l’instant.

Est-ce que vous vous projetez déjà sur le prochain projet ?

Etienne Jaumet : La prochaine étape sera une collaboration avec Philippe Druillet qui a fait la pochette de notre disque. Nous sommes en train de monter un spectacle avec ses dessins, des projections de lumière…
Cosmic Neman : C’est dans le programme de la Philharmonie au printemps 2023, et ce sera un spectacle sur le thème de ce disque.

Crédits photos : Camille Bokhobza

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