24 Nov 23 Zahn, au bout de l’inspiration
Monté il y a quelques années par deux membres de Heads (Chris Breuer et Nic Stockmann) et un guitariste live de Einstürzende Neubauten (Felix Gebhard), Zahn fait tout sauf office de projet amateur. Après un premier LP sorti en 2021 où le trio nous concoctait une recette originale de kraut et de noise rock, voilà que cette fin d’année de 2023 voit arriver son successeur, Adria : un album concept où les Allemands poussent un cran plus loin leurs diverses expérimentations sans pour autant semer l’auditeur en chemin. Chris Breuer, qui tient à la fois la basse et le label Crazysane Records, a pris le temps d’éclairer nos lanternes quant à l’univers du groupe, à mi-chemin entre vintage et modernisme.
Nic et toi, vous vous connaissiez depuis Heads. Comment avez-vous rencontré Felix ? Vous vous connaissiez déjà avant de créer Zahn ?
Chris Breuer : Nous avons donné un concert avec Heads où nous avons fait la connaissance de Felix, que je ne connaissais pas jusque-là. Il s’est immédiatement montré très sympathique avec nous et nous avons spontanément organisé une répétition autour d’une limonade bien fraîche dans la salle de l’UT Connewitz à Leipzig.
J’ai le sentiment qu’Adria est votre album le plus varié jusqu’à présent. J’entends bien sûr du krautrock, du psyché et du noise-rock, mais aussi de l’ambiant/post-rock (par exemple sur Schmuck), du post-metal (sur Zehn), de l’électro/hip-hop (Apricot), même des mélodies proches de King Crimson (époque 80s) ainsi que quelques sonorités surf-rock. En même temps, je trouve l’ensemble très homogène et cohérent. Comment en êtes-vous arrivés à ce résultat ? Était-ce un long processus d’écriture ?
Nous avons travaillé sur plusieurs ébauches pendant un certain temps, en essayant de les transformer en morceaux complets. Étant donné qu’il n’y a ni couplets ni refrains dans la musique instrumentale, il y avait une grande liberté dans la manière d’assembler le tout. À quelques exceptions près, nous n’avions pas de direction précise au départ. Notre seul concept assez vague était de créer une sorte d’album de vacances qui saisirait les moments décalés, mélancoliques et contemplatifs. J’ai toujours pensé aux vacances dans les années 80 où, enfants, il arrivait qu’on se retrouve coincés pendant des heures sur la banquette arrière d’une petite voiture exigüe, embrumés dans la fumée de ses parents car tout le monde fumait n’importe où à cette époque. Nous sommes de gros fans de musique et aucun d’entre nous ne se limite à un genre spécifique : nous sommes très ouverts et cela se reflète dans l’album. Il y a trop de choses à découvrir, tant d’artistes et de groupes uniques. Au fil du temps, on se retrouve à accumuler beaucoup de musique et, finalement, ces influences refont surface sous une certaine forme. En tout cas, ça me fait plaisir que tu trouves l’ensemble cohérent : c’était l’idée !
Ce nouvel album est composé de 11 titres et dure plus de 80mn, soit bien plus longtemps que votre précédent. Est-ce que cela vient du fait que vous avez été plus efficaces et inspirés ?
Notre album précédent était comme un instantané auquel nous n’avions pas beaucoup réfléchi, sur lequel nous nous sommes trouvés en tant que groupe. C’est son côté à la fois brut et spontané qui font pour moi tout son charme, et je ne pense d’ailleurs pas qu’on enregistrera à nouveau en deux jours. Avec Adria, nous voulions voir jusqu’où nous pouvions aller artistiquement : nous avons investi beaucoup de notre temps et nous sommes vraiment satisfaits du résultat.
Pourquoi avez-vous encore choisi Peter Voigtmann pour enregistrer ce nouvel album ? Aviez-vous joué ensemble dans The Ocean à l’époque, ou étais-tu déjà parti quand il a intégré le groupe ?
Peter est un très bon ami, même un frère pour moi… Il possède depuis quelques années ce magnifique studio appelé Die Mühle dans une ferme près de Brême. De plus, c’est un passionné du son, il est très talentueux en plus d’être un type extra. Puisque nous vivons tous à Berlin, il s’est avéré bénéfique de sortir de l’agitation de cette grande ville pour se vider la tête lors de l’enregistrement de cet album. Et en fait, j’ai rencontré Peter lorsqu’il travaillait comme éclairagiste pour The Ocean : ça a directement matché entre nous, donc sommes devenus bons amis.
J’ai ressenti comme une véritable narration tout au long de l’album, par exemple au travers des variations d’intensité. L’ordre des morceaux est-il issu d’une longue réflexion collective, ou est-ce qu’il vient naturellement ?
Je suis content que tu aies remarqué cela car nous avons, en effet, investi beaucoup de temps pour essayer d’offrir à l’auditeur cette sorte de ‘voyage sauvage’. Dans le monde actuel qui privilégie plutôt les sorties de singles et dans lequel beaucoup gens ne se donnent plus le temps d’écouter des disques entiers, sortir un double album nous a semblé au départ insensé. Au début, nous pensions faire deux albums distincts, pensant que ce serait peut-être trop demander aux gens d’écouter un double album. Cependant, en écoutant les morceaux, il est vite devenu évident qu’on ne pouvait vraiment pas les séparer les uns des autres. Nous avons donc décidé d’emprunter une voie plus originale. Je crois qu’on a parfois tendance à sous-estimer les auditeurs.
Le krautrock est-il un style de musique important pour tous les trois ? Avez-vous grandi avec cette musique, ou l’avez-vous découverte plus tard ?
On adore l’attitude du krautrock, le fait de pouvoir tout essayer sans limite. Les rythmes motorik sont cools, mais il y a bien plus que cela.
Certains morceaux comme Yucattan 3E me semblent très cinématographiques. Avez-vous également été inspirés par des films – de science-fiction en particulier – ou des visuels lorsque vous avez composé Adria ?
Nous sommes assez friands de bandes originales de toutes sortes, avec en tête les classiques : John Carpenter, Ennio Morricone, David Lynch / Twin Peaks, etc. Ca me fait plaisir que tu associes le morceau Yuccatan 3E aux bandes originales de science-fiction. C’était tout à fait intentionnel et pendant la dernière partie du morceau, j’ai souvent pensé à un Miles Davis fatigué, flottant dans sa combinaison spatiale autour de la capsule spatiale, qui serait incapable de rentrer à l’intérieur.
Tu as également créé ton label. Peux-tu nous en dire plus ? Quels types de groupes sortez-vous ? Avais-tu envisagé de sortir Adria via Pelagic étant donné leur visibilité ?
Crazysane Records existe depuis 2016 et j’ai pu me constituer depuis une communauté très fidèle. Il n’y a pas vraiment de genre précis concernant les groupes présents sur le label. Cependant, la musique que je publie doit avoir quelque chose d’unique. Si tu écoutes des groupes comme AUA, Zement ou Zahn, tu comprendras ce que je veux dire par là. Pelagic est un label fantastique avec une large portée, mais nous voulons que tout cela reste dans la famille. Jusqu’à présent, cela a très bien fonctionné pour nous. Avec Crazysane, je sors nettement moins d’albums par an, mais j’ai aussi la possibilité de m’en occuper largement, bien au-delà de la date de sortie. Cela fait quand même une grande différence.
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