Yoo Doo Right s’en remet à la force de son destin

Yoo Doo Right s’en remet à la force de son destin

Chaînon manquant entre les pionniers du rock expérimental teuton et l’illustre mouvance ‘post-rock’ montréalaise, le trio canadien Yoo Doo Right était récemment de passage sur le Vieux Continent pour y présenter A Murmur, Boundless to the East, un impressionnant second LP. Au terme d’une tournée exaltante qui les aura vus déployer leur implacable mur du son dans des lieux aussi divers qu’insolites, on est parvenus à grappiller quelques instants précieux à Charles Masson (bassiste), entre la descente du tour bus et le sound-check, afin de tailler le bout de gras sur les bancs du Botanique à Bruxelles. Au menu de cette interview : patates pilées et pulled-pork sandwich pour un service shoegaze psychédélique 3 étoiles.

Comment s’est passée votre tournée européenne jusqu’à présent ?

Charles Masson (basse) : Les concerts sont très différents d’un pays à l’autre, surtout parce qu’il y a des règlements propres à chacun. Nous on joue fort, c’est comme ça qu’on pratique et qu’on construit nos morceaux, c’est comme ça qu’on texture, qu’on écrit. Souvent, ils veulent que ma basse sonne comme un spaghetti mais moi, je veux qu’elle sonne comme des patates pilées !
En Suisse, on s’est retrouvé dans une situation assez compliquée où on nous a demandés de jouer à un volume très faible. On pensait vraiment dire : ‘on ne peut pas, on annule, on comprend, ne nous payez pas, on s’en va‘… Mais ça ne fait pas partie de nos valeurs d’annuler quelque chose pour lequel on s’est engagés. Alors plutôt que de tirer un trait sur cette date, on a décidé de faire quelque chose qu’on n’avait jamais fait avant : un set durant lequel Justin (Cober – guitare/voix/synthés), assis seul sur scène, faisait des textures de guitares pendant les 20 premières minutes. Puis, je me suis pris une chaise, John (Talbot – batterie/percussions) est allé s’asseoir derrière un tout petit kit de drum qui appartenait au bar, et on a joué des versions lentes des chansons qui le permettaient. On ne savait vraiment pas ce que ça allait donner, on était certains que ça allait être la pire chose qu’on ait jamais faite. Finalement, il y a une dame qui nous avait vu la veille à Besançon et qu’on a eu la surprise de voir en Suisse le lendemain, et elle nous a dit : ‘Hier c’était pour le corps. Aujourd’hui, c’était pour l’esprit. Les deux étaient vraiment super‘. C’était de l’improvisation et ça a finalement bien fonctionné. Tout le monde était surpris, nous les premiers.
On a aussi joué dans une très petite salle à Chemnitz en Allemagne, l’Aaltra, dans une ambiance de café. Là, on a senti que ça pourrait être bizarre, mais on s’est lancé en se disant que ce n’était pas grave, qu’on était en Allemagne, que les gens savaient ce qu’ils venaient voir… Il y avait peut-être 25 personnes au début. Quand on a fini de jouer, il y en avait trois… On a compris que ça n’était pas passé ce soir-là… (rires)
Toutes les autres fois, on a pu livrer un concert de qualité. À Berlin, on a fait un show dans un espace géré par des punks, un espace DIY dans un quartier industriel, du genre ‘monte ton matos tout seul au quatrième étage’. Les salles autogérées, c’est souvent le meilleur public. C’était un des concerts mémorables de la tournée, dans une ambiance complètement différente de celle de la Rodia à Besançon, qui est une salle subventionnée par l’Etat, où il y a une équipe complète d’employés qui nous attendait à notre arrivée.

Votre second album est excellent. Peux-tu me parler de votre évolution depuis le premier ?

Le premier, on l’a composé en tant que nouveau groupe, et pendant une période de transition durant laquelle on est passés du format quatuor à celui de trio. Donc la moitié a été écrite avec le quatrième membre. Dès qu’il est parti, on est passés à la vitesse supérieure, on s’est mis à composer plus rapidement, sans passer notre temps à réfléchir. En plus à quatre, c’était plus difficile de nous réunir tous en même temps. Là, on a traversé la pandémie en étant tout le temps ensemble tous les trois, on passait 30 à 35 heures par semaine au local donc on a pu vraiment y mettre toute la patience qu’il fallait. On a aussi eu un plus gros budget pour l’enregistrement, donc on a pu aller dans un studio de renom – le Hotel2Tango – pour enregistrer avec un icône, Radwan Ghazi Moumneh (ndr : ingé son et leader de Jerusalem In My Heart).

Incroyable artiste et musicien… Quel a été son impact sur votre son ?

Je ne pourrais pas dire concrètement ce que Radwan a apporté parce que nous avons vécu deux expériences différentes pour chaque album : très amateur pour le premier, tandis qu’on a pris le temps de s’asseoir et de penser au second, puis de passer des week-ends complets assis à ses côtés pour pouvoir bien balancer tout ça. Pour Don’t Think You Can Escape Your Purpose, notre budget était plus serré, donc tout se faisait à distance, à l’arrache. Ca a été beaucoup plus fastidieux pour un résultat qui nous a un petit peu moins plu. Pour celui-là, on a fait preuve de plus de patience, et Radwan a amené des idées, doubler certaines pistes de basse par exemple.
C’est aussi grâce à lui qu’on a pu avoir des invités de marque comme Jessica Moss, qui est une de ses grandes amies. Nous, on est fans de tout ce qu’elle fait depuis qu’on est adolescents. Donc on s’est dit presque en blaguant que ce serait bien qu’elle vienne jouer du violon. A peine avions-nous fini notre phrase qu’il était sur son téléphone pour lui demander de venir. Ça s’est fait comme ça. Le lendemain, elle était là, elle a juste complètement ‘freestylé’ sur deux morceaux après avoir écouté un peu l’album. Même si c’est discret, c’est vraiment bénéfique aux deux titres en question.
En fait, c’est simplement qu’on a enregistré cet album sur la deuxième marche de l’escalier au lieu de la première, et ça donne un résultat qui nous a vraiment satisfaits. Par rapport à tous ceux qui étaient emballés par le premier, on se retenait un peu, on leur disait d’attendre la suite. On ne veut pas non plus être prétentieux ou quoi que ce soit, mais bon… On avait hâte que cet album sorte. Là, il se dévoile au compte-gouttes depuis deux mois mais le grand jour arrive.

Comment va la scène post-rock à Montréal pour l’instant ? Je sais que c’est un terme très galvaudé…

On n’aime pas ce terme-là, on le déteste en fait. Si on dit qu’on joue du post-rock, les gens vont se dire ‘j’ai déjà vu Explosions In The Sky 100 fois, je n’ai pas besoin…‘, alors que ça n’a rien à voir ! Donc même si le genre fait partie de notre ADN, on essaye de se départir un peu de cette étiquette parce que Yoo Doo Right, ce n’est pas que ça. On mise vraiment sur l’amalgame de toutes nos influences amassées depuis notre jeunesse. Moi, je préfère dire shoegaze planant avec des touches psychédéliques.

Qu’est-ce que ça vous a fait d’enregistrer au mythique Hotel2Tango où tant de chefs d’œuvre ont été mis en boite ?

On ne se le cache pas, c’est pour ça qu’on a contacté Radwan. On connaissait bien le studio, et on savait que c’était là-bas qu’on pourrait se rapprocher du son de nos influences. Donc oui, c’est intéressant de pouvoir reprendre ce flambeau-là, qui est un peu abandonné sur la scène montréalaise. On le reprend avec un peu de gêne, mais si les gens nous le tendent, ça nous fait plaisir de le prendre. Après, c’est vrai que, au sens strict, la scène post-rock montréalaise est pratiquement morte désormais. Elle n’existe plus. Il n’y a pas grand monde qui tente de la ressusciter de cette manière-là, nous les premiers.

Votre nouvel album sonne très riche et ample : comment allez-vous faire pour le restituer en live ? Est-ce que c’est un challenge pour vous ?

Non, absolument pas. Ça se fait naturellement, en fait. Chez nous, on a encore moins de difficultés, on dit aux gens : ‘ça va être fort, mettez-vous des bouchons, on vous les paye d’ailleurs, voici une boîte pleine‘. Finalement, il y a très peu de différences entre le live et ce qui est sorti du studio. Une fois de temps en temps lors de l’enregistrement, Justin ajoutait une piste de guitare supplémentaire, mais c’est tout. Il n’y a pratiquement pas d’overdubs, seulement en certaines occasions, notamment lors de la séance de violon. Notre travail en studio est beaucoup moins sophistiqué, compliqué, expansif que celui d’autres artistes qui – eux – ont un son en live et un autre en studio. Nous, on y va un peu avec la même ambition, avec si possible quelques variations en live sur la longueur de certains titres. Autrement, on ne se sert pas de l’opportunité qu’on a d’être en studio pour rajouter un million de choses. On devrait peut-être le faire, on est peut-être trop impatients. On aime surtout composer des chansons, contrairement à tous ces groupes dont on s’inspire qui vont souvent se perdre pendant 20 minutes, puis se retrouver à un moment donné du morceau. Nous, se perdre, on n’aime pas trop ça, d’autant que ça prend du temps sur le set et qu’on ne joue pas deux heures encore.

Vous travaillez toujours à trois pour composer ?

Tout le temps. En de rares occasions, Justin va arriver avec une idée sur laquelle partir, mais c’est arrivé peut être deux fois, sur SMB notamment. Autrement, on se met à trois, on passe l’après-midi à jouer, et à un moment donné il y a quelque chose qui sort. C’est affreusement simple en fait : on s’y met, et ça marche… On était au bon endroit au bon moment. Tous les trois avec le même objectif, la même envie. Quand toutes les conditions sont réunies, la magie opère. Parfois, t’essaies de monter un groupe et, au bout de cinq ans, t’as un EP qui n’est même pas bon… La force de ce qu’on ne contrôle pas nous a permis de faire ce qu’on fait, donc on embrasse chaque moment.

Est-ce que tu te limites à jouer de la basse, ou est-ce que vous vous partagez les tâches ?

C’est toujours quelque chose que j’ai voulu développer parce que Justin en a déjà beaucoup dans son assiette : il écrit les paroles, il chante, joue des synthés, de la guitare… Il est souvent très occupé. On m’a aussi ajouté un synthé pour que je puisse y faire quelques basses et cumuler des couches. C’est peut être ça qu’on va prendre le temps de faire pour le troisième album, parce que les deux premiers se sont faits d’une façon très précipitée, l’un après l’autre. On a rien d’écrit en ce moment qui n’ait pas été enregistré. On repart vraiment à neuf. Je vais donc essayer de prendre un peu dans l’assiette de Justin pour en mettre dans la mienne, pour qu’on puisse peut-être trouver une autre façon de fonctionner plus efficace. Mais oui, Justin a une grosse part de responsabilité dans la grosseur du son.

Comment est-ce que vous vous êtes retrouvés à faire un split EP avec Acid Mother’s Temple ?

On était au concert d’Acid Mother’s Temple à Montréal. Chaque année, ils font une tournée de 40 dates pendant environ 40 jours. On s’est liés d’amitié avec leur tour manager qui s’appelle aussi Justin, un gars d’Atlanta avec qui ils travaillent depuis 20 ans. On cherchait à tourner, puis on jasait… Il nous a dit : ‘quand Acid Mother’s Temple part en tournée, ils prennent un groupe plus jeune. Vu qu’ils viennent du Japon et ne louent pas de matériel, ils demandent souvent au groupe qui les accompagne de leur prêter le sien. Si jamais, je pourrais glisser un mot et si ça fait l’affaire, je reviens vers vous‘. C’est ce qui s’est passé. On n’y croyait pas trop, ça relevait un peu des discussions qu’on peut avoir tard le soir, à rêver à voix haute après avoir bu des bières. Puis ça s’est concrétisé. Au mois de mars, on est parti de Montréal, on a conduit 4000 kilomètres pour commencer la tournée à San Jose jusqu’à la finir à Los Angeles, et on a de nouveau conduit 4000km pour rentrer chez nous. On a du faire l’aller-retour à peu près quatre fois (rires). C’était incroyable de côtoyer ces légendes. La communication était parfois difficile vu qu’ils ne sont pas super anglophones, mais on s’est liés d’amitié. Lors de la tournée suivante, ils sont venus dormir chez nous, et l’idée de sortir un split est venue assez naturellement.

Peux-tu me parler de votre nom de groupe, Yoo Doo Right (ndr : nom d’une chanson du groupe Can) ?

On était un peu inquiets que ça puisse gêner les fans de Can qu’on emprunte le nom d’une de leurs chansons. On a joué une fois devant Malcolm Mooney qui vit maintenant en Amérique du Nord, et qui était venu nous voir. Il était assis en train de manger son pulled pork sandwich avec sa famille et, après le concert, on lui a demandé ce qu’il pensait du nom. Il nous a dit : ‘c’est super, allez-y‘. On a aussi failli tourner avec Damo Suzuki, ce qui nous a aussi rassurés. On craignait qu’en Allemagne les gens puissent se sentir offensés. Puis finalement, on a joué à Munster et il y avait plein d’hommes de 70 ans qui, à l’époque, allaient à ces concerts-là, qui étaient amis avec Can, avec Neu !… Et ils sont venus nous complimenter sur le nom, ce qui fait que maintenant, on est en paix avec ça. Moi j’avais voté pour une petite variation, pour qu’on s’appelle Yoo Doo Wrong. Les autres m’ont dit non, donc le compromis a été d’utiliser cette variation sur nos réseaux sociaux.

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