YachtClub, idéal sonique

YachtClub, idéal sonique

On souhaite bon courage à tous les disquaires de France pour trouver le bac adéquat au premier album de YachtClub. Car comme sur son précédent EP, le groupe tourangeau surclasse toutes les étiquettes. Math-rock ? Expérimental ? Pop ? Dada ? Un peu de tout mon capitaine ! YachtClub décide de ne pas choisir ou plutôt, de s’inventer une voie bien à lui. Entouré de claviers rigolos, de guitares trafiquées, de cloches, de pédales d’effets en tous genres, le quatuor met en scène une chorégraphie des sons génialement tordue. On est allé discuter avec la moitié du groupe – soit Yurie Hu (chant/claviers) et Bastien Torre (batterie/composition) – pour percer l’origine de cette musique indomptable. On n’en dévoile pas plus, tout se lit en-dessous. Et pour le reste, vous pouvez toujours vous repasser Machoc en boucle, jusqu’à ce que votre cerveau fonde sous le coup de ses mélodies acidulées.

Je vous ai vus sur scène il y a quelques mois au festival Hop Pop Hop à Orléans. Vous jouiez tôt et devant un public qui, visiblement, ne savait pas trop comment réagir à votre musique. Ça arrive souvent ce genre de réaction hésitante pendant vos concerts ?

Bastien Torre : Ce jour là, des concerts hyper différents étaient programmés. Je comprends que certaines personnes aient pu être surprises en tombant sur nous. Mais ça va, c’était quand même cool. Généralement, ce qui surprend les gens, c’est la forme des morceaux qui partent dans tous les sens, et puis toutes ces préparations d’instruments qu’on a sur scène.
Yuri Hu : Ça interpelle. Même s’ils ne nous connaissent pas, les gens sont happés par ce truc.
Bastien Torre : C’est vrai qu’il y a plein de petites choses à regarder.

Justement, racontez-moi comment vous en êtes venus à développer une musique comme celle-ci, ‘qui part dans tous les sens’ comme tu la décris, Bastien.

On s’est tous connus dans la même école de jazz à Tours. On jouait chacun dans les groupes des uns des autres. Je ne dirais pas que c’était consanguin, mais tu vois l’idée [sourire]. A Tours, on est toute une bande de musiciens, comme ça, à fond dans la recherche de sons. On avait déjà monté un groupe avec Thomas, l’un des guitaristes de YachtClub, qui s’appelait Tasty Granny. C’était du prog-rock avec plein d’impros bruitistes, des morceaux de 20 minutes… C’était un peu notre labo de recherche. On s’en est servi pour poser les bases du son de YachtClub, même si la forme était moins pop.
Yuri Hu : A cette époque, j’avais mes propres projets. Tous ces groupes que les gars écoutaient – Micachu, Deerhoof, etc – je ne les connaissais pas. Ce sont eux qui m’ont fait découvrir ça.
Bastien Torre : Oui, on l’avait entendue chanter et on avait envie de l’intégrer à notre truc, de lui faire découvrir tous ces groupes qu’on écoutait.

Yuri, le fait d’avoir été longtemps à l’écart de cette scène rock expérimentale, tu penses que ça t’a permis d’apporter quelque chose de neuf ?

Yuri Hu : Je ne sais pas… Je suis violoniste de base. Cette musique était nouvelle pour moi, je voulais surtout apprendre. Ce qui est encore le cas aujourd’hui.
Bastien Torre : Au début, notre musique était plutôt instrumentale. On ne savait pas vraiment comment placer de textes dessus. Puis Yuri est arrivée. C’est elle qui chante et qui écrit les paroles. En anglais et en coréen. C’est carrément un apport pour nous.

Les musiciens rock qui disposent d’une formation musicale classique ont souvent tendance à agir en rejet par rapport à celle-ci. Vous vous situez où vous ?

Ce qu’on retient de notre formation, c’est la capacité d’improvisation et la recherche de sons. Même si nos concerts sont écrits et scénarisés, il y a toujours des passages qui vont être différents d’un concert à l’autre. C’est d’ailleurs le truc qui nous aide à continuer. Sinon, on n’est pas des jazzeux. On a joué du vieux swing à l’école mais ce qui nous intéressait, c’était plus de renverser les instruments, d’en faire quelque chose de nouveau.

On parle aussi d’impro mais les morceaux de YachtClub conservent quand même une structure assez pop.

Oui. Parce qu’en vrai, on fait des chansons.
Yuri Hu : Il y a pas mal de richesses et d’influences qui cohabitent dans nos morceaux, mais comme ils sont enveloppées dans un format assez pop, je pense que pas mal de gens peuvent les aimer. Ce qui est drôle, c’est que ce sont les enfants qui adhèrent le plus vite à Yacht Club.
Bastien Torre : A Tours, on a participé à un travail de médiation culturel avec des enfants. On leur a présenté nos clips, nos instruments modifiés, la trilogie des ‘Tôle’… Direct, ça les a fait marrer !
Yuri Hu : Finalement, moins tu as de références et plus tu vas à l’essentiel. Tu vois juste quatre musiciens sur scène qui s’amusent et c’est suffisant.

En parlant de la trilogie des Tôle, c’est vrai qu’il y a sur votre EP un morceau nommé Tôle. Et sur ce premier album, il y a Tôle et Tôle 3. C’est quoi l’histoire derrière ces titres ?

Bastien Torre : Je compose souvent par séries de morceaux comme avec les Tôle ou Toc qu’on retrouve sur l’EP et l’album. Ce sont des trilogies où je m’impose des sortes de règles. Il y a une manière de composer et des éléments sonores propres à ces morceaux. Je trouve ça amusant qu’on puisse retrouver des correspondances de ce genre entre les disques.
Yuri Hu : C’est comme pour Star Wars ! En revanche, il n’y a pas d’histoire à proprement parler à l’intérieur de ces morceaux. Sur Toc, je joue plus avec la sonorité des mots, et dans Tôle, ce sont des petits contes sans rapport entre eux.

Dans leur ensemble, vos morceaux ressemblent beaucoup à des assemblages de boucles…

Bastien Torre : Je ne suis pas du tout le genre de compositeur à écrire un morceau à la guitare et l’orchestrer ensuite. Chez moi, l’orchestration vient souvent d’emblée à partir d’un matériel sonore que je vais chercher à étirer. Par exemple, si je trouve une cloche à Emmaüs, je vais l’enregistrer puis la modifier en la faisant passer à travers tout un tas d’effets. Et c’est ce son qui devient la base du morceau sur lequel je place ensuite des mélodies. Finalement, la musique de YachtClub ne pourrait pas exister en dehors de nous quatre car nous apportons chacun des sonorités spécifiques.

Mais d’après vous, est-ce qu’il est encore possible d’inventer de nouveaux sons ? Avec la facilité d’emploi de logiciels comme Ableton, tout paraît déjà ‘dans la machine’. 

On reste attaché aux sons organiques. Même si les sons produits à partir d’Ableton peuvent être très beaux, on ne les utilise pas parce qu’on préfère les sons acoustiques. Ils ont une profondeur qu’une machine ne peut pas reproduire, même s’ils sont triturés ou électrifiés.
Yuri Hu : Je pense que l’utilisation des sons peut encore évoluer. Il y a des possibilités infinies. Pour nous, utiliser des éléments acoustiques, c’est aussi un moyen d’entrer en contact avec le public. Il nous voit directement produire ces sons sur scène.
Bastien Torre : C’est pour ça qu’on n’utilise jamais de boucle non plus. Et ce travail d’agencement rejoint celui de Tiffanie Pichon, notre graphiste. Elle fait plein de collages, des dessins aux feutres… Elle n’invente pas de textures mais sa façon de jouer avec les éléments, elle, est originale.

On dirait que tout YachtClub tend à une quête exploratoire assez formelle finalement. Vous ne cherchez pas à exprimer une autre intention que celle de votre musique. 

Oui, il y a beaucoup de ça. Je ne pense pas qu’il y a dans notre manière de composer un autre engagement. Après, selon moi, c’est aussi un enjeu social que d’essayer de créer quelque chose qui peut sembler bordélique mais qui au moins n’existe pas déjà partout.

Est-ce qu’il y a des disques qui ont été déterminants dans cette approche de la musique que vous défendez ?

L’album Never de Micachu and The Shapes. Celui-là, on l’a vraiment écouté à fond tous les quatre. Au-delà des morceaux, c’est vraiment l’approche de Micachu qui nous interpelle : elle compose des bandes-son de film, elle fait des lives de musique électronique, elle fabrique ses propres instruments… Même si notre musique ne ressemble pas à la sienne, on développe une démarche assez similaire. Sinon, Thomas Bonvallet de Powerdove a un peu été notre idole lorsqu’on a commencé à faire de la musique. Avec son projet solo L’Ocelle Mare, il a développé tout un dispositif avec plein d’objets de partout pour produire de la musique seul. C’est un truc un peu dingue ! Enfin, l’album Colossal Youth de Young Marble Giants est aussi une grosse référence. Mais il y a encore d’autres disques qu’on pourrait citer…

Pour terminer, est-ce que vous pouvez me parler un peu du collectif Capsule dont vous faites partie ?

C’est un collectif de musiciens basé à Tours, à l’esthétique très large. Il y a des groupes de free-jazz, d’indie, etc. Ce qui nous réunit, c’est la volonté de défendre des musiques de marge devant un public qui n’y est pas forcément exposé.
Yuri Hu : Là, on touche à quelque chose de plus politique.
Bastien Torre : Arnaud Fièvre, qui est chargé de la coordination du collectif, essaye vraiment de développer tout un travail de médiation culturelle. Mais de manière intelligente. L’idée n’est pas d’envoyer YachtClub dans un quartier en disant aux gens ‘écoutez, voilà la vérité‘. On cherche toujours la forme que ça peut prendre. Mais comme la région nous a beaucoup soutenus, on se doit en retour de participer à la collectivité.


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