22 Juin 23 WuW, frères d’armes
S’agissant des musiques dites ‘à guitare’, et plus particulièrement des formations post-metal, les duos ne courent pas vraiment les rues. Et ne parlons même pas des fratries… Avec WuW, Guillaume et Benjamin Colin cumulent pourtant ces deux caractéristiques depuis bientôt sept ans et trois albums. Baignant dans la musique depuis leur plus jeune âge, ces deux multi-intrumentistes nous sont revenus en ce début d’année avec L’Orchaostre, sorte de monolithe pleinement carthatique regorgeant de contrastes allant du sombre anxiogène à la lumière salutaire. Benjamin (batterie), le plus jeune des deux frangins, nous dresse le portrait de cette histoire de famille.
WuW, qui, quoi, où, comment ?
Benjamin : J’ai formé le groupe avec mon frère, Guillaume. On a toujours fait beaucoup de musique ensemble, dans divers contextes, notamment dans Abrahma qu’on a quitté juste avant la sortie du premier album. Ça ne collait plus, surtout d’un point de vue organisationnel car lui partait dans le Sud, moi je tournais beaucoup avec d’autres groupes… Pour la première fois, on s’est donc retrouvé tous les deux sans projet, du coup on a senti que c’était le moment de repartir ensemble. Sans trop se poser de question, on s’est mis à jouer cette musique-là. On a sorti un premier disque qu’on avait presque fait comme une démo dans mon studio, je l’ai mixé, les potes trouvaient ça cool, on a été signé, et la machine s’est mise en marche. On a eu de la chance, et on s’est laissé guider.
Vous faisiez déjà de la musique ensemble quand vous étiez gamins ?
On a eu tous les deux une formation classique, on a fait le même conservatoire. Moi je suis le petit, donc je le suivais pas mal. Il a commencé par le violon, j’ai fait pareil, il est passé aux percussions, j’y suis passé aussi… À l’adolescence, on a acheté nos premières guitares puis, assez rapidement, il est resté à la guitare, moi à la batterie. Notre tout premier groupe était déjà un duo. Après on a appelé des potes, on écoutait du doom, du power metal, du métal extrême… On a commencé par écouter Nirvana, Fugazi, et quelques années après, on a fini avec Sepultura, Immortal…
Et ces instruments plus classiques que vous avez appris au conservatoire, vous n’avez jamais eu l’envie de les intégrer à votre musique, à l’instar de Godspeed You! Black Emperor par exemple ?
On fait très attention aux couleurs qu’on amène dans le projet, histoire de ne pas être dans une sorte de ‘fourre-tout’, que ce soit en termes de sons ou d’esthétiques. Celles qu’on a amené en plus jusque-là étaient surtout à base de percussions, de synthés années 70 comme le Korg MS20. On en rajoute à chaque album mais on essaye de ne pas trop s’éparpiller. On a une idée assez précise de l’identité sonore qu’on souhaite et, à partir de là, on cherche des textures particulières. Sur le premier album, rien n’a été prémédité, on se cherchait. Sur le second, on avait plus conscience de ce qu’on voulait faire. Sur ce nouvel album, il y a une vraie réflexion, une volonté d’être plus concis, de sonner métal et un peu moins post rock, d’être mieux produit. Il y a toujours ce côté un peu lofi qu’on revendique. Tout est saturé, le son est volontairement assez crade. Lors des prises, j’utilise du très vieux matériel et j’ai tendance à beaucoup saturer les préamplis micro.
Vu que vous n’êtes que tous les deux, et que vous empilez les couches, comment vous procédez pour composer ?
Sur le premier album, soit on jammait un peu ensemble, soit ça se faisait devant l’ordinateur. Mais en gros, au fil du temps, vu la distance qui nous sépare, Guillaume a pris l’habitude de venir à Paris pour une durée d’une semaine ou deux, avec des riffs qu’il a déjà un peu travaillés. Là, on pré-sélectionne ensemble, puis on enregistre ses idées sur Protools et on construit les morceaux à deux, devant l’ordi. Ça part très souvent d’une première trame de guitare, sur laquelle on va en rajouter d’autres, ou des synthés. C’est un peu l’inverse du processus d’enregistrement classique où les groupes arrivent en étant prêts, et enregistrent batterie, puis basse, puis guitares… Finalement, on compose en même temps qu’on enregistre, comme à une certaine époque où les mecs jammaient et balançaient tout à l’arrache dans un studio qu’ils réservaient pendant deux mois.
Ce nouvel album alterne entre ambiances un peu sombres et d’autres plus lumineuses. Vous dites vous-mêmes qu’il est inspiré de l’état actuel du monde, de la crise écologique actuelle…
Il y a forcément des références écologiques et d’autres plus globalement anxiogènes sur le monde dans lequel on vit. En tous cas, il y en a plus sur ce nouvel album que sur les précédents. Ce n’est pas un album concept mais il y a quand même cette notion d’unité qui fait que les morceaux sont liés entre eux. Auparavant, les titres étaient plutôt très longs et indépendants les uns des autres. L’Orchaostre est accompagné d’un texte, d’un petit poème écrit par Guillaume, avec des références à un potentiel monde post-apocalyptique qui nous guette. Cela dit, on reste ouvert, loin des clichés, on ne veut pas trop marquer les choses pour laisser de la place à l’imagination. L’Orchaostre ne veut rien dire, c’est un mot qu’on a emprunté à Alain Damasio, un auteur de science fiction qui l’emploie dans son roman Les Furtifs. Il fait souvent ce genre de jeu de mots. On aimait bien ce que ce mot évoquait de façon générale, et ça correspondait bien aussi à ce que nous cherchons à faire passer dans notre musique, ce mélange de choses à la fois ordonnées – parce qu’on ne la considère pas comme complexe – et chaotiques.
Et cette pochette à la fois froide et complexe répond-elle à ce cahier des charges ?
C’est Brian Cougar qui l’a faite, comme celle du deuxième album d’ailleurs. On a décidé de retravailler avec lui parce qu’on aime beaucoup ce qu’il fait. On ne lui a donné aucune autre indication que celles d’écouter la musique, de mettre en valeur notre logo, et de faire quelque chose d’aussi efficace pour les vinyles que pour les plateformes de streaming et leurs applications mobile qui mettent généralement les pochettes en petit format. Donc je pense qu’il a juste bien écouté et bien retranscrit tout cela parce que ça fonctionne bien.
Et cette volonté de simplement numéroter les morceaux de 1 à 5 ?
Ça, c’est moi. Il y avait une vraie volonté de ma part de briser le genre de titres à rallonge, très littéraires, qu’on a pas mal utilisés par le passé. Au bout d’un moment, il faut changer, sinon tu finis par avoir l’impression de te singer toi-même. Autant musicalement, j’aime les albums assez concis, qui ne font pas de grand écart; autant c’est dommage de reprendre toujours les mêmes gimmicks. Je voulais quelque chose de simple, avec du sens, sans cliché. On est donc parti à l’opposé de ce qu’on avait fait jusque-là. Même chose pour le texte de Guillaume : on s’est demandé s’il fallait le traduire en anglais. On a essayé, ça ne marchait pas, donc on l’a laissé en français et le traduira qui veut. Et si personne ne le fait, ce n’est pas très grave au final.
Ce nouvel album sort sur Pelagic Records. Comment vous êtes-vous retrouvés sur ce label ?
On avait signé pour trois albums chez Prosthetic Records. On en a fait deux, mais en février 2021, on a reçu un mail de Pelagic nous disant qu’ils avaient écouté un titre sur une playlist Spotify et qu’ils seraient partants pour nous offrir un contrat. Du coup, on était content mais on ne savait pas vraiment comment faire vis-à-vis de notre label américain. On ne voulait pas partir comme des sauvages, donc on a réfléchi, tortillé un peu des fesses et en même temps, on était assez flattés parce que Pelagic, c’était parfait pour nous. Clairement, on ne voyait pas comment obtenir mieux. Du coup, on a abordé le sujet avec Prosthetic. Ces mecs sont cools, te disent les choses noir sur blanc… Ils nous ont donc souhaité bon vent, et on a changé de label. Pelagic a un catalogue hyper-qualitatif donc, en terme de ciblage, c’est l’idéal pour WuW.
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