20 Sep 24 We Hate You Please Die, fameux trois-mâts
Le changement et l’urgence peuvent faire peur, mais ils ont l’avantage de nous plonger dans l’action, sans nous laisser le temps de tergiverser. C’est la situation qu’ont vécu les We Hate You Please Die début 2023, lors de la séparation avec Raphaël, leur ancien chanteur lead. Mais ne vous inquiétez pas, ils ont les épaules solides. Le double single Control et Sorority, qui avait suivi cette annonce, donnait le ton : leur punk rock n’avait rien perdu de son tranchant. Il s’était même doté, avec le passage de Chloé à l’écriture et au chant, d’un côté riot grrl porté par des textes engagés. Chamber Songs, leur premier album à trois, reste dans cette lignée. Il prend la forme d’un journal intime aux pages noircies de cris de ralliement, d’appels à la sororité et de pamphlets féministes qui crachent sur la validation patriarcale. Les compositions, quant à elles, recèlent une vraie richesse instrumentale et les morceaux à tiroirs procurent des shots d’adrénaline pour nous attendrir la minute d’après. Dans un café par temps grincheux, Chloé, Mathilde et Joseph nous donnent les clés de Chamber Songs, entre obsession pour le screamo, amour du noise rock et tâtonnements à la recherche du chant. Un album qui annonce une belle montée en puissance pour le trio et démontre sa soif de fédération et d’éveil des consciences, avec comme exutoire, l’intensité de leur son.
Cela fait maintenant plus d’un an que vous êtes passés à trois. Vous vous êtes habitués à la vie de power trio ?
Joseph : Oui, en quelques semaines, c’était déjà fait !
Vous êtes revenus assez vite après l’annonce de votre nouvelle configuration, avec le double single Control et Sorority. On a senti tout de suite que vous abandonniez le côté théâtral dû en grande partie au chant. Vous souhaitiez marquer le coup et montrer qu’à trois, vous ne perdiez rien de votre impact ?
Joseph : Je pense que cette évolution musicale et stylistique a été complètement naturelle. Elle vient surtout de nos goûts qui ont changé. Après sur le chant, évidemment, c’est différent.
Chloé : En fait, de base, on était déjà censé sortir un double single quand on était quatre, sur lequel il y aurait eu Control accompagnée d’une autre chanson. Du coup, non, on n’a pas eu cette réflexion, car Control avait déjà cette forme-là.
Mathilde : Tout ce processus s’est fait hyper naturellement, l’évolution sonore comme le changement du lead.
Chloé : Oui, c’est juste l’évolution de nos goûts et de nos envies, mais le fait que ce ne soit plus la même personne au chant donne effectivement une autre dimension.
Depuis cette sortie, vous avez pu appréhender la scène sur de nombreuses dates, notamment au Canada. Vous vous sentez maintenant complètement à l’aise en live ?
Joseph : Oui, carrément, notre premier concert à trois était à Evreux, très peu de temps après l’annonce de notre nouvelle configuration. Ca faisait un peu bizarre dans le sens où, pour ce show, on a directement joué quasiment exclusivement des nouveaux titres. C’était une expérience assez spéciale pour cela. Après, sur le fait de s’approprier l’espace sur scène à trois, ça s’est fait assez rapidement, assez naturellement et on est très content du résultat.
Mathilde : Tout s’est fait sur un an. On a commencé à travailler dessus au moment de l’enregistrement de Sorority et Control à l’automne 2022, puis on est passé à l’enregistrement en octobre 2023. Toutes les compositions, sauf quelques bribes qui étaient déjà dans les tiroirs, ont été créées sur cette période. Chloé a également écrit toutes les paroles entre février et octobre 2023.
Chloé : Oui, c’est ça, mais il y a quand même un paquet de chansons qui ont été faites en tout début d’année 2023. On avait besoin de nouvelles compos rapidement pour reprendre les tournées à trois. Le Canada arrivait, c’était un peu la pression. Après cette période de speed, on a pu travailler sur l’album plus sereinement. On a ajouté de nouveaux titres qu’on a testés en live, on s’est rendu compte de ce qui fonctionnait et de ce qui fonctionnait moins bien.
Le Canada était votre première tournée hors d’Europe. Ça a été une bonne expérience ?
Mathilde : Ça a été hyper formateur dans le sens où là-bas, personne ne nous connaissait. On avait fait peu de concerts à trois et c’était l’environnement parfait pour tenter des choses et apprendre à bien maîtriser le set sur scène, sans avoir une pression similaire aux dates en France où le public nous identifie.
C’est tombé à point nommé du coup. Vous aviez une source de stress avec l’obligation de composer rapidement, mais une tournée libératrice qui vous attendait.
Mathilde : Oui, on en a parlé entre nous, on s’est dit que ça allait nous faire du bien de partir pour dérouler ce set-là.
Vous avez commencé la promo de Chamber Songs avec Adrenaline, dont le clip a explosé les scores sur YouTube. J’ai descendu les commentaires pour voir un peu les retours. Joseph, ta moustache a été complimentée deux-trois fois !
Chloé : (rires) On a des pépites dans les commentaires !
Joseph : J’ai trouvé ça vraiment étonnant ! Il y a plein de gens qui portent la moustache, tu vois ? Et là, qu’une audience qui ne nous connaît quasiment pas en fasse un sujet à ce point-là, ça m’a vraiment surpris. (rires) Je venais de l’avoir, j’étais en plein questionnement existentiel depuis janvier. Je me suis dit ‘allez, ça fait des années que tu as envie d’essayer la moustache, on a pas de concerts pendant six mois, c’est le moment !‘.
Chloé : Je pense que c’est grâce à elle que le clip a si bien marché !
J’ai vu beaucoup de gens, notamment anglophones, dire avoir été attirés par votre nom plus qu’évocateur. Du coup les clips, en plus d’accompagner la musique, peuvent donner des clés de compréhension sur votre identité. Vous leur donnez une importance particulière ?
Chloé : Oui, sur Adrenaline par exemple, on a contacté Florent Dubois. Ça fait des années que j’adore son taf, il a fait quasiment tous les clips de MNNQNS. Mais globalement, je ne pense pas qu’on ait une esthétique hyper tranchée en fait. On fait appel à des artistes qu’on aime bien, que ce soit pour les clips ou la pochette. Ce sont des cartes blanches : on donne le thème de la chanson, les paroles, ce qu’on imagine, et ensuite on bosse ça ensemble.
Ce nouvel album semble être un bon défouloir. Je trouve qu’il y a moins de moments de respiration que sur Can’t Wait To Be Fine. Vous aviez envie d’un disque qui garde une intensité cathartique tout du long, de créer un exutoire ?
Joseph : Dans nos deux premiers albums, il y avait comme de longs interludes un peu chill, ce qu’il y a beaucoup moins maintenant. On passe par des cassures différentes à l’intérieur des morceaux avec des variations de rythme. Mais je pense en effet que l’album et les compositions sont un peu moins dans le pathos et dans le théâtre, elles sont plus directes, c’est un peu plus droit au but.
Le chant s’affirme sur ce disque avec un répertoire varié. Je pense à Flesh où il oscille entre lancinant et rageur. Chloé, peux-tu nous parler du travail que tu as fait sur la voix pour l’album ?
Chloé : Déjà, à la mise en place de notre nouvelle configuration et à mon passage en chanteuse lead, il a fallu que je découvre mes possibilités, car mon expérience dans ce rôle était assez succincte. J’ai dû faire le grand saut début 2023 quand on a été dans l’obligation de composer rapidement pour le live. Je me suis mise beaucoup de pression, très honnêtement, j’étais stressée de ce tournant. J’ai pas mal taffé ma voix, en me demandant ce que je pouvais faire, ce que j’aimais faire aussi. J’ai exploré et je pense voir de mieux en mieux la direction que je souhaite prendre. Je suis hyper contente car j’ai toujours voulu chanter en lead. Je n’avais pas imaginé que ce serait avec We Hate You Please Die, mais c’est quelque chose qui a toujours résonné en moi. Pour parler de l’écriture, car cela va de pair avec le travail sur la voix, je l’ai bossée majoritairement depuis chez moi. J’ai écrit plein de textes, je suis partie à la mer pour m’inspirer. C’est cliché mais parfois, tu n’as plus trop d’inspiration dans ta chambre ! Je voyais ça un peu comme une sorte de journal intime où je pouvais déblatérer mes pensées sur des sujets très personnels et des sujets plus engagés, parfois en mêlant les deux.
Joseph : On en parlait l’autre jour. Comme les premiers morceaux ont été créés dans une certaine forme d’urgence, et que Chloé découvrait sa voix au même moment, ça a amené cette diversité du chant sur l’album. Au fur et à mesure des compositions, elle essayait de nouvelles choses qui, à chaque fois, constituaient de nouveaux éléments de notre son.
Chloé : Du coup, sur les prochains albums, ce sera la suite de cette recherche. Peut-être qu’il y aura moins de diversité. Je ne sais pas où je vais, mais on verra bien !
Globalement, les sonorités oscillent entre plusieurs styles. Je pense au riff d’Automatic Mode qui m’a évoqué du grunge, au côté plus acéré de l’intro de Lust et aux accents noise. Même si vous restez sur une toile de fond punk rock, quelles influences allez-vous chercher pour enrichir votre jeu ?
Joseph : Dans mes inspirations, il y a en effet des éléments noise pour le côté très répétitif, voire du post-rock vraiment bizarre. Ça n’occulte pas l’essence de nos morceaux qui reste punk rock mais ça ajoute des à côté. Il y a des influences shoegaze aussi, plein de diversité. Mais oui, en définitive, le cœur des morceaux reste assez simple, avec un habillage qui nous permet d’étirer les chansons vers des univers un peu différents.
Je pense notamment à Luggage sur Can’t Wait To Be Fine où Mathilde, tu avais incorporé une rythmique Bossa à la batterie. Il y a des pas de côté similaires sur Chamber Songs ?
Mathilde : Oui, enfin Bossa très mal faite, mais un peu Bossa. C’est un rythme qui, de base, ne s’aborde pas comme ça, mais je l’avais adapté à mon jeu. On avait fait ça en blaguant au départ, puis on s’était dit qu’on pouvait en faire un truc. Pour cet album, et comme on a toujours travaillé, c’est Joseph qui fait les maquettes. Il nous les partage, Chloé fait le chant, on teste le tout en répétition. Les maquettes de Joseph sont de bonnes bases, mais les batteries restent très droites, du coup j’essaie de les adapter à mon style. Comme on disait pour l’évolution du groupe, on n’écoute plus du tout les mêmes choses qu’il y a six ans, où on était vraiment enfermés dans cette bulle garage rock. Moi, je me suis plongée dans une sphère post hardcore screamo, et j’essaie d’inclure des éléments plus énervés dans mon approche de la batterie.
Joseph, comme tu es celui qui réalise les maquettes, il y a des groupes qui ressortent spécialement dans tes écoutes et qui ont influencé ta vision instrumentale ?
Joseph : Je pense particulièrement à deux groupes qui, je pense, m’ont vachement marqué pendant toute cette phase créative. Le groupe GNOD, une formation anglaise. Il y a un côté noise rock avec beaucoup de larsens, une musique très répétitive sur certains titres et un son en vrai… un peu malaisant. Je trouve certains de leurs sons et de leurs riffs hyper inspirants. Je pense que ça m’a beaucoup influencé pour des morceaux un peu plus dans la répétition, un peu plus dans la monotonie pour creuser des ambiances, choses qu’on n’avait pas vraiment faites avant. Puis DITZ aussi, un super groupe qui arrive à faire des hymnes excellents, presque bruitistes. Pour le coup, eux arrivent très bien à creuser des ambiances sur un seul riff. C’est direct, très prenant, alors que les chansons ne sont pas très longues. Voilà, ce sont les deux découvertes qui m’ont vraiment marqué.
Ce disque est aussi l’occasion pour vous de donner plus d’importance à des sujets comme le féminisme, le droit à l’avortement et, plus largement, sur le fait d’être une femme dans notre société. C’est le thème qui vous tient le plus à cœur ?
Chloé : C’est un thème central, mais je ne me suis pas dit que j’allais en parler particulièrement. Ce sont juste des sujets qui me tiennent à cœur. Le droit à l’avortement, par exemple, c’est quelque chose que j’ai vécu et il y a des femmes qui, malheureusement, n’y ont pas accès. J’avais besoin de parler de ça. La sororité est également un thème qui fait partie de ma vie, donc, évidemment j’ai ce regard-là. Il y a Stronger Than Ever aussi qui parle d’émancipation, du regard masculin, de validation, tout ça… J’évolue dans un milieu avec beaucoup de femmes et j’avais envie d’écrire une chanson là-dessus, mais en utilisant la troisième personne pour les englober toutes. Tout ça m’est venu naturellement. Mais dans cet album, j’ai aussi des textes qui sont moins engagés tout en étant aussi personnels.
J’ai l’impression que vous donnez une portée sociale à la musique. On voit de plus en plus de groupes s’engager pour des causes, comme les Psychotic Monks ou Fishtalk. Est-ce que c’est important d’embarquer l’audience dans vos combats personnels ?
Mathilde : Oui, c’est essentiel. Personnellement, je trouve que, quand tu es un groupe de musique, c’est important d’être politisé, parce que tu as ce pouvoir, même si c’est à ton échelle, de transmettre des messages importants. Et je ne vais pas dire que tu fais changer de point de vue les autres, mais au moins tu peux fédérer autour de certaines valeurs. C’est ça qui importe.
Joseph : Quand tu es un tant soit peu une personne publique, je pense que c’est important de ne pas faire n’importe quoi déjà, et de faire s’éveiller les consciences. Après, il y a des groupes qui le font de façon très directe comme les Monks, et c’est super cool que ces artistes fassent ça. Nous, jusque-là, on ne s’est pas énormément exprimé en concert sur beaucoup de sujets.
Mathilde et Chloé : Pas en concert, mais sur les réseaux quand même !
Joseph : Oui, c’est vrai. En fait, c’est important de prendre la parole, mais il faut laisser les personnes qui maîtrisent vraiment leurs sujets partager leurs idées ou lancer des combats.
Mathilde : Je pense que nous, on affiche la base des choses. Sur le compte Insta, on a partagé des posts et des stories pour le Front Populaire. Là-dessus, il n’y a pas de débat, par exemple. Et je trouve ça bien aussi que des groupes comme les Monks aillent au fond des choses. C’est incroyable, mais nous, on le fait à notre niveau. En tant que personne, je suis vraiment politisée, parce qu’il faut être politisé, mais je suis hyper nulle en politique. Donc on va à l’essentiel.
Chloé : Tu peux avoir les idées sans forcément être calée. Du coup, tu ne te sens pas forcément légitime de partager des choses, tu crains de dire des conneries.
Mathilde : Et tu vois, le fait de partager juste la base, c’est à dire ‘on déteste les fachos’, c’est très bien et on est tous d’accord ! (rires)
Joseph : Finalement, c’est une question de légitimité. Il y a plein de choses sur lesquelles on a un avis, mais on ne s’exprime pas publiquement dessus, car je pense que ce serait mal venu d’essayer de porter sur le devant d’une scène un message, si on n’a pas une vraie connaissance dessus.
Pour reboucler sur la place des femmes. Est-ce qu’on pourrait terminer par la recommandation d’une artiste ou d’un groupe leadé par des femmes ?
Mathilde : Moi, j’en ai un ! J’en parle H24, je suis désolée… C’est Blind Girls, un groupe de screamo post hardcore qui est super et c’est une meuf qui hurle, mais de façon incroyable ! Elle joue sa vie quand elle hurle ! Il faut écouter, c’est trop bien !
Joseph : Moi, je pense à Laurie Anderson. C’est une chanteuse, productrice et musicienne qui a fait des titres archi cools dans les années 80 que ma mère m’a fait écouter il y a quelques années. Il y a notamment la chanson O Superman qui est très inventive. A écouter !
Photos : Non2Non (header), Nicolas Rivoire (live), Charlotte Romer (portraits)
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