UXÅ – UMEÅ, hardcore jusqu’à la mort

UXÅ – UMEÅ, hardcore jusqu’à la mort

Imaginez qu’une petite ville comme Pau compte une scène hardcore d’environ 150 groupes. Ce qui parait totalement déraisonné ici en France est pourtant devenu une réalité dans les années 90 à Umeå, cette bourgade isolée du Nord de la Suède désignée capitale culturelle européenne en 2014 et qui, sous l’impulsion de ‘parrains’ tels que Dennis Lyxzen (Refused) ou José Saxlund (Abhinanda), fut le théâtre d’un phénomène unique au Monde. C’est celui-ci que les français Gianni Manno, Theophile Pilault et Romain Massé ont voulu mettre en lumière à travers le documentaire UXÅ, A Journey to the Heart of the Umeå Hardcore Scene : un travail de plusieurs années passées à s’immiscer dans la ville, en sein d’une communauté soudée devenue une des plus influentes, pour en tirer 46 minutes qui se révèleront aussi intéressantes qu’instructives pour tous les passionnés de hardcore, avides d’explications, d’images d’archive, et d’interviews. Rencontre et discussion avec le trio réalisateur. 

Pour commencer, êtes vous vous-mêmes des enfants du hardcore ? Est-ce que cette culture et son esthétique sont des choses qui vous ont constamment accompagné durant vos parcours personnels ?

Oui, clairement ! Cela fait presque 20 ans qu’on écoute du hardcore. Pas uniquement, mais c’est une musique qui nous suit, et dont les codes, la dynamique et l’idéologie nous correspondent et ont accompagné notre jeunesse. D’ailleurs, nous sommes plutôt venus au hardcore par le biais du punk, plus que par celui du métal ! La point d’ancrage dans cette culture, c’est l’énergie créative et musicale. D’autant que l’aspect DIY et ultra-spontané du genre font que chacun peut se retrouver rapidement acteur de la scène, par le biais de l’organisation de concerts, de distro, d’édition de fanzines, comme de musique d’ailleurs !

Ce film est en préparation depuis plusieurs années. Qu’est-ce qui explique qu’il ne sorte finalement que maintenant ?

Le film est en effet en préparation depuis 2014, le moment où nous sommes partis à Umeå pour tourner. Toutefois, nous avons fait cela en parallèle de nos jobs respectifs (très prenants), et nous n’avions auparavant jamais fait de documentaire. Il fallait donc se trouver des moments afin de s’en occuper. Que ce soit pour le dérush, l’écriture, et surtout le montage, ce sont des choses qui prennent un temps fou et auxquelles nous n’étions pas habitués. Comme nous avions à coeur de le faire bien, nous avons pris le temps nécessaire sans se donner de réelles deadlines… La partie archive est très présente dans le film, et elle a nécessité un long travail de vérification, de recoupage d’information et de montage.

Pourquoi s’être concentré sur Umeå, plutôt que sur une scène hardcore plus originelle des États-Unis comme Washington D.C. par exemple ?

En 2014, la ville a été nommée capitale culturelle européenne. Dans le cadre de cet événement, Refused a été largement mis en lumière. Depuis The Shape of Punk to Come, nous avons toujours été fans de ce groupe. Et puis, à l’époque du tournage, toute une vague de nouveaux venus d’Umeå comme Masshysteri, Regulation ou AC4 nous inspirait beaucoup.

Vous vous êtes donc rendus là-bas. Comment avez vous préparé ce voyage ? Je suppose que vous n’avez pas pu y débarquer à blanc, qu’il a fallu trouver une base de contacts pour pouvoir approfondir ensuite ?

En fait, si, on l’a jouée à l’impro totale. Lorsque nous avons débarqué à Umeå, nous n’avions comme seul rendez-vous qu’une interview avec José Saxlund d’Abhinanda (photo ci-dessous à droite). C’est finalement de fil en aiguille, et au jour le jour, que nous avons pu rencontrer les différents acteurs de l’époque et du moment. José nous a fait passer le contact de Dennis de Refused (photo ci-dessous à gauche), ainsi que de Johannes de Cult of Luna… Ainsi, nous avons passé notre semaine à sillonner la ville, à courir avec notre matos pour réaliser le plus d’entretiens possibles. Nous sommes également allés à des concerts au Verket, cette salle alternative où on a pu attraper un maximum de monde de la scène locale. Il y a quelque chose de très bienveillant au sein de la scène d’Umeå. Les gens y sont très chaleureux et accueillants. Dès le milieu de la semaine, toute la ville savait que trois journalistes français rôdaient pour faire un documentaire sur la scène Hardcore. En même temps, Umeå, c’est moins de 80,000 habitants.

Le documentaire propose pas mal d’images d’archives, notamment de la jeunesse de Dennis Lyxzén et de Refused. On assiste même à un repas de famille vegan avec David Sandström, batteur du groupe. Comment vous êtes vous procurés ces documents ? Est-ce que les principaux intéressés vous les ont directement fournis ?

Pour ce qui est des images d’archives, nous avons vraiment travaillé avec le Centre d’archives de la ville qui nous a laissé les droits de ces images. Dans le cadre d’Umeå 2014, Capitale Européenne de la Culture, une cellule dédiée à la scène locale a été ouverte au sein des archives, le Umeå Hardcore Arkiv. Par ailleurs, nous avons également été fouiné en ligne pour trouver des vidéos de live. Et Gianni a pris le temps de contacter les propriétaire des ces images afin de leur demander le droit de les utiliser. Ils étaient assez enthousiastes au fait que celles-ci servent à autre chose que Youtube, mais effectivement il y a eu un vrai travail d’archéologie.
Quant aux acteurs, ils étaient à la fois flattés et surpris de notre démarche, mais ils se sont prêtés au jeu avec plaisir. Ils nous ont même plutôt intégrés à eux pendant cette semaine. Le chanteur du groupe Lycka Till – Viktor Hariz, qui est au centre de toute cette scène depuis plusieurs années et qui travaille comme journaliste – nous a vraiment pris sous son aile, et nous a ainsi ouvert pas mal de porte. Bien sûr, certains sont plus réactifs que d’autres à ce projet, mais nous n’avons pas eu de bâtons dans les roues de leur part. La plus grosse contrainte fut le temps.

On constate grâce au documentaire qu’il s’est passé la même chose à Umea qu’à Washington DC, mais avec dix ans d’écart. Je parle de ce passage au hardcore en réaction à ce que devenait le punk et son contexte parfois malsain, ce qui ne peut en aucun cas être considéré comme du mimétisme. C’est plus fort que cela. Pensez vous que cette raison d’exister, similaire entre ces deux scènes très productives, finit de faire du hardcore un phénomène de société ? Était il volontaire de votre part d’aborder le sujet de cet angle là également, ou est-ce que l’évidence est venue à vous ?

Pour ce qui est d’Umeå à l’époque de Refused ou Abhinanda, c’était clairement un phénomène de société au point que la majorité des gamins écoutaient cette musique très extrême, et adhéraient à ses dogmes qui peuvent encore paraître surprenants. Toutefois, nous ne voulons pas généraliser hors de cette ville. L’objectif était plutôt de montrer comment un style de musique et une culture ont pu prendre le contrôle d’une bourgade comme celle-ci, et de la faire rayonner au niveau international. Il se trouve qu’à Umeå, c’était le hardcore et c’est ce qui nous a attiré, car nous aimons cette musique. Mais ce que montre le film, c’est que s’il n’y avait pas eu 2 ou 3 des acteurs clés de cette scène, ça aurait pu être un tout autre style : la gabber ou le rap hardcore… Même s’il y a eu beaucoup de mimétisme. Le hardcore est d’abord arrivé en Suède en tant qu’objet esthétique. Il s’est politisé par la suite, parce qu’en plus d’écouter Earth Crisis, certains kids se sont mis à lire Guy Debord.

La cause straight edge, indissociable du hardcore, est également abordée. Êtes-vous vous-mêmes de fervents défenseurs de ce mode de vie ? On aurait tendance à le penser en analysant le choix des images qui illustrent le sujet…

Nous ne sommes ni pro, ni anti-straight edge. Par contre, nous tenions à respecter le discours tenu par ces derniers, et à mettre en avant la dimension politique et sociétale auquel ces kids adhéraient. Le documentaire montre également qu’ils prennent aujourd’hui certains aspects de ces discours un peu plus à la légère, et regrettent par moment qu’on les ait trop souvent réduit à cet aspect politique. Le fun, le côté cathartique tenaient des places majeures.

La scène hardcore locale a souffert de pas mal d’amalgames étant donné le militantisme qui régnait à l’époque. Avez-vous eu l’impression, à un moment ou un autre, que votre documentaire aurait pu avoir une toute autre nécessité il y a 20 ans ?

La question est plutôt, est-ce que le documentaire aurait pu exister il y a 20 ans ? À priori non, car il s’agit d’un documentaire au regard historique, témoin d’une certaine époque. C’est aussi la spontanéité et la détermination avec laquelle ces groupes ont monté ce mouvement qui en font sa force.

On comprend clairement que cette hyper productivité de la scène d’Umeå trouve sa source dans l’isolement de la ville, son système éducatif, mais aussi dans l’impulsion de Lyxzen, omniprésent tout au long du film, tel un parrain. Est-ce que vous avez pu clairement mesurer l’influence du bonhomme sur les musiciens locaux ?

Clairement les musiciens font très souvent référence à Dennis, mais plus comme un moteur, un entertainer qu’un parrain. Dennis, c’est le mec hyper-dynamique, toujours enclin à proposer de nouveaux projets. Et puis c’est une petite ville, tout le monde à le 06 de Dennis à Umeå.

Le documentaire reste en immersion au sein de cette scène, et on a finalement aucun point de vue externe sur ce qu’elle peut représenter. Pourquoi ne pas avoir laissé la parole à des groupes étrangers, à la population locale moins concernée par la musique, ou même à des élus ? 

Nous étions vraiment limités par le temps et avons travaillé de manière très improvisée sur les possibilités du moment. La vérité est que nous n’aurions pas eu le temps d’effectuer une interview supplémentaire, et notre priorité restait toutefois de nous entretenir avec un musicien de l’époque, plutôt qu’avec un élu ou la population locale. Par ailleurs, si nous avons bougé là bas, c’est aussi pour que le documentaire puisse retranscrire cette immersion. On espère que c’est le cas. Avoir Dennis Lyxzen sans passer par un attaché de presse dans son bar fétiche d’Umeå, ou Johannes Persson au pied de chez lui, en plein retour de vacances, fait aussi le charme d’UxÅ. Idem pour l’urgence de cette semaine de tournage.

Prévoyez-vous de rééditer l’expérience ? Avez vous déjà un nouveau sujet en tête ?

Pour l’instant, nous nous remettons de celui-ci, d’autant que nous allons prendre le temps de bien l’accompagner, à travers un maximum de projections. Mais nous ne sommes pas en manque d’idées : notre prochaine destination sera peut-être plus ensoleillée !

PHOTOS

Photos : Gianni Manno


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