
20 Juin 25 TVOD, famille heureuse
Les enregistrements sur 4-pistes Tascam ne sont plus que de lointains souvenirs pour TVOD (Television Overdose). Le sextuor new-yorkais, emmené par l’extravagant Tyler Wright, a frappé très fort avec Party Time, son tout premier ‘véritable’ album revêtant un post-punk particulièrement groovy et entraînant, susceptible de propulser la formation à la tête du peloton des groupes à scruter de près. Depuis, TVOD enchaîne les concerts sur les terres fertiles européennes dans la perspective d’exporter sa manière de festoyer et de célébrer collectivement. C’est avant leur performance excentrique et généreuse au Stereolux, à Nantes, que les six membres du groupe nous ont reçu pour discuter (très) jovialement et avec légèreté de leur trajectoire ascendante, de leurs aspirations ainsi que des habituelles difficultés que peuvent rencontrer aujourd’hui ceux qui font courageusement vivre le rock indépendant.
Vous avez déjà sorti deux albums avant Party Time. Pourtant, vous présentez ce nouveau disque comme votre premier. Est-ce parce que vous n’assumez pas les précédents ? Ou parce que vous considérez Party Time comme un nouveau départ pour TVOD ?
Tyler Wright (chant) : Party Time est un vrai album, tandis que Victory Garden est plus ce que je considère comme un EP dans lequel j’ai sans doute mis beaucoup plus de morceaux que ce que je n’aurais dû (rire).
Mud et Wells Fargo ont beau dater du début du groupe, ils n’apparaissent que maintenant, au tracklisting de Party Time. Pourquoi ont-ils mis tant de temps à voir le jour ?
Tyler : En fait, Wells Fargo était également présent sur le premier EP, Daisy, mais il s’appelait Wells Fargo Bank Account à ce moment-là. C’est un morceau que j’ai écrit il y a longtemps, probablement aux alentours de 2019/2020, pendant la pandémie. Après avoir été viré de mon boulot de l’époque, je n’ai rien eu de spécial à faire pendant plusieurs semaines, si ce n’est de la musique. Je l’ai donc enregistré la première fois sur mon petit 4-pistes, mais il ne sonnait pas aussi bien que ce que j’espérais. Plus tard, quand nous sommes retournés en studio pour le réenregistrer, nous sommes malheureusement arrivés à la même conclusion. Je sentais qu’il pouvait être bien plus impactant encore. C’est donc au moment de l’enregistrement de Party Time que nous avons fait une nouvelle tentative, cette fois-ci avec l’aide de Samuel Gemme et de Félix Belisle. Ce sont eux qui ont produit la dernière version et, selon moi, ça sonne bien mieux qu’auparavant. Pour Mud, ce fut à peu près la même chose.
Serge Zbritzher (guitare) : Wells Fargo a aussi évolué au fil du temps. Plus nous le jouions, plus il devenait lourd et puissant, et tout le monde appréciait cette évolution. C’est aussi pour cette raison que nous avons été amenés à l’enregistrer plusieurs fois.
Aujourd’hui, vous écrivez les morceaux de manière collaborative. A six, j’ose croire que cela ne doit pas être simple tous les jours… Avez-vous trouvé une manière de fonctionner qui vous convient particulièrement ? Comment est-ce que vous procédez concrètement ?
Denim Casimir (guitare) : J’ai le sentiment que c’est assez facile pour nous de travailler tous ensemble de cette manière. En général, Tyler arrive en répétition avec tout un tas de nouvelles idées. Il est plutôt très bon pour écrire et faire émerger certains thèmes et riffs. C’est à partir de cela que nous élaborons les morceaux. Chacun s’approprie alors les choses, puis ajoute progressivement ses idées, un petit ‘je ne sais quoi‘ (prononcé en français). (rire général)
Le disque a été enregistré dans les conditions du live au Gamma Recording Studio, à Montréal. Pourquoi ce choix ? Quels avantages ce procédé a t-il pour vous ?
Serge : Party Time n’a pas vraiment été enregistré en live. Certains morceaux ou certaines parties l’ont été en effet, et nous essayons de rester fidèle à cela le plus possible parce qu’on apprécie véritablement s’exprimer de cette manière, aussi parce que nous sommes surtout un groupe de live. Mais bien souvent, il y a des choses que l’on ne peut pas enregistrer simultanément. Alors, nous sommes obligés de procéder instrument par instrument.
Mem Pahl (batterie) : Il y a eu plusieurs morceaux que nous avons enregistré sans clic, en commençant par la batterie et la basse avant d’ajouter le reste progressivement. Mais aucun des titres présents sur le disque n’a réellement été enregistré avec nous six réunis dans la même pièce au même moment.
Tyler : Certaines pistes ont même été enregistrées chez nous, chacun de notre côté, puisque nous ne pouvions pas rester à Montréal plus longtemps et devions retourner à New York.
Party Time marie les riffs de guitare à des synthés nineties et possède un groove souvent irrésistible, ce qui fait de vous un pur groupe de rock new yorkais. Est-ce aussi sur ces critères que vous définissez l’ADN de votre ville ? Si non, quelle est selon vous la particularité du rock new-yorkais ?
Denim : En tant que new-yorkais pure souche, je dirais qu’il règne dans cette ville une sorte ‘d’esprit de lutte’ qui imprègne la musique qui s’y joue. Tout le monde galère, a un million de petits boulots à droite à gauche. Tout le monde galère et doit faire le nécéssaire pour arriver à ses fins. Ce qui n’est pas le cas de The Strokes évidemment ! (rire) Pour moi, c’est ça : le rock new-yorkais transpire l’acharnement nécéssaire et toutes les difficultés que les musiciens peuvent rencontrer là-bas.
Micki : Je crois que si nous ne nous étions pas tous rencontrés à New York, la musique que nous jouons actuellement n’aurait jamais pu exister.
Cet album est d’ailleurs censé incarner le mode de vie d’un artiste DIY à New-York aujourd’hui. Est-ce un statut que vous souhaitez voir évoluer, ou est-ce que l’éthique est importante au sein de TVOD ?
Tyler : Notre ambition est vraiment de toucher le plus de monde possible, de jouer devant de grandes foules. Nous avons le sentiment d’en être capables. Si on y arrive de cette manière, en restant fidèles à cette éthique, ce serait génial étant donné que c’est de cette façon que nous fonctionnons depuis le début.
Mem : C’est quelque chose que nous avons profondément en nous. Regarde la tournée que nous menons actuellement : les gens sont généralement très surpris que l’on n’ait ni chauffeur, ni tourneur, ni quelqu’un qui puisse s’occuper du son ou du merchandising !
Serge : Nous sommes les premiers surpris d’ailleurs. (rires)
Mem : C’est dans cet esprit que nous voulons avancer. Nous travaillons dur, et nous sommes prêts à faire ce qu’il faut pour que nos ambitions se concrétisent. Même si TVOD finit par ne plus faire partie de la ‘scène DIY’, ce qui arrivera probablement un jour ou l’autre, nous continuerons à porter ces valeurs qui nous caractérisent. Je ne crois pas que quelqu’un parmi nous devienne une grande diva dans un futur proche.
Serge : C’est également cela qui nous a permis d’arriver aussi loin, qui nous a poussé à travailler davantage. C’est aussi la raison pour laquelle nous ne nous préoccupons pas vraiment du succès que nous pouvons rencontrer, contrairement à notre communauté, à notre musique et aux concerts que l’on donne, que l’on veut les meilleurs possibles. Tout ce qui vient après n’est que bonus.
Les paroles de cet album s’attardent particulièrement sur les réalités douces-amères de la scène underground new-yorkaise. Pourquoi ce thème vous tenait tant à cœur ?
Tyler : Pour reprendre ce qu’a pu dire Denim auparavant, je me suis inspiré du fait qu’il faille lutter, sortir jusqu’à la fermeture du bar à 4h du matin pour évacuer ton stress. C’est un style de vie plutôt amusant, mais qui a un certain prix. Les paroles de cet album sont principalement à propos de cela : du prix à payer pour vivre cette vie-là.
Effectivement, vous parlez beaucoup de vos fins de soirées, mais en abordant aussi leurs côtés négatifs. Cette ambivalence, on la ressent d’ailleurs beaucoup à l’écoute de ces morceaux à la fois dansants et mélancoliques. Est-ce que TVOD est un groupe qui compose en fonction de l’ambiance de ses paroles, ou est-ce que Party Time est la vitrine la plus fidèle de l’identité musicale présente et future du groupe ?
Tyler : Nous avons déjà écrit un certain nombre de nouveaux morceaux depuis l’enregistrement de Party Time, et ils révèlent une nouvelle direction. Cet album n’est donc pas le stade final de notre identité musicale. Tu sais, j’écris beaucoup, à propos de beaucoup de choses, que ce soit sur la Seconde Guerre mondiale, sur ma femme, sur mon travail au quotidien ou encore sur le fait de vouloir disparaître subitement… Pour certaines raisons, les paroles de Party Time étaient essentiellement orientées sur le fait de faire la fête plus que de raison. Les prochains morceaux reflèteront sûrement davantage ma vie et mon état actuel.
Et cela aura une incidence sur la musique ?
Tyler : Oui.
Mem : La manière dont nous travaillons et écrivons fait que nous n’essayons pas de sonner d’une manière ou d’une autre. Nous ne nous fixons aucune limite. Les choses viennent naturellement, donc notre musique évoluera toujours en fonction de la manière dont nous évoluons en tant qu’individus.
Pour des raisons économiques, la tendance est plutôt aux trios voire aux duos. Vous, vous êtes six. Est-ce que vous ressentez parfois que votre line-up peut être un frein quand il s’agit de partir en tournée ?
Mem : Non, tout simplement parce que nous sommes en mesure de jouer partout, y compris au milieu de nulle part. Il pourrait n’y avoir aucun public, on continuerait quand même à s’amuser. Chaque concert est une fête pour nous, peu importe où l’on va. Nous sommes toujours super sympas, nous sommes une équipe, une joyeuse bande de hooligans !
Serge : Plus sérieusement, cela a quand même une incidence sur l’argent que nous touchons à titre individuel, mais c’est largement compensé par le fait que l’on s’entend tous très bien et que nous sommes tous sur la même longueur d’onde. Nous finissons par être une véritable famille nomade, et je n’échangerai jamais ça pour davantage d’argent. A moins que ce soit pour un montant astronomique ! (rires)
Micki : C’est une expérience intéressante. Souvent, tu rencontres plein de monde et c’est assez difficile de trouver des points communs. Nous six, même si nous avons tous un passé différent, nous partageons la même joie de faire de la musique.
Photos : Titouan Massé
Pas de commentaire