
21 Mar 25 Troy Von Balthazar, la musique comme bouée de sauvetage
Troy Von Balthazar a bien pensé ne jamais plus sortir d’album. Passé par d’importants problèmes de santé l’an dernier, le frontman de Chokebore a finalement trouvé la force et l’inspiration pour composer les douze nouveaux titres qui font Aloha Means Goodbye, un nouveau disque qu’il qualifie lui-même de très personnel. Plus que jamais son exutoire, sa musique a alors soudainement pris toute sa valeur dans son esprit parfois embué. On a donc tenté d’éclaircir le propos en discutant avec cette idole des jeunes des années 90 qui, depuis 2006, immortalise ses plus belles idées au fil d’albums enregistrés en quasi one-shot, aux imperfections voulues et assumées.
Tu vis en France depuis maintenant quelques années. Comment te sens-tu en tant que résident français ? Est-ce que Los Angeles et plus largement les Etats-Unis te manquent parfois ?
Troy Von Balthazar : J’adore la France. Je vis désormais à Angoulême. Auparavant, j’ai vécu dans le Limousin, ce qui a été une expérience assez intéressante car il n’y avait rien là-bas, seulement des vaches, des routes et des forêts. C’était cool ! J’ai vécu seul pendant trois ans avant de déménager dans un endroit un peu plus… habité. Pour être totalement honnête, je ne suis pas du tout nostalgique de mon pays. Je préfère la France, de loin. C’est bien ici : les gens sont sympas, c’est calme, et on n’a pas Donald Trump. Pas pour le moment en tout cas.
De son titre jusqu’aux sons de ukulele sur certains morceaux, Hawaii transpire pas mal de ce nouvel album. Est-ce que, contrairement aux USA, ton île est toujours présente dans ton esprit ?
Oui, clairement. Je rêve de la mer chaque nuit. Je pense très souvent à Hawaii. Tu sais, toute ma musique vient de mon enfance. Je me souviens qu’un jour, alors que je devais avoir une douzaine d’années et que je traversais seul un parc pour me rendre à l’école qui était très éloignée de chez moi, une structure en verre est apparue dans mon esprit. J’ai fermé les yeux et je la voyais qui ne s’arrêtait plus de grandir. C’était mon monde intérieur et je me souviendrai toujours de ce moment parce que je suis certain que toute ma musique, toute ma créativité, tout mon potentiel créatif est parti de là, de cet endroit, de ce moment. Du coup, ma musique m’y ramène très souvent.
Aloha veut à la fois dire « bonjour » et « au revoir » en hawaïen. Du coup, comment devons-nous interpréter ce titre ? Est-ce que cet album est une transition ou la fin de quelque chose ?
A un moment, je l’ai plutôt vu comme une fin parce que j’ai été en très mauvaise santé l’année dernière. J’ai même pensé à plusieurs reprises que j’allais mourir. Heureusement, tout est revenu en ordre donc je parlerais plus volontiers de transition désormais. Un passage vers quelque chose de meilleur, de plus bienveillant, de plus conscient. Je l’espère…
Quels sont les titres qui incarnent le mieux cet album selon toi ?
J’aime bien St. Patience, notamment ses paroles parce qu’elles décrivent parfaitement une relation que j’ai entretenue. J’affectionne aussi beaucoup Swimmer. C’est une chanson douce qui renvoie à un moment de mon enfance quand je pouvais admirer l’océan, mais qui reflète aussi très bien ce qu’a été toute ma vie. Nurse 13 est important également car il parle de ce que j’ai physiquement subi ces dernières années. Aloha Means Goodbye un album très personnel qui offre un regard sur ma vie et sur tout ce par quoi je suis passé.
C’est ton album le plus personnel selon toi ?
C’est le plus direct. Disons qu’auparavant, je parlais de toutes ces choses qui pouvaient ou pourraient m’arriver. Maintenant, j’écris sur ce qui m’arrive vraiment.
Revenons sur tes problèmes de santé… Penses-tu que cette période difficile a eu un impact sur ta musique comme sur tes paroles ?
À ce moment-là, je me suis agrippé à mes chansons comme un gosse peut s’accrocher à la jambe de sa mère. Je me sentais si perdu, si vulnérable, que je me suis totalement raccroché à la musique. Je n’avais qu’une petite heure de répit chaque matin, pendant laquelle je ne souffrais pas trop. J’en profitais pour aller au studio et tirer parti de cet instant. Mais bizarrement, c’est dans les moments où j’ai pensé véritablement que j’allais mourir que je me suis senti le plus serein. Là, je m’allongeais, je repensais à ma vie, et réaliser que j’ai finalement toujours fait ce que j’ai voulu me rendait heureux. Je revoyais l’époque Chokebore, tous nos albums, tout ce que nous avons vécu, les tournées, les bons concerts… Puis ma carrière solo qui est exactement ce que je voulais qu’elle soit… Tu sais, j’ai finalement pu faire de la musique pendant trente ans ! Et j’en fais encore aujourd’hui ! J’en entends encore dans ma tête chaque matin, quand je me réveille ! Bref, tout ça pour dire que devoir me pincer pour croire à tout ça a été le côté très positif de cette année difficile. Tu sais, quand tu es musicien, tu te demandes parfois si tu n’es pas en train de rêver, si tu l’es vraiment ! J’ai eu ma réponse, positive, dans ce contexte à la fois réel et angoissant.
Et comptes-tu mettre à profit cet éclair de conscience sur tes prochains albums ?
Bien sûr ! Je suis déjà en train de composer et d’enregistrer le prochain. Plus on vieillit, plus on apprend de nouvelles choses, plus on fait face à de nouveaux challenges. Tout ça atterrit forcément dans ma musique.
Donc, plus que jamais, les chansons de Aloha Means Goodbye ont fait office de thérapie pour toi. En repensant à ta carrière, est-ce qu’il n’en a pas toujours été ainsi entre toi et ta musique ?
Ma thérapeute m’a dit que je ne serais certainement plus en vie si je n’avais pas eu la musique. Je ne pense pas qu’elle soit censée dire cela mais elle m’a au moins permis d’en prendre conscience. La musique m’a amené à mieux gérer certaines choses qui trottaient dans ma tête. J’avais besoin de cet exutoire, de cette liberté, de cet espace sécurisant. Ça m’a permis de tout faire sortir, ma colère comme mes émotions. Que tu chantes ou que tu tapes sur une batterie, ça fait du bien !
Et comment te sens-tu aujourd’hui ? Tout cela est-il derrière toi désormais ?
Je vais bien mieux. Le pire est derrière moi. Je profite de la vie maintenant.
Ta musique a toujours été minimaliste. Selon toi, est-ce une réponse inconsciente aux années Chokebore, un besoin de rétablir l’équilibre ?
Je suppose, oui. En tous cas, c’était sûrement le cas au début de ma carrière solo alors que j’étais habitué au vacarme de la batterie et des guitares. Nous avons sorti cinq albums avec le groupe donc je voulais faire quelque chose de différent. Encore aujourd’hui, quand je compose, il m’arrive d’entendre une grosse batterie et plein de guitare mais je fais en sorte de ne pas retomber dans ce que j’ai déjà fait. J’essaye de dégager une énergie similaire mais d’une autre manière. Peut-être plus une énergie intérieure.
Donc tu en as fini avec le rock n’roll ?
(rire) Non, j’aime toujours autant ça ! J’ai plusieurs amis qui ont des groupes et j’adore aller les voir. J’y pense et en écoute tous les jours mais, pour ce qui est de ma musique, je la préfère plus paisible, avec des silences. Ca, c’est un gros challenge ! C’est ce qui me vient naturellement. D’ailleurs, chaque disque est un instantané de ce que j’étais au moment de le composer. Je ne pense à rien, je laisse faire. Mon seul souci est de composer, d’accueillir chaque chanson qui me vient et de la rendre la plus belle possible.
Le côté lo-fi de ta musique donne une impression de fragilité, peut-être même de haute sensibilité. C’est quelque chose que tu recherches lorsque tu composes ?
J’aime quand ma propre musique dégage quelque chose de très humain. A vrai dire, je recherche plus l’imperfection et l’honnêteté que la fragilité. Ça sonne un peu cliché mais c’est difficile de faire autrement quand tu parles de musique. En fait, j’aime les erreurs des voix humaines, les fausses notes… Je ne cherche pas à ce que tout soit parfait. Je n’utilise jamais d’autotune par exemple, et je n’en utiliserai jamais de ma vie ! Je me débrouille donc avec ProTools et tente de faire au plus simple. Pour cet album notamment, j’ai fait en sorte d’utiliser le moins de pistes possible. Deux ou trois morceaux vont peut-être jusqu’à cinq pistes ! J’ai donc essayé d’épurer au maximum, ce qui a été plutôt fun à faire ! Ca t’amène à aborder ta musique différemment. Avec ce logiciel, tu peux entasser une centaine de pistes si tu le souhaites, mais tu finis par te perdre. Ce n’est pas parce que tu en cumules beaucoup que ta musique est forcément plus puissante ! Je dirais même que c’est l’inverse ! Pour moi, il s’agissait donc de dessiner mes morceaux avec le moins de couleurs possible. N’en utiliser que deux ou trois, mais les bonnes !
Est-ce que cette acceptation de l’imperfection, c’est aussi ce qui t’amène à tout faire tout seul, de l’enregistrement au mix, alors que ça pourrait aussi être un danger du fait que tu te prives ainsi de critiques extérieures ?
J’ai réalisé cela au moment d’enregistrer mon premier album solo. En regardant autour de moi, j’ai bien vu que personne n’était là pour me conseiller ou pour me donner son avis. Jusque-là, je pouvais m’appuyer sur les gars de Chokebore qui étaient toujours très honnêtes avec moi. On se faisait énormément confiance. Là, étant seul, le plus dur était de savoir quand un morceau était vraiment bon et terminé. Je me suis donc seulement fié à mon feeling et c’est encore ce que je fais aujourd’hui pour passer d’un titre à un autre. Il m’arrive d’écouter une nouvelle chanson en boucle et de ne pas ressentir qu’elle est achevée. Du coup, comme j’enregistre quasiment en même temps que je compose, je peux chercher ce qui lui manque. Pour Her American par exemple, je voulais mettre un piano par-dessus la guitare acoustique, donc j’ai cherché le petit truc en plus qui était supposé venir se placer là, et cette ligne est sortie instinctivement. C’est ça, ce feeling ! C’est marrant mais du coup, je suis ensuite obligé de réapprendre toutes les chansons vu que je ne les ai quasiment jouées qu’une seule fois, en les enregistrant. De plus en plus, je m’efforce quand même de pousser la réflexion un peu plus loin, j’essaye d’entendre des mélodies plus abouties, ou de n’en prendre qu’une seule pour l’approfondir un peu plus. Parfois, j’en ai une dans l’oreille gauche, une autre dans l’oreille droite, une autre au-dessus, une autre derrière… C’est parfois difficile d’éteindre tout ça.
Seul ou avec Chokebore, tu as toujours évolué au sein de la musique indépendante. Comment la vois-tu aujourd’hui, comparée à celle de tes débuts ?
Tout est très différent désormais. Je pense néanmoins que si tu souhaites vraiment faire de la musique toute ta vie, tu peux encore y arriver aujourd’hui. Ce qui change, c’est toute cette auto-promotion par laquelle tu dois passer et que je déteste au plus haut point. Je hais Facebook, Instagram, TikTok. Je n’aime pas du tout devoir me vendre, montrer ma vie, ce que je fais. Auparavant, tu pouvais confier cela à ton label et ne pas avoir à t’en occuper. On faisait de la musique, il faisait le reste. Toujours est-il que tu dois vraiment être totalement impliqué dans ton projet si tu veux réussir. C’était déjà le cas à mon époque. Alors que tous mes amis avaient des vies bien rangées, des jobs normaux, moi je ne pensais qu’à mon groupe. Je n’avais pas de bagnole, pas de femme, pas de fiancée, pas d’appartement… Pendant des années, je suis allé de concert en concert, sans me soucier de quoi que ce soit d’autre, sans savoir si j’allais dormir par terre, dans une voiture ou à l’hôtel.
Tu as donc passé pas mal d’années au sein de Chokebore avant d’embarquer pour une carrière solo, ce qui est assez classique chez les musiciens. Aujourd’hui, te verrais-tu faire chemin inverse en intégrant un projet collectif, en partageant la composition, en faisant de nouveau des concessions ?
J’aimerais beaucoup oui, ce serait cool ! J’aimerais bien trouver des gens avec qui jouer. D’ailleurs, je suis surpris que personne ne m’ait encore jamais demandé de jouer de la guitare, ou de la basse, ou de chanter dans son groupe. Peut être que les gens pensent que je me suffis amplement de ma musique en solo, je ne sais pas…
C’est donc un appel que tu lances !
Oui, j’aimerais jouer de la guitare dans un groupe. Ça m’amuserait beaucoup, même pour tourner. J’aime la guitare, j’aime la distorsion, les mélodies distordues, les pédales… Ce serait intéressant, encore plus à cette époque de ma vie puisque je sais maintenant ce que je peux et ne peux pas faire. Pourquoi ne pas jouer de la bonne musique avec d’autres personnes si elles sont gentilles et intelligentes ?
Je pense que tu peux t’attendre à quelques propositions… Et qu’en est-il de Chokebore aujourd’hui ? Est-ce qu’un retour est encore possible ?
Je ne pense pas que ce soit complètement terminé. On y pense parfois. On boit quelques bières ensemble mais, quand on se réveille le lendemain matin, on oublie, une fois de plus. J’y pensais particulièrement l’an dernier puis ça s’est estompé. En fait, je rêve régulièrement de remonter sur scène avec Chokebore mais il se passe toujours la même chose : on arrive sur une grande scène devant beaucoup de gens, sauf qu’on n’a pas du tout répété et je ne me rappelle d’aucune des chansons. C’est un rêve plutôt angoissant donc, au point que j’ai peur qu’il se réalise. Mais nous sommes toujours en contact.
Vos albums sont progressivement réédités chez Vicious Circle. Est-ce que ce travail de réédition, ce désir que le groupe survive au temps qui passe est une mission que tu t’es donnée ?
Oui, je pense. Je suis toujours très content de ces albums et j’ai beaucoup de plaisir à les réécouter, ce que je ne faisais jamais quand nous étions tous les soirs sur scène. Ce n’est que maintenant que je réalise pourquoi les gens aiment Chokebore. Du coup, pourquoi se priver de sortir de beaux vinyles ? D’ailleurs, je compte bien faire des vinyles de couleur pour le restant de ma vie, c’est tellement beau !
Et comptes-tu rééditer également certains albums de Troy Von Balthazar ? Je pense particulièrement à l’excellent How to Live on Nothing qui n’a jamais existé en LP… C’est le vilain petit canard de ta discographie ?
Peut être (rire). Le tout premier n’est jamais sorti en vinyle également. Je vais tenter de m’occuper de tout ça, d’autant que ma musique a l’air d’être toujours plus populaire des années après qu’elle soit sortie. Dans 20 ans, je serai peut être très connu ! (rire)
Photos : Régis Feugere, Flavie Durou
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