19 Avr 24 Tiny Voices, des petites voix qui résonnent fort
Alors qu’ils concluaient une mini-tournée dans l’Ouest de la France, les angevins de Tiny Voices, ex-Wank For Peace, ont fait un arrêt au Garage 5, au Mans, pour livrer une prestation parfaite en tous points. Parfaite d’un point vue technique, d’abord, vu que leur punk-hardcore / post-hardcore, mâtiné de touches émo, est sur scène maîtrisé de bout en bout. Parfaite d’un point de vue musical et artistique, également : il suffit à ces cinq lascars-là de jouer l’intégralité de leur album Erosion pour conquérir les cœurs de leur public, sans chichis ni effets de manche – preuve que ce très bel album réussit le pari de relier l’exigence d’un enregistrement studio classieux avec la niaque, l’authenticité et l’intensité d’un basement show. Parfaite d’un point de vue humain enfin, sur scène et à l’extérieur, comme au cours de cet entretien mené avec le groupe juste avant qu’il ne s’empare de ses instruments. Sourires permanents aux lèvres, joie de se retrouver là tous ensemble, bienveillance et ouverture d’esprit… Tiny Voices concilie aventure collective, questionnement militant et exigence artistique avec une simplicité et un enthousiasme qui font plaisir à voir et à entendre. La clé de leur retour gagnant, après une décennie de tournées sur plusieurs continents et de passion pour le DIY. Morceaux choisis ci-dessous.
Entre 2008 et 2016, vous faisiez partie de Wank For Peace, avec lequel vous avez fait plus de 500 dates. Vous avez réactivé ce groupe il y a environ cinq ans, puis vous avez changé de nom. Pourquoi cette nouvelle identité et ce nouveau départ ?
Flo (chant) : Un de nous a quitté le groupe en 2016 alors que l’on ne faisait que ça de nos vies jusque-là. On ne s’est jamais vu mettre le truc en pause définitivement et en 2019, on nous a proposé des dates, donc le groupe s’est reformé. On était à nouveau tous dans le même coin à ce moment-là, et ça nous faisait plaisir d’y retourner. Mais le fait de rejouer les anciens morceaux nous a fait prendre conscience que Wank For Peace appartenait bel et bien au passé. Ça ne correspondait plus à nos vies, à nos aspirations… Vu qu’on était toujours très heureux de jouer ensemble, on a donc reformé un nouveau groupe avec les mêmes personnes, on a composé de nouveaux morceaux, et on s’est trouvé un petit nom. Tiny Voices, c’est un peu en rapport avec les petites voix qu’on avait dans nos têtes, qui nous poussaient à rejouer ensemble.
Julien (guitare) : C’est aussi un petit clin d’œil à Box Car Racer qui a un morceau qui s’intitule comme ça. C’est un peu la référence sur laquelle on s’est retrouvé musicalement quand on a commencé, et qui a fait que c’était comme une évidence qu’on joue ensemble.
Un de vos morceaux, It’s Been a While Introspection!, est celui qui évoque le plus directement cette situation…
Flo : Carrément. Je crois que c’est le premier texte que j’ai écrit pour cet album. Et il parle justement du fait de ne pas avoir écrit pendant plusieurs années. Ça raconte qu’écrire permet de faire un sacré tri dans ce que tu as dans la tête. Même si j’en n’ai pas ressenti le besoin pendant toute cette période, m’y remettre m’a fait beaucoup de bien.
Qu’est-ce qui vous motivait le plus à l’époque de Wank For Peace ?
Laurent (guitare) : Tourner, voyager entre copains, rencontrer plein de gens aux quatre coins du monde. Partir en tournée était une fin en soi. Rouler jusqu’à Moscou ou dans Istanbul, c’est pas mal quand même !
Ces motivations ont-elles changé aujourd’hui ?
Flo : La première motivation, quand on s’est reformé, était surtout de composer de nouveau de la musique et de passer du temps ensemble, tout en sachant que tout ça ne se ferait pas de la même manière qu’avec Wank For Peace. Vivant désormais dans des villes différentes, on savait qu’on aurait peu d’opportunités de tourner, qu’on serait un groupe du dimanche. Tout ça change forcément les motivations.
Vous avez enregistré votre album Erosion chez Amaury Sauvé, à The Apiary Studio. Pourquoi ce choix ? Et qu’avez-vous appris à ses côtés ?
Laurent : En fait, c’est le troisième qu’on fait chez lui puisque les deux disques de Wank For Peace ont aussi été enregistrés là-bas. La question ne s’est donc même pas posée quand on a commencé à avoir des morceaux. Quoi qu’il arrive, on sait que ça finit chez lui. Ces deux expériences étaient chouettes, on sait comment tirer le meilleur d’Amaury, donc la seule interrogation qui planait, c’était ‘comment se payer ce studio-là ?’. Une fois cette problématique résolue, il ne restait plus qu’à rentrer dans son calendrier à lui.
Dans From Safety to Boredom, il y a un effet de guitare ou de basse qui me rappelle un peu ce qu’on peut entendre dans le dernier album de Birds In Row. Est-ce que c’est quelque chose qui a été abordé en pré-production par exemple ?
Flo : Non, c’est venu de nous, lors de la composition du morceau. Prendre le temps d’aller chercher des effets, tester des trucs, y compris au chant, ça faisait partie des choses qu’on avait envie de pousser avec cet album. On était moins dans l’urgence et dans la spontanéité punk rock. On voulait se faire plaisir aussi pendant le processus de composition, que ce ne soit pas juste une obligation de sortir des morceaux pour pouvoir repartir en tournée. On n’a pas non plus expérimenté pour expérimenter, mais on est allé chercher des trucs différents de ce qu’on faisait auparavant.
Même question sur la construction de l’album qui est pensé en boucle avec la conclusion midtempo Faults, Faults, Faults faisant écho à l’intro Hopes and Downs, plus punk-hardcore…
Julien : Ça a également été pensé en amont. Je me suis dit qu’on pourrait commencer l’album avec quelque chose qui ressemble à ce qu’on faisait avec Wank For Peace, et qu’on pourrait le terminer avec ce vers quoi on veut aller.
Flo, peux-tu nous en dire plus sur cet espoir perdu dont tu parles dans la chanson ?
Flo : Je pense que ça a un rapport avec les années qui ont suivi Wank For Peace, pendant lesquelles l’insouciance s’est un peu évaporée. Le fait d’être constamment en tournée, au sein d’un milieu très soudé, m’a empêché de voir ce qui se passait dans le monde. On taffait entre les tournées, mais dans le seul but de repartir. Donc le fait de m’être posé, de prendre du temps aux côtés de mes proches, ou au sein du milieu associatif ou militant, m’a poussé vers la conclusion que c’était quand même beaucoup plus simple quand on allait faire des concerts et qu’on se foutait de tout le reste. Le morceau raconte que c’est un espoir perdu, mais aussi que ce n’est pas parce que tout est pété qu’on ne peut pas continuer à faire du mieux qu’on peut.
Tu chantes ‘to make everyone feel safer in our faults‘ dans Faults, Faults, Faults. Ce morceau, c’est un hymne à l’imperfection finalement ?
Flo : Oui, mais ‘Faults’ signifie aussi ‘failles’. Elles peuvent être personnelles mais aussi tectoniques. L’idée, c’était de rappeler tout ce qu’on peut faire et qui peut avoir un impact direct. Comment creuser des espèces de failles, ou plutôt construire des murs protecteurs autour des gens avec qui on a envie de créer des choses… L’idée, c’est de se regrouper et de faire du mieux possible au bénéfice des cercles proches. C’est le premier pas pour pouvoir apprendre à faire la même chose avec le deuxième cercle ensuite, puis le troisième cercle, etc. Il faut commencer par cette démarche pour avoir la force et l’éducation de le faire pour plus de gens par la suite.
Plus généralement, quels sont les thèmes abordés dans vos chansons ?
Flo : Ces morceaux dont on vient de parler donnent déjà la couleur. J’ai des textes assez personnels. C’était une volonté de ma part de me questionner, de creuser un peu ce que je ressens au moment d’écrire les paroles. Du coup, les textes parlent pas mal de ressentis à propos de la violence du monde extérieur. Comment vivre avec cette violence ? Comment la réduire pour mieux la supporter ensuite ?
Je voudrais parler de Treason Of The Couch. C’est quoi cette ‘trahison du canapé’ ? Est-ce que c’est une chanson sur les dangers de la procrastination ?
Flo : (rires) C’est encore une fois quelque chose que j’ai ressenti dans les années post-Wank For Peace. Le fait de ne plus avoir ce truc qui occupe la quasi intégralité de ta vie met en lumière tout ce que tu ne fais pas. Il y a aussi un rapport avec la fatigue et la pureté militantes, qui te fait dire que tu n’en fais jamais assez et que rester à la maison est une trahison, qu’en faisant ça tu ne te donnes pas corps et âme pour changer le monde de merde dans lequel tu vis. Comment trouver des solutions à ça ? Comment continuer à avoir un minimum de force pour se battre, ou en tout cas faire des choses chouettes ? C’est le genre de questions que je me pose.
Pas mal de temps est passé entre l’enregistrement de l’album et sa sortie. Comment l’expliquez-vous ?
David (basse) : Globalement, on a été un peu lent sur toute la longueur du projet (rires). La seule deadline qu’on avait, c’était celle de l’enregistrement. On n’avait pas du tout réfléchi à la pochette, au graphisme, à la façon dont on allait le sortir… Donc on y est allé par étapes : on a d’abord enregistré, puis on s’est penché sur le reste. Si tu rajoutes à cela les délais de pressage…
Florian (batterie) : … qui étaient alors pas mal impactés par la pandémie, en plus !
Flo : C’est ça. On n’avait pas vraiment de plan de sortie d’album en allant au studio. On a dû en causer aux labels seulement un an après l’enregistrement. On a pris le temps quoi ! (rires)
Vos influences ont-elles changé depuis que vous avez décidé de reprendre du service ?
Flo : Florian et Ju sont arrivés en cours de route dans Wank For Peace, un groupe qui avait un style et une scène. Eux n’écoutant pas trop de punk rock, par exemple, ils ont amené un truc un peu différent. Mais je pense que malgré cela, on continuait à se brider un peu collectivement. Avec Tiny Voices, on a eu envie de laisser libre cours aux envies de chacun, de ne pas se fermer à des choses pour rentrer à tout prix dans une ligne punk hardcore mélodique. Après les goûts sont vastes : moi, je reste hyper fan de ce genre, mais je sais que toi, David, tu n’en n’écoutes plus…
David : Quasi plus, non. Moi j’écoute du punk rapide, avec beaucoup de charley et un peu de chorus sur les guitares. Des groupes scandinaves ou espagnols, qui changent un peu, qui ne sont pas purement punk rock.
Ju : Et moi je penche plutôt vers des groupes comme Alexisonfire…
Est-ce que vous pensez qu’il y a un effet Turnstile actuellement, avec des médias un peu mainstream qui ont découvert, grâce à ce groupe, un genre qui ne restait cantonné qu’à ses seuls initiés dans les années 2000 ? Voyez-vous de nouvelles personnes dans les concerts ?
Julien : Je l’ai beaucoup ressenti en effet. Ils ont rameuté du monde, y compris des gens qui aiment le hip hop ou l’electro et qui se sont laissés séduire par leur musique.
Flo : Je ne sais pas si c’est grâce à Turnstile ou si c’est un effet post-Covid, mais les scènes sont beaucoup moins cloisonnées qu’auparavant. Le punk et le hardcore ne sont plus forcément des trucs d’initiés, et je trouve génial que des gens de la pop kiffent Turnstile. Je n’ai pas du tout le sentiment de me faire voler ma culture.
Certaines personnes soulignent l’influence de Touché Amoré dans vos compositions, un groupe également apprécié par Fragile, autre groupe angevin. Vous assumez ça ? Et qu’est-ce qui se passe à Angers autour de ce groupe ?
Flo : (rires) C’est marrant parce qu’on connait les mecs de Fragile depuis hyper longtemps. On faisait jouer leurs groupes quand on organisait des concerts et je crois que jamais Touché Amoré n’a été évoqué. Quand ils ont fait leur premier concert, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’ils aillent dans ce créneau. Peut être que Touché Amoré est juste un bon groupe et qu’à Angers, on a bon goût ! (rires)
Justement, comment se porte la scène angevine actuellement ?
Flo : Il y a une belle émulation, avec plein de groupes dans plein de genres différents. Il y a comme une force créatrice qui se dégage. Les lieux ont leur rôle aussi puisque le Joker’s Pub et le Garage, par exemple, font énormément de choses. À titre personnel, je regrette juste qu’il y ait moins de lieux DIY qu’à une époque mais c’est une question de volonté. Nous, quand il n’y avait pas de lieux pour organiser des concerts, on allait toquer à la porte de tous les bars pour voir s’il n’y avait pas moyen d’y caler une sono. Aujourd’hui, on a moins de temps, un peu moins d’envie aussi, mais ça pourrait revenir. Il y a aussi un truc un peu institutionnel dans la musique à Angers, mais ça n’empêche en rien de faire avec les moyens du bord.
Vous avez clippé trois titres de Erosion : The Treason Of The Couch, A Reasonable Bully, The Ridge Gets Thinner. Les trois vidéos sont très cohérentes, ont une esthétique très reconnaissable et ont été réalisées par Sarah Dumesnil et Josic Jégu, le guitariste de Fragile. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre intention derrière tout ça ?
Flo : C’est dans la continuité de ce qu’on a fait pour l’album. On ne voulait pas faire des clips pour faire des clips, mais plutôt se lancer dans un processus créatif à part entière. L’idée est arrivée assez vite : on voulait cette cohérence, raconter des histoires. Ce ne sont pas forcément les clips les plus bankables du monde en termes de visibilité. Sarah et moi les avons écrits avec cette volonté d’en faire des courts-métrages. Elle, à la base, est monteuse-assistante monteuse en longs métrages mais a vraiment envie de réaliser, de raconter des choses. Josic, lui, est plus dans l’optique de faire de belles images. Pour A Reasonable Bully, on avait eu l’idée de personnages ayant un monde intérieur qui serait illustré par la danse, et toute la partie chorégraphie a été écrite en direct par Aïda et Joséphine, qui sont les deux danseuses pro que l’on voit dans le clip. On a la chance d’avoir des gens, bénévoles pour la grande majorité, qui acceptent de nous suivre parce que le projet leur parle. C’est une chance inouïe de pouvoir compter sur leur confiance et leur intérêt.
Et vos projets dans tout ça ?
Flo : Bonne question ! Pour le moment, on joue l’album, on essaye de trouver du temps dans nos emplois du temps respectifs pour se caler des weekends de concert, peut être refaire une tournée comme l’été dernier. On navigue un peu à vue mais on savait qu’il en serait ainsi. Si ça se trouve, on va composer de nouveau…
Et si vous recomposez, comment voyez-vous vos futurs morceaux ? Seront-ils dans la lignée de Erosion, avec des moments de suspension, de silence, des choses un peu plus mélodiques et torturées ?
Julien : Sûrement ! Ce serait souhaitable (rires).
Flo : Je ne sais pas où ça nous mènera. On a déjà quelques idées, et elles s’inscrivent plutôt dans la lignée de la deuxième moitié de l’album, effectivement.
Photos article : Non2Non
Photos homepage et header : Pilou
Pas de commentaire