The Soft Moon, les synthés de la colère

The Soft Moon, les synthés de la colère

Que se passe t-il dans la tête de Luis Vasquez ? Derrière la touffe noir de jai et le regard lointain du californien se développe depuis quelques années déjà, des compositions zébrées de chaos et de douleur, ou l’intimité se faufile comme elle peut à travers chaque nouvel album de son projet, The Soft Moon. Aujourd’hui établi à Berlin, il poursuit sa thérapie avec Criminal son quatrième album, et le premier sur Sacred Bones. Colérique, frondeur comme un premier jet, ce dernier chapitre était l’occasion de retrouver un Luis Vasquez détendu, blagueur et très éloigné de son image de jeune corbeau, qui est passé le temps d’une demi heure, de sa relation maternelle à l’ombre de Mac DeMarco.

Tu es originaire d’Oakland mais tu as quitté la Californie pour Venise il y a quelques années. Pourquoi ce déménagement ?

Luis Vasquez : J’ai déménagé après la sortie de Zeros (2012). Je savais que je voulais écrire mon troisième album ailleurs qu’en Californie. Je cherchais un endroit différent, plus exotique selon moi. Et mon manager qui vivait alors à Venise m’a dit : ‘Qu’est-ce que tu penses de Venise ? Je vis déjà sur place. Je peux te trouver un logement‘. Tout ça s’est fait facilement au final. Mais depuis trois ans et demi, je vis à Berlin.

Tu penses que le lieu où tu travailles impacte ta musique ?

Mon travail est tellement intime, il vient tellement de l’intérieur, que je pourrais être n’importe où et obtenir le même résultat. Si Deeper (2015) avait été fait dans une partie différente du monde, je suis certain qu’il aurait sonné pareil.

Qu’est-ce qui te plaît aujourd’hui à Berlin ? C’est une ville radicalement différente de Venise ou d’Oakland.

Ce que j’aime, c’est que cette ville, qui a été partiellement détruite, porte encore les stigmates de son histoire. A cause de ce passé chaotique, les gens y œuvrent encore plus dur pour accéder à un avenir meilleur. Ça me rappelle Cuba. Une partie de ma famille vient de là-bas. On s’aperçoit très vite que le pays tombe en ruine. Mais si tu rencontres les gens, tu vois qu’ils sont vraiment heureux. Bien plus que dans des zones riches comme Los Angeles, par exemple. Je pense que si les gens ont une histoire difficile, ils se donnent beaucoup plus de mal pour rester optimistes vis-à-vis de ce que le futur leur réserve.

Quelle a été ta réaction au départ vis-à-vis du mode de vie européen ? Est-ce que la transition fut difficile ?

Non pas tellement parce je suis une personne qui s’adapte très facilement. Je suis plutôt ouvert sur ce que le monde a à offrir. En revanche, j’ai des amis qui ont voyagé en Europe et qui n’ont pas arrêté de se plaindre.

Criminal est très marqué par la musique industrielle. Peux-tu nous dire quelle relation tu as avec ce genre musical ?

J’adore la musique industrielle. Des trucs comme Einstürzende Neubauten ou Swans – qui en a notamment incorporé dans sa musique – ça me parle. Mais je ne me sens pas inspiré par des groupes en particuliers. C’est plus le concept de cette musique, le fait d’utiliser des instruments non conventionnels, qui m’attire. Comme employer des tuyaux ou une poubelle à la place d’une batterie. Je m’intéresse beaucoup à cette approche.

L’écoute de ce nouvel album offre une expérience plutôt rude. Tu avais dans l’idée d’être aussi direct lorsque tu t’es mis à travailler dessus ?

Oui. Sur cet album en particulier. Je voulais être plus direct concernant mes problèmes ou mes émotions. Je pense que cela se sent à travers mes paroles. Je parle de choses plus spécifiques à présent. Des choses dont je n’avais jamais parlé auparavant.

Mais qu’est-ce qui t’a motivé à écrire dans ce sens ?

Je pense avoir été dans l’auto-apitoiement par le passé. Mes émotions étaient surtout centrées sur la tristesse et la dépression. Là, je voulais afficher ma colère. Dire quelque chose du genre : ‘Tu sais quoi ? Voilà qui je suis, ce que je fais et ce que je ressens. C’est à prendre ou à laisser‘. J’espérais me sentir mieux en agissant comme ça.

Tu voulais te sentir mieux une fois Criminal achevé ?

Oui ! C’est comme lorsque tu vas à la gym : tu te sens mieux après l’effort parce que tu t’es libéré physiquement. Je pense que l’objectif était le même en composant Criminal. En étant plus agressif, je voulais me sentir mieux intérieurement. Comme une catharsis.

L’espace sonore est hyper saturé sur le disque. Il n’y aucun temps mort.

Je sais. Peut-être que c’est trop à certains moments. Mais j’avais aussi envie de prendre les devants comme pour dire : ‘Regarde-moi ! Regarde-toi !‘. Il y a sûrement une part de réaction à la façon dont la musique et la société fonctionnent aujourd’hui. J’ai l’impression que beaucoup de gens essayent de fuir leurs émotions. Comme pour la musique : il y a plein de morceaux heureux qui sonnent tellement faux… J’avais cette pression incontrôlable de devoir dire quelque chose à ce sujet. C’est comme attraper les gens et leur dire : ‘Tu es vivant alors maintenant fait face à ce que tu es vraiment !‘.

As-tu quand même été influencé par l’actualité pour ressentir toute cette colère ? Je pense par exemple à l’arrivée de Trump au pouvoir.

Oh tu sais, je crois que j’avais déjà terminé l’album quand il a été élu. Mais oui, il y a de bonnes raisons d’être en colère aujourd’hui. Les élections en font partie. Il y a aussi la menace de l’Etat Islamique. A présent, dès que je vais à un concert ou que je prends les transports, j’ai toujours dans un coin de ma tête la peur que quelque chose de grave se passe. C’est terrible et c’est une des choses à laquelle notre génération doit faire face.

Pour en revenir à l’aspect sonore de Criminal, c’est un disque rude mais aussi romantique dans la façon que tu as d’explorer tes propres sentiments dessus. Il pourrait presqu’être ton premier album.

Exactement. J’ai moi aussi cette impression. Beaucoup de choses ont évolué que ce soit dans l’écriture des paroles, la composition… Il marque une nouvelle étape.

Il te fallait plus de confiance en toi pour réaliser cela ?

Oui et je pense que le fait d’afficher mon visage sur la pochette est une manière d’exprimer cette honnêteté. C’est comme appeler l’album Criminal. C’est un acte très sincère. En fait, cet album, c’est celui de la vérité !

Est-ce que tu peux nous raconter pourquoi tu te sens criminel ?

J’ai grandi dans un cadre catholique avec cette conscience très portée sur la culpabilité que m’a enseignée ma mère. Toute ma vie, j’ai eu le sentiment d’agir dans le mauvais sens.

Ta mère est très religieuse ?

Oh oui… J’ai grandi avec l’impression que tout ce que je pouvais faire était mal. Et même aujourd’hui, ça continue. Quand je pense à la bière que j’ai commandée, je me demande si j’ai bien fait… C’est une façon horrible de vivre sa vie. Pendant longtemps, j’ai vécu avec le sentiment d’être une mauvaise personne. Voilà pourquoi j’ai fait cet album. Il parle de la haine de soi, de la culpabilité et de la confession. J’ai l’espoir qu’en parler et sortir ce disque va m’aider à me sentir mieux.

C’est une question un peu délicate mais qu’est-ce que tes parents pensent de ta musique ?

Ça a été très difficile pour ma mère au début. Elle est déjà venue voir deux de mes concerts, mais elle n’a pas vraiment aimé. Je crois qu’elle se sent responsable de ce que je suis. Elle se dit probablement qu’elle a foiré mon éducation. Elle aimerait que je ne fasse pas ce genre de musique. Mais son attitude est en train de changer depuis l’année dernière. Elle commence à m’accepter tel que je suis. Peut-être qu’elle le fera aussi pour elle-même.

Cet album peut aussi être une occasion de lui proposer un nouveau point de vue.

J’ai eu une conversation avec elle, il y a un an. Je n’ai jamais connu mon père et elle m’a dit : ‘Je vais t’en dire un peu plus à propos de lui. Tu lui ressembles et c’était un homme bon. Je suis juste désolée d’avoir choisi cette personne qui n’était pas la bonne pour avoir un enfant‘. Depuis, je suis curieux de savoir ce qu’elle va penser du morceau Like a Father. La musique peut être comme une thérapie. Ça me fait travailler sur moi-même, et ma mère également. Elle accepte mieux ma musique à présent. Cela me fait du bien et m’encourage à continuer.

Quand tu composes, est ce que tu as besoin de créer une atmosphère particulière autour de toi ?

Non, je dois… Je dois être de bonne humeur, c’est une musique émotionnelle. Et si je suis triste, je veux juste regarder Netflix, ne rien faire. Je dois être heureux pour aller vers l’obscurité.

Tu ne sais pas comment expliquer ce paradoxe ?

Je n’en ai aucune idée. Peut être plus tard, quand j’aurai plus de recul.

C’est ton premier album sur Sacred Bones. Avant ça, tu étais sur Captured Tracks. Qu’est ce que tu penses de ton nouveau label ?

J’ai toujours eu une forte connexion avec ce label. Quand j’ai signé avec Captured Tracks, ces deux labels étaient dans le même immeuble, dans la même pièce ensemble. Mike Sniper et Caleeb Braaten ont tous les deux lancé leur label au même moment. Je me suis souvent dit au début que j’aurais du signer avec Sacred Bones, parce que il y avait des connexions. Avec le temps, Mac DeMarco est devenu très connu, et j’ai eu l’impression que Captured Tracks s’orientait dans la direction que prenaient Mac et ses fans, en signant des groupes plus proches de lui. Il rend le label plus gros, et ça m’a fait me sentir de plus en plus petit en comparaison.

Tu te sentais moins considéré ?

Oui, je ne ressentais plus la même excitation qu’ils avaient pu avoir avec moi au commencement. Au début du label, il y avait Blank Dogs, Cosmetics, Holograms, et aujourd’hui c’est plus orienté vers l’indie rock et la folk. Ça ne m’aurait pas dérangé de rester sur Captured Tracks, mais je n’ai pas de contrôle sur les fans du label. Et ces fans, ils sont en train de changer, ils sont plus tournés vers Mac DeMarco. J’étais juste en train de disparaître, il fallait que je fasse quelque chose.

Et puis avec Sacred Bones, tu es plus proche de certains artistes.

Oui, Sacred Bones représente une connexion plus marquée pour moi. J’écoutais déjà des groupes de leur label avant d’être signé chez eux. Moon Duo, Pharmakon, Destruction Unit… Je connais ces mecs depuis des années, c’était déjà une famille, et maintenant je suis avec eux.

Ton album Deeper a été remixé par de nombreux producteurs electro. Selon toi, qu’est ce qu’ils aiment dans ta musique ?

Hum, c’est intéressant… Je ne sais pas trop, je pense qu’ils aiment l’aspect sombre et la puissance qui s’en dégagent. Mes morceaux ont un certain état d’esprit, un morceau comme Black a une forme d’agression que la techno peut avoir parfois. Mais ce n’est pas basé sur un rythme 4/4, c’est une question d’atmosphère, avec certains sons similaires.

On peut voir un lien avec l’impact que ça provoque sur le public.

Oui, c’est amusant parce que j’habite à Berlin et je vais à des concerts de techno. J’aime ce type de musique. Pour moi, la techno sonne toujours comme le futur. Pour moi, le futur est sombre et la techno peut l’être aussi parfois.

Je me rappelle t’avoir vu dans un petit festival à Angers appelé Levitation. Il y avait beaucoup de bons groupes et je me rappelle que j’étais tout devant pendant ton show, la musique était très sombre mais tout le monde était en train de danser…

Oui, peut être que tout le monde était sous MDMA, je ne sais pas (rires). Je m’en souviens bien, parce que c’est aussi à ce festival que j’ai rencontré le fils de John Lennon, et je n’oublierai jamais ça. Il y a deux choses qui me viennent à l’esprit à chaque fois que j’écris une chanson : danser ou pleurer. Les deux ou une des deux. C’est ma première règle. Du coup, mon prochain album s’appellera Dancing Cry (rires).

Est ce que tu as déjà essayé de composer un morceau purement électronique ?

Oui, il y a quelques trucs sur lesquels je bosse pendant mon temps libre, mais rien que je veuille vraiment dévoiler. J’adore ça, mais je suis très heureux avec The Soft Moon où j’ai déjà l’impression de toucher à la techno et à la musique électronique à travers de nombreux éléments.

Es tu intéressé par l’aspect technique de la musique. Sur l’album, j’adore la chanson ILL, son coté dissonant. Ce morceau est très dur, très agressif. Est ce que tu penses à ça quand tu composes, ou est ce que c’est de l’émotion pure ?

C’est de l’émotion pure. C’est ce qui arrive dans le studio au moment de la post production, quand on ajoute d’autres effets après que le morceau ait été enregistré. C’est à ce moment là que je réfléchis plus à l’atmosphère qui entoure le titre, quand je peux le rendre encore plus tordu. Je n’y pense pas pendant le processus de composition mais, lors des dernières étapes, j’ai plus de temps pour ça.

Dans une interview, tu parles de ton dernier album comme d’un monde en soi. Pour toi, quelle monde représente Criminal ?

Quelle monde ? Mon monde ! J’ai l’impression d’avoir fait quelque chose de très accompli avec ce disque, et je pense que je pourrais complètement changer de direction pour le prochain. Ce que j’ai besoin de faire, c’est de partir en tournée, jouer cet album, et voir comment je me sentirai à la fin. Et je partirai de là. C’est une autre forme de thérapie. Ecrire les morceaux en est une, et les jouer en est une autre.

Tu as tout composé sur celui là ? Tu disais que tu étais plus ouvert à la collaboration…

Parce qu’au début, j’étais très attaché au post punk. Je veux toujours maintenir ça, mais je veux aussi m’adresser à des gens en dehors de cette sphère, et capter une audience plus large. Parler à des gens qui n’ont pas l’habitude d’aller à des concerts tout le temps, tout comme je veux m’adresser aux fans de Joy Division. Je veux m’adresser à tout le monde.

Comment vois-tu l’évolution de ton public avec le temps ?

Au début, c’était assez gothique. Maintenant, c’est plus mélangé, il y a des enfants de 13 ans qui viennent avec leurs parents, les goths sont toujours là, il y a des punks, des étudiants qui viennent de la fac, et c’est exactement ce que je veux.

Quelle est la pire question que quelqu’un t’ait posé dans une interview ?

Oh, c’est quand on me demande quelle est mon album préféré de tout les temps. C’est impossible d’y répondre, et je déteste cette question. Mais je suis sur qu’on va me la reposer bientôt.

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