
01 Mar 24 The Silver Lines, un avenir tout tracé
On avoue bien humblement que l’on ne savait pas vraiment comment aborder The Silver Lines avant de les rencontrer en matinée aux Transmusicales de Rennes. Depuis 2018, le groupe de Birmimgham a aligné une dizaine de singles, sorti un seul EP, Sleaze (2022), et s’est ingénié à passer d’un genre à un autre avec une totale décontraction, brouillant tout naturellement les pistes pour qui voudrait l’enfermer dans une case trop étroite. Qui sont-ils vraiment et que cherchent-ils à faire ? Nous n’avions que peu d’éléments à notre disposition pour pouvoir répondre à ces questions avant de converser avec Dan Ravenscroft et Kindo, respectivement chanteur et batteur du groupe. Affables, présentant ce mélange si subtil d’élégante courtoisie et d’insolent je-m’en-foutisme qui caractérise si souvent les musiciens anglais, ils ne nous offriront pas le plaisir de nous donner les réponses attendues. Et tant mieux d’ailleurs, car on aura au moins appris cela que les Silver Lines n’en ont que faire de garantir la solidité et la permanence d’une identité musicale afin de correspondre à un plan de carrière : ils veulent juste faire ce qu’ils veulent, quand ils le veulent, en dehors, apparemment, de tout calcul et pourvu que ça leur apporte du plaisir.
Dan nous rappelle brièvement la genèse du groupe : ‘Nous venons de Birmingham, la ville de Black Sabbath et de Robert Plant, entre autres. Mon frère (Joe Ravenscroft, guitare, ndlr) et moi avons fondé le groupe et Kindo nous a rejoint en 2019. Les retours positifs nous ont engagé à persévérer‘. Kindo complète : ‘Quand j’ai rejoint le groupe, on a essayé plusieurs bassistes, jusqu’à ce qu’on trouve George (Vivian, ndlr)’. ‘Et nous voilà à présent, à prendre du sacré bon temps !‘ conclut Dan. Dan et Joe sont frères, donc, et l’on sait qu’il y a une longue tradition de relations conflictuelles entre frangins dans la musique anglaise. Voudraient-ils être les exceptions à la règle ? Kindo : ‘Ce ne sont pas du tout des exceptions ! Parce que moi et George, nous nous interposons le plus souvent lorsqu’ils se battent entre eux. Mais le conflit n’est pas du tout une mauvaise chose, bien au contraire, on se sert de son énergie pour composer ou pour jouer sur scène. La frustration peut être une bonne chose pour nous‘. Dan reprend : ‘Du même coup, si on doit parler de choses difficiles, c’est plus légitime de le faire en ayant l’expérience du conflit qui, déjà, anime notre propre groupe‘.
Comment expliquer que la discographie du groupe soit si hétéroclite ? Ont-ils eux-mêmes quelques éclaircissements à apporter à ce sujet ? Il y a ce talent à écrire des tubes chez les Silver Lines, et le lyrique Bound ou le roboratif Cast Away, leurs deux derniers singles, devraient être suffisants pour le démontrer, mais on passe aussi, chez eux, du rock rap (Love Made) à une forme de pop dance façon Parcels (The Big O) pour l’instant d’après ruer dans les brancards avec le très punk rock Blow Dry, ou Dan voit son chant se rapprocher de celui de Liam Gallagher. Dan : ‘Quand on a commencé à composer, la scène rock en Angleterre rangeait d’un côté les groupes de punk et de l’autre les groupe de garage. Nous ne voulions appartenir à aucune de ces deux catégories, nous voulions juste être ce que l’on voulait. Si nous voulions faire un disque dansant, après avoir sorti des punk songs, pourquoi pas ? Qu’est-ce qui pouvait nous empêcher de le faire ?‘. Kindo prend le relais : ‘Quand on a réalisé Sleaze, notre EP de dance, c’était le confinement à cause du Covid, et cela nous a libéré pour explorer différentes directions‘. ‘On voulait quelque chose de léger, de dansant, donc nous sommes allés dans cette direction‘ complète Dan. C’est la caractéristique de cette nouvelle génération de musiciens que d’avoir accès avec internet à toute la musique du monde et, ainsi de s’autoriser à aimer des choses très différentes les unes des autres en assumant le fait que ce qui est créé par la suite reflète toute cette diversité.
Pour autant, faut-il y voir une forme de superficialité dans le propos ? Pas vraiment. Dan : ‘Même si nous ne voulons pas être trop sérieux, maintenant que le groupe s’est fait un nom, on veut avoir la liberté d’aborder des sujets très différents, de la manière qui nous convient le mieux. C’est ce qui à donné naissance à une chanson comme Bound, qui traite de sujets plus graves‘. Bound est un morceau qui est à la fois dramatique et optimiste. Il porte sur la douleur qui menace d’abattre un individu, jeune en particulier, tout en mettant en place des moyens de lutter contre elle. ‘Cette chanson reflète six mois de notre vie‘ nous dit Dan. ‘Elle a une signification personnelle pour tout le monde dans le groupe. Même si le son est assez heavy, on la ressent comme une ballade, la première que nous ayons jamais écrite. Oui, nous nous sommes efforcés d’être plus sérieux sur ce morceau‘ poursuit Kindo, avant de s’esclaffer avec son acolyte, comme pour mieux démentir ce dernier constat auquel, visiblement, il n’était pas encore prêt à adhérer. Néanmoins, Bound ne montrerait-il pas que le groupe est capable de changer en même temps que la société change ? Cela n’impliquerait-il pas un surcroît d’engagement de sa part ? Selon Dan : ‘Tous les deux nous nous sentons engagés, mais nous ne voulons surtout pas rester englués dans nos idées au point que cela finisse par déteindre sur la musique. Certains groupes écrivent de bonnes chansons, mais suivent ensuite la même formule en répétant sans cesse le même message, ce qui est ennuyeux. Nous nous autorisons à changer comme bon nous semble‘. ‘On évolue, simplement‘ précise Kindo. ‘On écrit une chanson, et si on l’aime on la joue, mais sans nous sentir le devoir de rester collé au genre qu’elle représente. On peut écrire Bound et refaire par la suite un EP plus punk, plus lourd. ça dépend de ce que l’on vit et de la manière dont le monde évolue‘.
Sur scène en revanche, et c’est une véritable surprise, les différences de genre entre les morceaux sont largement estompées, et l’on perçoit nettement mieux l’ADN musical de The Silver Lines, celui qui en définit au bout du compte la cohérence. En déboulant sur la scène du Hall 3 du Parc des expositions de Rennes ce samedi 09 décembre, avec cette arrogance juvénile qui marque si bien les formations anglaises, le gang des frères Ravenscroft a montré que, musicalement comme scéniquement, il ne se reconnaissait pas du tout dans la scène rock actuelle de son propre pays, préférant lorgner du côté des Rolling Stones ou, même, du pub rock, pour assurer l’efficacité de sa prestation. Et ça marche très vite : le public, dans lequel on peut voir une cohorte de fans anglais du groupe, réagit au quart de tour et enchaînera les pogos sans temps mort jusqu’à la fin. La morgue du chanteur, ses poses à la Jagger, fonctionnent très bien et même, pourrait-on dire, tranchent de façon plaisante avec la modestie scénique de beaucoup d’artistes d’aujourd’hui. Mais si l’on se rend compte que les membres de The Silver Lines ont décidé de faire abstraction de la scène rock de ces dix dernières années, et plus particulièrement du revival post-punk qui s’est imposé insidieusement comme une véritable norme pour la création musicale – ‘Le dernier bon groupe à guitares que l’on a entendu en Angleterre était sans doute les Arctic Monkeys‘ déclare ainsi, définitif, Dan – n’y aurait-il pas des artistes d’aujourd’hui dont ils se sentiraient proches ? Kindo : ‘Foals, je dirais. C’est un groupe indie qui d’un côté compose des morceaux fédérateurs et de l’autre est capable d’écrire des chansons très punks. Quand on sort Bound après avoir réalisé Blow Dry, qui est une chanson plus Heavy, on essaye d’être dans le même registre que Foals, celui qui consiste à naviguer entre plusieurs genres‘. Dan enchaîne : ‘Ce que l’on écoute en Angleterre maintenant, majoritairement, c’est le drill, le grimes, le hip hop. C’est ça le punk, aujourd’hui. Parmi les gens faisant des trucs cools et nouveaux, je citerai Dave, Giggs peut-être‘. ‘Skepta‘ complète Kindo. Dan ajoute à nouveau que ‘la musique avec des guitares aujourd’hui est trop poppy. On ne veut clairement pas faire partie de cette scène. La musique, selon nous, doit venir du coeur, ce doit être simple, lié à une véritable émotion, et non pas être le reflet d’une lecture d’Oscar Wilde‘.
Ce serait toutefois aller trop vite en besogne que de considérer les Silver Lines comme des Lads méprisant la culture. Quand on les interroge sur leurs goûts en dehors de la musique, on est ainsi agréablement surpris d’apprendre que le film préféré de Dan soit ‘The Last Detail’ (La dernière corvée, en français) d’Hal Ashby, avec Jack Nicholson, l’un des chefs d’oeuvre du Nouvel Hollywood, dans lequel deux sous-officiers de la marine sont chargés de convoyer jusqu’en prison un jeune marin kleptomane, mais dont l’innocence poussera son escorte à vouloir l’initier aux plaisirs de la vie avant sa longue incarcération. Kindo, lui, opte pour une comédie vintage vraiment très drôle, ‘See No Evil, Hear No Evil’, avec les désopilants Gene Wilder et Richard Pryor. Là encore, on voit que les Silver Lines ne sont pas les produits futiles et inconscients de leur époque, qu’ils sont prêts à se démarquer de celle-ci sans pour autant la méconnaître. Cette manière assez insolente d’être inactuel, aujourd’hui, ne leur permettrait-elle pas de tirer leur épingle du jeu en se distinguant nettement de la concurrence ?
Que peut-on, enfin, attendre des Silver Lines en 2024 ? Kindo : ‘On sera en studio le premier week-end de janvier pour finir notre prochain EP. Puis on fera une tournée anglaise et, en mars, on ira aux Etats Unis jouer, entre autres, à SXSW à Austin. En avril, on reviendra en France pour une série de concerts‘. Dan de poursuivre : ‘L’année 2023 a été l’année la plus folle pour le groupe. On a noué des relations avec le public, et entre nous ça se passe de mieux en mieux. Ça change forcément notre manière d’écrire‘. On n’imagine donc pas ces jeunes anglais s’arrêter en si bon chemin : avec leur talent d’écriture, leur énergie scénique ébouriffante et leur spontanéité garantissant que dans tout ce qu’ils s’efforcent de faire, le plaisir soit au rendez vous, on peut s’attendre à les voir se tailler une place de choix, à part, dans le paysage musical actuel.
Photos : dka_demon
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