
26 Jan 24 The Guru Guru, république autarcique
Au sein des scènes post punk et noise rock ou l’on croise autant de romantiques torturés que de gueulards velus, ventrus ou bodybuildés, on ne rigole pas toujours. Il en est tout autrement avec The Guru Guru, groupe flamand avec plus d’une décennie à son actif et, sous le bras, un troisième album particulièrement inspiré dont vous pouvez découvrir le long making of en avant-première ci-dessous. Emmené par Tom Adriaenssens, surnommé The Bomb pour de bonnes raisons, le quintet marque les esprits tout en les éveillant, le tout avec une efficacité à laquelle a pu goûter le public parisien de Petit Bain au mois d’octobre dernier. C’est quelques minutes avant le concert, dans la cale du navire amarré aux quais de Seine, qu’on a pu en savoir plus sur le parcours, le fonctionnement, et les positionnements de la formation gantoise.
MAKING-OF DE L’ALBUM ‘MAKE (LESS) BABIES’ EN AVANT-PREMIÈRE
Le groupe s’est formé en 2012, votre premier album n’a vu le jour que cinq ans plus tard, et vous sortez cette année le troisième. Pourquoi avoir mis tant de temps à vous lancer à vos débuts ?
Emiel (guitare) : Je ne sais pas s’il y a véritablement une raison à cela. Nous avons donné beaucoup de concerts dans de petits endroits, et nous avons surtout pris le temps de nous trouver musicalement. Sur PCHEW, notre premier album, certains morceaux ont été composés en 2014 ou 2015, peut être même avant. Mais ce n’est qu’en 2017 que nous avons considéré être prêts pour le sortir. Ça n’empêche pas que nous avons quand même sorti quelques trucs avant : un premier Ep en 2012, un second en 2014, et un split 10’’ avec Brutus en 2015.
Au fur et à mesure de vos albums, votre musique est toujours plus sophistiquée, pourtant l’ADN de The Guru Guru n’a jamais changé. Est-ce aussi parce que vous avez pris le temps de le forger avant le premier LP ? Sur quels points pensez-vous avoir évolué ?
Emiel : On voit ça comme un voyage. Nous avons sorti le premier album, le second trois ans plus tard, et là nous sortons le troisième. Jamais nous ne pensons à la manière dont un nouveau disque doit sonner ou non. La seule chose qui compte est que chacun de nous en soit satisfait. Je pense que c’est au fil des concerts qu’on accumule le plus d’expérience. Puis nous vieillissons tous, on change, et cela a forcément des répercussions sur ce que nous jouons. Même si nous avons évidemment essayé différentes choses, notre manière de composer n’a jamais changé. Notre ADN, c’est la combinaison de nous cinq qui roulons ensemble depuis toujours, qui fonctionnons de façon démocratique. Tout le monde a sa propre opinion, et tous les autres la respectent. Dès que l’un de nous est dubitatif sur un morceau, ou même seulement sur un passage, nous le retravaillons pour arriver à mieux faire.
C’est difficile de tomber d’accord ? D’autant plus que vous avez tous des influences musicales très différentes…
Emiel : Oui mais chez nous, ça fonctionne. Depuis nos débuts, il y a cette sorte d’harmonie…
Tom (chant) : Nous sommes très bons pour ça (rire). Nous n’avons jamais de débats interminables. Tout le monde se montre compréhensif, fait généralement confiance à l’expertise des autres, donc nous nous chamaillons très rarement. Et on apprend aussi beaucoup de tout ça.
Je trouve que ce nouvel album est peut être celui qui sert le mieux les différentes facettes de The Guru Guru, que ce soit en termes de mélodies, de groove, d’arrangements, ou même de pas de côté que vous faites parfois. Comment faites-vous pour combiner autant d’éléments complexes pour aboutir à une musique finalement assez accessible ?
Emiel : Ça se fait naturellement, rien n’est calculé. On varie les plaisirs : il y a des morceaux puissants, d’autres plus calmes, mais on se sent à l’aise dans chacun de ces contextes.
Tom : Moi, je veille quand même à un certain équilibre. Quand un morceau devient trop complexe, ou que des parties changent trop rapidement pour moi, j’aime contrebalancer avec des éléments plus simples. Par exemple, quand les guitares partent en vrille, je fais en sorte de chanter dans le temps.
Vous faites preuve d’engagement à la fois écologique et social sur Make (Less) Babies. Vous pensez que c’est le rôle qu’un groupe de rock doit tenir en 2023, dans ce monde qui part en couille ?
Tom : Nous avons écrit ces nouvelles chansons, et ce qui en est sorti est cette volonté de pousser les gens à s’interroger sur la manière dont ils pourraient aider le monde, aider les autres. Même si nous pouvons oeuvrer chacun à notre niveau, nous sommes trop petits individuellement pour vraiment changer quoi que ce soit. En revanche, en tant qu’artiste, puisque nous pouvons chanter sur n’importe quel sujet, ça vaut le coup d’essayer, même si toutes les formes d’art n’amènent pas forcément de grandes réponses, n’ouvrent pas de grandes perspectives.
Emiel : Notre rôle est de mettre l’auditeur sur les rails de la réflexion. De lui demander s’il a réfléchi sur ceci ou cela. À lui ensuite de se faire un avis et de se positionner en fonction de son opinion, que ce soit sur la surpêche, sur le fait de jeter un sac plastique par terre… Le but n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent faire, mais de leur faire prendre conscience de leurs actes. Quant à dire si c’est le rôle d’un groupe de rock ou non… Libre à chacun de faire ce qu’il veut. D’autres peuvent tout à fait se contenter d’écrire des chansons d’amour mais, personnellement, je préfère tenter d’avoir un minimum d’impact sur la façon dont ce monde fonctionne et évolue.
Le titre de ce nouvel album, Make (Less) Babies, soulève inévitablement des questions, pas seulement à cause de ses parenthèses qui pourraient laisser penser que vous ne prenez pas forcément position. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce choix ?
Tom : On a eu pas mal de discussions à ce sujet…
Sur le fait de faire des gosses ? (Rire)
Tom : Non, sur le fait de choisir ce titre pour cet album (rire). Les parenthèses, qui se faisaient beaucoup dans les titres des années 90, sont là pour offrir le plus d’interprétations possibles car cette question de la natalité dépend beaucoup de l’angle avec lequel on l’aborde. Par exemple, il est des endroits où la complexité de la vie amène la population à faire de moins en moins d’enfants. Dans d’autres, la surpopulation pose problème.
Et pendant qu’on est dans les figures de style. Peux-tu nous parler de In 2073 (Plenty of Other Fish in the Sea) qui mélange brillamment différentes langues ?
Tom : Je suis professeur de musique désormais mais j’ai aussi été professeur de géologie, donc j’ai étudié la carte de l’Europe, réfléchi à l’élévation du niveau de la mer et dans quelle mesure elle pourrait affecter la délimitation des côtes. C’est sûr, il n’y aura jamais de plage à Bruxelles, mais il y en aura probablement une un jour à Gand, où nous vivons. J’ai donc pensé aux différents repas que nous aurons, et trouvé cool de garder ‘pâté de sardine’ en français, ‘croquetas de bacalao’ en espagnol. C’est comme ça qu’est venue l’idée de mélanger les langues. C’est peut être quelque chose à explorer plus profondément à l’avenir, c’est une bonne manière de s’exprimer différemment (rire).
Photos : Titouan Massé
The Guru Guru a surtout fait sa réputation sur scène, où vous prenez manifestement beaucoup de plaisir. Mais qu’en est-il du studio ? Est-ce que c’est une étape qui vous passionne autant, ou est-ce que vous y allez par obligation, pour vous permettre de tourner ensuite ?
Emiel : Nous aimons aussi être en studio, à tel point que nous avons décidé d’enregistrer, de produire et de mixer ce nouvel album nous-mêmes. Si ce n’est la voix et quelques arrangements discrets, nous avons enregistré tous les instruments dans les conditions du live, sans aucun effet ajouté. Nous avons fait ce choix après avoir travaillé avec des producteurs pour les deux précédents albums. C’était intéressant, nous pouvions accumuler les pistes pour faire un disque ambitieux. À l’avenir, peut-être que nous irons nous-mêmes jusque-là plutôt que de rester sur du live en studio. En tous les cas, pour moi, le live et le studio sont deux expériences indissociables.
Et, à tout faire vous-mêmes, vous n’avez jamais craint de manquer de recul sur votre musique ?
Emiel : Il y avait ce risque en effet. Il est arrivé qu’on mette un morceau de côté, qu’on passe à un autre pour s’offrir un peu plus de perspective en y revenant plus tard. Il arrive un moment où tu ne sais plus où tu en es, où tu ne sais plus comment finir un morceau, où tu ne sais plus ce que tu joues. Cette harmonie entre nous, dont je te parlais précédemment, aide aussi dans ces moments là.
Tom, tu es très expressif sur scène alors que là, en face de moi, tu es calme, presque introverti. Est-ce que les concerts sont un exutoire pour toi ?
Tom : Oui, c’est sûr. C’est un exercice aussi, c’est comme mon sport puisque je sue beaucoup. Je suis sur scène comme à la maison, je m’y sens bien, c’est d’ailleurs pour cette raison que je chante en pyjama et en chaussons. En dehors des concerts, je suis quelqu’un d’autre mais je ne pense pas être une exception. Il y a beaucoup de chanteurs ou de musiciens introvertis qui se révèlent en live. C’est difficile à expliquer. En même temps, quand tu chantes dans un groupe si énergique, tu n’as pas d’autre choix que de le dominer. Quand je suis dans le local de répétition, je ne m’entends pas si je ne crie pas, donc c’est ce dont notre musique a besoin. C’était encore plus le cas à nos débuts quand nous ne nous laissions pas toujours la place les uns les autres.
Emiel : J’imagine à quel point ce serait épuisant si tu te comportais de la même manière sur scène et en dehors (rires).
15.02 – AMIENS – La Lune des Pirates (+ It It Anita)
16.02 – ORLÉANS – L’Astrolabe (+ It It Anita)
17.02 – SAIGNELÉGIER (CH) – La Hopscene
24.03 – BRUXELLES (BE) – Botanique (+ Lysistrata)
29.03 – LE HAVRE – Le Tetris (+ Shelf Lives)
20.04 – ARLON (BE) – L’Entrepôt (+ Meltheads)
01.06 – BELFORT – La Poudrière (+ It It Anita)
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