The Armed, provocateur d’émotions

The Armed, provocateur d’émotions

Le nombre de fois où l’on entend de la part d’un groupe qu’il est le meilleur du moment vaut peu ou prou le nombre de sièges du RN à l’assemblée : beaucoup trop. Pourtant, quand on le dit de The Armed, c’est la vérité vraie. Rien ni personne ne peut survivre à la déflagration du collectif punk hardcore noise pop expé _ (complétez le reste) de Detroit. Après avoir fait le malin à brouiller les pistes sur l’identité de ses membres, le groupe a tout dévoilé et joue maintenant cartes sur table. C’est avant de retourner un Trabendo abasourdi mais consentant que je me suis entretenu avec le leader et chanteur Tony Wolski, exsudant la gentillesse pathologique et un enthousiasme si démonstratif qu’en fin d’interview, m’est venue l’idée de faire une série de pompes et l’envie de monter mon propre groupe hardcore.

Perfect Saviours est-il le premier album ayant permis au groupe de composer sans forcément être dans l’ironie et les blagues méta ?

Tony Wolski : C’est toujours présent vu que c’est un peu le point d’orgue des trois albums précédents. L’idée de Only Love était de procéder en quelque sorte à une inversion du hardcore en pop, avant qu’on fasse le contraire avec Ultrapop. Perfect Saviors est, lui, littéralement un album de rock de stade. On a distillé sur ces disques notre envie de disséquer la pop culture actuelle. Dans ce monde où tout est devenu accessible de façon équitable à moins d’être totalement hors réseau, il est superflu de définir les choses de niche. Il ne s’agit pas de dire qu’avoir une affection toute particulière pour la sous-culture n’est pas important, c’est juste que le concept du gatekeeping, principalement dans les musiques extrêmes, est entouré d’une aura toxique et nocive. J’aime donc cette idée de continuer à faire des shows et de vendre des tee shirts avec le mot ‘hardcore’ écrit en gros dessus, alors que notre musique n’en est plus vraiment depuis un moment. Il y a donc toujours cette ironie, tout comme dans beaucoup d’oeuvres d’art de qualité puisqu’on pense surtout que ce sont juste des putains de bons morceaux. David Bowie était un génie qui avait un sens de l’humour très développé et beaucoup de chansons joyeuses. Tout cela n’est pas accepté dans la musique heavy alors que ce genre est hilarant. C’est quand même drôle et stupide de se dire qu’on joue de la musique pour gros durs, n’est-ce pas ?

Avais-tu des peurs ou des réticences à remettre l’accent sur l’identité réelle des musiciens du groupe, de ne plus pouvoir écrire dans un environnement sans égo ?

De toute manière, notre concept d’anonymat avait déjà disparu. Nous ne nous sommes jamais vraiment cachés. Ce n’est pas comme si nous portions des masques. A Detroit, tout le monde nous connaît depuis le départ, donc ça semblait idiot de continuer à faire ce truc qui aurait pu finir par être considéré comme un gimmick. Nous sommes trop vieux pour ces conneries ! Puis l’absence d’égo est une sorte de prérequis pour intégrer ce groupe. Quand nous étions plus jeunes, l’anonymat était un mécanisme de défense pour assurer notre sécurité, mais maintenant que tout le monde sait qui nous sommes, c’est comme si se cacher attirait davantage l’attention sur notre identité plutôt que de la gommer et de susciter intrigue et mystère. Nous avons joué le jeu, avouons-le, mais nous ne voulions pas que ça devienne une parodie. D’ailleurs, le morceau Parody Warning sur Only Love parle justement de ça. L’idée d’y balancer nos noms n’avait pas pour but de les révéler au grand public, mais seulement d’inviter les gens à ne plus parler de ça.

Tu as abordé l’idée de concevoir un album pop en partant du hardcore. Est-ce le but principal de The Armed depuis ses débuts ?

Ça l’a été pour nos trois derniers albums. Avant cela, avec These Are Lights qui n’était qu’une collection de démos que l’on se refilait les uns les autres, on ne faisait qu’essayer de trouver notre son. En fait, nous avons fait un album avant de monter un groupe. Ce n’est qu’à partir de Only Love que nous avons fait de grands progrès en essayant de trouver une singularité. Là, nous avons eu cette idée de rendre les clichés de la pop acceptables pour le monde du hardcore. Aujourd’hui, je suis content que la trilogie soit terminée parce que le monde autour de nous a radicalement changé et beaucoup de groupes se sont engagés dans cette voie. Je ne dis pas qu’on a lancé ce mouvement mais ce serait devenir banal que de continuer dans cette direction. Aujourd’hui, tous ces groupes de hardcore de centre commercial remplissent des arènes à guichets fermés. Tout est ultrapop maintenant ! Ce concept, nous l’avons mené aussi loin que possible. Maintenant, on cherche à défricher de nouvelles terres et à aller de l’avant !

The Armed semble obsédé par la pop culture. Est-ce que tous les albums du groupe la dissèquent vraiment, sans anesthésie ?

C’est vraiment quelque chose dont nous parlons constamment. The Armed s’efforce d’être un miroir de notre environnement, et c’est amusant de se référer à la pop culture au sens large, de parler de ses différentes intersections, mais aussi de ce qui t’intrigue et de ce qui te fait plaisir. Par exemple, le hardcore est devenu un sujet sur lequel les gens s’engueulent sur Twitter. C’est censé être une musique pour des putains de jeunes de 18 ans sauf que, maintenant, ce sont des trentenaires qui se prennent la tête sur les réseaux parce que Speed a foutu de la flûte sur un breakdown ! Tu imagines poster ça de manière sincère ? Qui en a quelque chose à foutre ? Il faut que ces mecs grandissent ! C’est stupide d’imposer des limites qui n’ont pas lieu d’être. Je me sens mal pour eux. Ils sont bloqués dans leur cerveau de post-adolescent et écoutent les mêmes albums en boucle.

Cela explique le côté épique et grandiose de Perfect Saviors, et votre volonté d’incarner l’esprit rock de stade dont tu parlais juste avant ?

Oui ! Vu que le hardcore s’invite désormais dans la culture pop, on s’est dit que la chose qui correspondait le plus au groupe était de faire l’album le moins hardcore possible, de faire quelque chose qui ne soit pas cool du tout : du rock de stade. Et sans ironie ! Nous aimons beaucoup ça puisqu’on a grandi avec des groupes comme les Smashing Pumpkins. En revanche, on n’a pas voulu opter pour des références 100% esthétiques parce que j’ai l’impression qu’on trouve beaucoup de cosplay dans la musique actuelle. Nous, on s’en fout de tout ça, ce qui nous importait était plutôt de rendre hommage à l’esprit de Mellon Collie and the Infinite Sadness ou de Californication. Avec The Armed, tout le monde s’attend à devoir mâcher un truc lentement, comme s’il y avait du verre dedans. Là, pour aller à l’opposé des attentes, on a plutôt fabriqué une sucette ! Beaucoup de gens ne s’y sont pas encore faits, mais c’est exactement ce qu’on voulait ! En écoutant Perfect Saviors, tu peux y retrouver la profondeur de tous les albums précédents, et la priorité mise sur le mixage y est pour quelque chose. En tout cas, c’est marrant de voir que les réactions peuvent être aussi négatives quand on fait quelque chose d’accessible, que lorsqu’on fait des morceaux qui sonnent comme un grand orchestre complètement taré.

J’ai lu que tu as beau détester le son de la guitare acoustique, tu te mets au défi de l’utiliser dans vos chansons. Qu’est-ce que tu méprises tellement que tu refuseras toujours de l’employer sur un des albums du groupe ?

Nous n’utiliserons jamais de sample de cette chanson de Muse qui fait ‘THEY WILL NOT FOOOOORCE UUUUUUS’.

Tu as confié que la plupart des choses que tu as aimé t’ont dégoûté au premier abord. Ça explique beaucoup de choses sur le groupe ! C’est un sentiment que tu veux provoquer chez ton public ?

Oui… Nous vivons dans une société où il est gratifiant à bien des niveaux de réagir instantanément. La preuve avec Tik Tok, YouTube et Instagram. Tu as des milliards de vidéos différentes et beaucoup d’entre elles sont des trucs du genre ‘un professeur de piano réagit à sa première écoute de NIN’. Tu as aussi des critiques qui écoutent un album et qui réagissent en direct. Je regarde moi aussi ces vidéos donc je ne dis pas qu’elles sont forcément mauvaises, mais elles sont à l’opposé de la façon dont le groupe et moi abordons l’art. Quand, à 14 ans, j’ai vu At The Drive-In en première partie de Rage Against the Machine, j’ai pensé que c’était le pire groupe que j’avais jamais écouté de ma vie. Deux semaines après, c’était devenu mon préféré. Les choses qui vous mettent au défi font généralement de vous un artiste plus fort et plus accompli. Nous n’avons pas peur de ça, du coup c’est typiquement ce que nous essayons de faire avec nos albums. Nous voulons décontenancer les gens avec des morceaux comme Sport of Measure qui sonne comme Kermit la Grenouille chantant à la lune.

Patrick Shiroishi, compositeur multi-instrumentiste de jazz expérimental, a maintenant rejoint The Armed à plein temps. Du coup, doit-on s’attendre à encore plus de bizarreries et de folies ?

Peut-être ! Ça a toujours été amusant de créer avec lui. Nous sommes entourés de membres qui veulent faire la meilleure musique possible, et qui n’ont pas peur de tenter, d’explorer. Patrick, je lui envoie des démos vers 22h et il bosse dessus jusqu’à 2h du matin avant de me les renvoyer. C’est super fun. Il y aura beaucoup de sons différents et de trucs bizarres sur le prochain album… Comme pour tous les autres, l’idée est qu’il nous ressemble, tout en essayant d’élargir notre terrain de jeu. Mais oui, le prochain est vraiment tordu, putain…

Selon toi, la musique heavy a des décennies de retard, notamment à cause de la binarité des fans et des critiques. Qu’est-ce que tu veux dire par là exactement ? Personnellement, je trouve que le genre se porte bien, avec pas mal de groupes qui osent mêler les genres et les humeurs…

Oui mais ça n’arrive seulement que maintenant ! Les gens semblent un peu moins se soucier d’être cool, pour mieux comprendre ce qui rend les choses intéressantes. Pendant longtemps, tu as eu, au sein de la musique heavy, des discours comme ‘la caisse claire doit donner comme ça et pas autrement‘. Quand on a sorti Only Love, les gens détestaient le son de l’album, ils pensaient qu’il était trop crado. Ça me fait penser au son de la caisse claire de St. Anger de Metallica. Je ne dis pas que cet album est bon, mais je trouve juste amusant qu’une grande partie des critiques de l’époque aient pointé un mauvais enregistrement. Tu penses vraiment que ces gars qui ont eu toutes les ressources à leur disposition n’ont pas eu exactement ce qu’ils voulaient ? Tu peux dire que tu n’aimes pas et que tu trouves ça nul, mais tu ne peux pas dire que ce son est involontaire. Ces gens sont fanatiques et puritains vis-à-vis de l’art, et on prend plaisir à se foutre de leur gueule, à les énerver. Avec l’âge, on a tendance à se calmer mais on aimera toujours mettre les nerds en colère. Parce que c’est génial, putain !

Tu avais suivi un régime alimentaire et un programme sportif très strict avant la sortie de Ultrapop. Etait-ce pour la blague, ou pour coller à l’idée du rock de stade avec des biscottos qui commençaient à germer ?

C’est le résultat de plusieurs choses. Début 2020, une de nos tournées a été annulée deux fois à cause du COVID. Avant cela, quelques-uns d’entre nous avaient suivi un régime pour se remettre en forme, sauf qu’on s’est finalement retrouvé à la maison à ne pouvoir rien faire, si ce n’est du sport ! Devenir musclé et en parler naturellement ne sont pas des choses cools. Donc on l’a fait, et c’est devenu peu à peu un mode de vie très sain pour la plupart d’entre nous. Ça fait du bien d’être en forme et ça permet de donner le meilleur de toi-même lorsque tu es sur scène.

D’ailleurs, en parlant de live, on vous a expressément interdit de foutre votre bordel habituel pendant la tournée durant laquelle vous assuriez la première partie de Queens of the Stone Age. Tu peux m’en dire plus ?

Oui, on s’est fait engueuler ! Disons juste que jouer dans des clubs de 100 personnes est très différent d’être le premier de trois groupes à ouvrir pour QOTSA dans le cadre d’une tournée de stades… On l’a très vite compris dès les premiers shows. Il s’en est suivi pas mal de discussions houleuses… Mais pas avec QOTSA ! Eux ont été cools !

Te souviens-tu de la date parisienne de The Armed à l’Olympic Café, à Paris, en 2019 ? J’y étais et c’était vraiment démentiel. Là, je me souviens avoir pensé que vous étiez probablement le meilleur groupe du monde…

Ah putain merci ! Et merci d’avoir été là ! Je me rappelle que ce show était vraiment top. Je me souviens également de cette chaleur abominable et du fait que le sol était littéralement glissant de sueur.

Photos : Titouan Massé est sur Instagram

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