Th Da Freak, Thoineau simple freak

Th Da Freak, Thoineau simple freak

Que ce soit à la tête de son groupe TH Da Freak ou à celle du label et collectif bordelais Flippin’Freaks, Thoineau Palis est devenu en quelques années une figure omniprésente, voire quasiment incontournable, de la scène indie rock française. Sorti cet automne, son dernier album Coyote démontre à quel point le presque trentenaire a su se remettre en question, apprivoiser ses doutes et, surtout, évoluer. Sans pour autant renier ses influences slacker et lo-fi, véritables péchés mignons du girondin, il a su apprendre à s’entourer, à déléguer, à faire différemment. En un mot : grandir. Entretien d’une rare franchise avec un musicien qui, aujourd’hui, ne souhaite plus se cacher.

Le titre de ton cinquième album, Coyote, fait référence à un personnage de la mythologie amérindienne : le Coyote est un fripon / trickster qui aurait volé le feu aux dieux pour l’offrir aux hommes. Il symbolise, également, le passage de la vie à la mort. Pourquoi ce titre ? Y-a-t-il une signification particulière derrière ce choix ?

Thoineau Palis : Mes textes étaient assez portés sur les contradictions qu’il peut y avoir chez les humains, sur les relations qu’ils ont entre eux, sur ce que l’on ressent et ce que l’on fait. Je suis tombé sur cette légende du Coyote, et je trouvais qu’elle résumait très bien ce thème-là, et plus généralement les humains dans leurs peurs et leurs contradictions. Il y a un autre aspect de la légende que j’aime bien : le Coyote a beaucoup de pouvoirs, notamment sur la vie et la mort. À un moment, il doit décider si les humains doivent vivre éternellement ou s’ils doivent mourir un jour. Il choisit, et décide donc de l’existence de la mort. Il en discute avec le Loup, autre personnage mythique, qui lui répond : ‘OK, d’accord, mais dans ce cas-là, ce sont tes enfants qui vont mourir en premier‘. Le Coyote se dit : ‘Ah, merde… J’ai décidé qu’il y aurait la mort, mes enfants vont donc mourir, et mes décisions vont être à l’origine de ma tristesse‘. J’ai l’impression que les humains sont souvent comme ça : il réalisent souvent à posteriori la gravité de leurs actes. Ça m’a plu et mes textes en parlent, comme dans Sail Away et d’autres morceaux non retenus pour l’album qui, même s’ils n’ont pas été sélectionnés, en font tout de même partie selon moi. J’ai d’ailleurs l’impression que cette idée a été plus explorée dans ces titres-là.

Envisages-tu de sortir ces morceaux non retenus un jour ?

Oui. On en retrouve déjà deux en face b des singles Magaly Should Run et Pretty Cool sortis sur Flippin’ Freaks (Crying Babe et Taste The Rainbow). Ils sont disponibles sur le Bandcamp du label.

Coyote sort trois ans après Freakenstein. Tu nous avais auparavant habitués à l’immédiateté, à composer, enregistrer et sortir tes disques dans la foulée. As-tu voulu prendre cette fois-ci le temps de mûrir ton projet, de faire les choses différemment, ou est-ce tout simplement l’écriture qui a été plus… laborieuse ?

C’est un peu un mélange de tout ça, mais je dirais que c’est un peu plus de la faute des morceaux de cette période… Normalement, quand j’écris un album, je trouve directement un fil rouge. Je vois très vite l’esthétique générale du disque, et c’est pour cette raison que j’ai toujours envie de le sortir rapidement. C’est généralement toujours très clair dans ma tête, sauf cette fois-ci où je ne trouvais pas de cohérence, à l’exception des textes. Au niveau de la musique, c’était éparpillé : il y avait de la folk, des choses plus électriques, plus expérimentales aussi avec des synthés… Plutôt que de devoir choisir, j’ai alors contacté Stéphane Gillet qui, ensuite, a produit l’album. Quand je suis arrivé avec mes vingt morceaux, je lui ai demandé de me filer un coup de main. C’est la première fois que je faisais ça. Il m’a aidé à apporter de la cohérence. Sur mes démos, les sons de batterie ou de guitare sont hyper différents. Il y a beaucoup d’effets partout. Stéphane a fait le tri, a tout rassemblé en un seul bloc, et le tout a donné Coyote.

Avoir à demander de l’aide ne t’a pas inquiété ?

Non, au contraire, j’ai trouvé ça excitant de faire un peu différemment. J’en avais un peu marre de faire des trucs tout seul chez moi. Au bout d’un moment, c’est un peu relou. J’avais déjà essayé de faire un peu plus collectif avec l’EP Hola Todos, qui est sorti en janvier 2020. Mais, bon, ce n’était qu’un EP, et je n’ai pas pu plus explorer le truc, d’autant qu’il avait été enregistré avec les anciens membres du groupe.

Pourquoi Stéphane Gillet ?

C’est très simple. Déjà, il habite Bordeaux. Ça, c’est hyper cool car je peux faire mes trucs aussi bien chez moi que chez lui. Je peux y aller quand je veux, ou presque. Et, surtout, parce qu’il a produit des albums d’artistes bordelais dont je suis hyper fan. Je pense notamment à Nunna Daul Isunyi de Sam Fleisch, qui est sorti chez Teenage Menopause. J’ai découvert Stéphane avec cet album. Il a ensuite enregistré l’album Grow Up! de Pretty Inside, le groupe d’Alexis Deux-Seize, un de mes meilleurs amis. Alexis m’a raconté comment s’étaient passées les sessions, ça m’a plu et m’a donné envie de travailler avec lui.

Avec un peu de recul, quel effet ça t’a fait de confier les rênes à quelqu’un d’autre, ou de partager les commandes ?

C’est un vrai sujet car je suis très control freak (sourire). Je suis passé mentalement par plusieurs étapes pendant les sessions d’enregistrement. La première, c’est quand tu découvres l’autre. C’est cool, on regarde, on apprend. Après, tu commences à voir que la direction que l’on est en train de prendre ne correspond peut-être pas totalement à celle que tu aurais voulu emprunter… Et ça, ça a été un peu dur pour moi. Il y eu des petites phases où je me suis dit : ‘Ah mince, j’aurais préféré que ça ne sonne pas comme ça…‘, même si je savais que Stéphane avait fait de cette façon-là pour servir le morceau. Et puis, ça a duré longtemps, neuf mois même si on ne se voyait pas tous les jours. En comparaison, l’enregistrement de Freakenstein a duré une semaine, ce qui fait une sacrée différence. Même si tu peux toujours tout changer, accepter ce qui été fait et gravé dans le marbre est un passage un peu difficile. Ensuite, il y a la dernière étape, celle où tu réalises que ce sont les bons choix qui ont été faits. On réalise que le morceau est là où il doit se trouver et qu’il est comme il doit être. C’est très agréable. Au final, même si l’album a beaucoup évolué en cours de route, j’en suis super satisfait. Et c’est l’essentiel pour moi.

L’album est très abouti, et plus appliqué que ses prédécesseurs. On sent que tu as peaufiné les détails et les finitions. La production met réellement en valeur les compositions et l’écriture. Comptes-tu poursuivre dans cette voie et continuer à travailler avec un producteur ou, au contraire, mettre en application seul ce que tu as appris avec Stéphane Gillet ?

Honnêtement, je ne sais pas. Je vais faire selon mes envies. Comme toujours, comme à chaque disque. Je ne suis pas quelqu’un qui se projette très loin. Je vis un petit peu au jour le jour et ça s’applique à ma musique comme à ma façon de faire des disques. Si je sens, sur le moment, que je dois faire appel à quelqu’un d’autre, je le ferai. Ça a été un cheminement assez long, avec Stéphane et ce disque. Je crois donc que, là, actuellement, je serais un peu plus dans l’envie de retourner faire des disques tout seul. On verra bien comment ça se passe.

Par le passé, tu as expérimenté l’artisanat et l’immédiateté lo-fi / DIY et, plus récemment avec Coyote, une démarche plus professionnelle et méticuleuse. Au niveau du plaisir pur, que préfères-tu ?

C’est différent. Il y a un sentiment de fierté très fort à la fin d’un enregistrement long et laborieux comme Coyote, même si ‘laborieux’ n’est pas le terme approprié. Avec le lo-fi, ce truc un peu plus direct, on n’est pas dans la fierté mais dans le petit plaisir. Ce sont deux choses très différentes. Je ne peux ni comparer, ni choisir.

Coyote semble marquer un tournant dans ta discographie. Es-tu d’accord avec ça ?

Totalement. J’avais le souhait d’ouvrir un nouveau chapitre dans ma discographie, et je pense que je vais continuer à faire des albums qui vont en découler. J’ai bientôt trente ans et j’ai l’impression d’avoir un peu grandi également, d’être désormais une personne un peu différente de celle que j’étais au moment de The Hood et Freakenstein.

Coyote semble matérialiser une sorte de passage à l’âge adulte. On dirait que, pour la première fois, tu cesses de te cacher. Il fut un temps où tu prenais plaisir – et tu étais le premier à le dire – à salir et saloper tes chansons. Est-ce que ce temps là est révolu ?

Je pense que oui, grâce à Stéphane qui m’a fait grandir et m’a orienté dans cette voie. Parfois, il m’a incité à ne plus mettre d’effets sur ma voix, ce qui a contribué notamment à cette évolution. Faire des choses différentes, c’est forcément intéressant. Les sons de guitares sont également un peu plus naturels, avec moins de vibrato. J’en mettais souvent, et beaucoup, car j’étais très inspiré par les disques de Mac DeMarco et Deerhunter. Ces sons plus naturels font qu’il est difficile de dater cet album qui sonne aussi bien actuel que nineties ou seventies. Et ça, c’était un peu le souhait de Stéphane. Donc, oui, c’est vrai, aujourd’hui je me cache moins.

Psychologie de comptoir, à présent : quand tu te cachais derrière les effets, n’était-ce pas aussi par manque de confiance ?

Tu as raison, c’est une bonne analyse. Je ne me suis jamais considéré comme un grand chanteur ou un grand performer. Avoir tous ces effets me permettait de considérer ma voix comme un instrument. Là, j’ai débloqué le truc. Je chante désormais avec ma voix. J’ai encore énormément de progrès à faire, mais c’est cool. Je ne dirai pas que c’est un nouvel univers, car j’ai déjà chanté et écrit des paroles auparavant, mais c’est un aspect que je vais creuser un peu plus, oui.

Sur Coyote, tes influences semblent un peu plus variées que par le passé, et s’éloigner des groupes US à guitares des nineties. L’album sonne plus pop, plus folk. Qu’écoutais-tu au moment de son enregistrement ?

Alex G, inévitablement. J’ai grandi avec lui. Il a le même âge que moi et on fait un peu la même musique. Lui, il est arrivé un peu plus tôt que moi à des albums de cette trempe-là. Je pense que je m’en suis beaucoup inspiré. Il y a également Kurt Vile, que j’ai beaucoup écouté dernièrement. Et, en plus psychédélique, Mercury Rev, notamment leurs albums des années 2000 : All Is Dream et The Secret Migration. Ce sont les trois principales influences de Coyote.

Tu as commencé la musique assez tôt, et donné tes premiers concerts vers 15 ou16 ans. Tes frères sont également musiciens : Sylvain est dans Siz, et Rémi chez Animalmore. Vos parents vous ont-ils mis le pied à l’étrier très tôt ?

Nos parents ne sont pas musiciens de profession. Ils chantaient dans des chorales. Notre père jouait du piano, mais en autodidacte. On allait les voir chanter quand on était tous petits. Ça a dû leur sembler important de nous mettre à l’école de musique très tôt. On a tous commencé à jouer d’un instrument hyper jeune. Moi, j’ai commencé la guitare quand j’avais dix ans. J’ai fait le conservatoire de guitare classique et appris le solfège. Et tout ça, à peu près, jusqu’à la pré-adolescence où, là, tu as envie d’avoir une guitare électrique (sourire). Aujourd’hui, nos parents sont contents, ils nous soutiennent. Ils sont super à ce niveau là. On a beaucoup de chance.

Entre frères, comment ça se passe ? C’est une saine émulation ?

Nous ne sommes jamais dans la compétition. Ce n’est pas du tout dans notre tempérament. Nous sommes juste hyper contents quand l’un de nous sort un projet. On se soutient, on essaie de participer, de s’entraider. Animalmore et Siz, par exemple, c’est moi qui les sors avec Flippin’ Freaks. Rémi a fait tous les violons sur Coyote, également.

Tu parlais de Flippin’ Freaks que tu as fondé… C’est un collectif, un label, les deux à la fois ?

C’est plein de choses. À la base, c’est un projet de potes de lycée, un fanzine dont on imprimait des numéros papier. Nous y parlions de la scène musicale bordelaise, que l’on était alors en train de découvrir. On avait 16 ou 17 ans, et nous voulions vraiment communiquer notre passion pour la scène locale. Ensuite, il y a eu un gros gap car nous avons fait chacun nos études de notre côté. Vers 2016, donc quatre ans plus tard, nous sommes tous revenus dans la même ville et sommes alors devenus plus musiciens que journalistes (sourire). Là, nous avons décidé de remanier Flippin’ Freaks en collectif d’artistes, de jouer dans les projets des uns des autres, et d’organiser des concerts dont nos groupes pourraient assurer la première partie. Nous avons commencé à sortir des disques, et Flippin’ Freaks est naturellement devenu un label. Aujourd’hui, nous sommes 10-15 groupes, et six à gérer le collectif et label au quotidien. Avec les autres membres des groupes et les bénévoles, nous devons être une trentaine.

As-tu une priorité entre Flippin’ Freaks et Th Da Freak ?

Non. Franchement, je traite les deux projets sur un même pied d’égalité. Quand je suis accaparé par TH Da Freak, d’autres prennent le relais sur Flippin’. Et ça marche également dans l’autre sens. Tout se fait naturellement.

Flippin’ Freaks, donc, mais aussi Howlin’ Banana. Comment ça se passe, dans les faits, entre les deux structures ?

Un peu comme Sonic Youth, je sors mes disques sur mon propre label pour le geste, puis pour enrichir le catalogue. Lors des sorties, Howlin’ Banana gère plutôt la promo, le pressage… Je suis très heureux de bosser avec Tom (Picton), c’est l’une des personnes qui travaille le mieux dans le milieu des labels indé. On collabore depuis 2017 et, à chaque fois, il est toujours à fond derrière nous pour chaque sortie de disque. C’est un énorme plaisir de travailler avec lui, et une chance incroyable. J’ai envie de continuer avec lui car il m’a fait confiance. Je lui suis très fidèle. Il nous laisse une totale liberté artistique, comme avec tous les autres artistes du label, même s’il lui arrive de donner son avis sur le tracklisting, par exemple.

De quels groupes de la scène française te sens-tu le plus proche?

Chez Howlin Banana, j’aime beaucoup le groupe Avions. Sinon, forcément, les groupes de Flippin’ Freaks… Teeth, Edgar Déception. Je me sens très proche d’eux dans la liberté avec laquelle ils font de la musique. Opinion et Pretty Inside également. Au début, on ne voulait signer que des groupes de Bordeaux, mais nous nous sommes un peu ouverts avec la sortie du premier EP de Johnnie Carwash.

Tu sembles très attaché à ta ville, Bordeaux… Tu en parles souvent.

Oui, forcément… J’ai fait mes premiers concerts à la Rock School Barbey devant 600 personnes car c’était le Teenage Rock. Si tu avais un groupe de garage, tu avais alors la possibilité de jouer devant autant de monde. A cette époque-là, j’allais également dans des petites salles, des caves, voir jouer des groupes de lycéens, et l’ambiance était incroyable. J’ai vécu l’âge d’or du rock à Bordeaux, et ça m’a tout simplement collé à la peau.

Comment expliques-tu le dynamisme musical de cette ville où il y a, par exemple, quatre labels comme Talitres, Vicious Circle, Platinum et Flippin’ Freaks ?

Je ne sais pas… C’est peut-être bête ce que je vais te dire mais, à Bordeaux, il y a des caves. Maintenant, on n’y trouve plus de vin mais des groupes de rock (sourire). Avoir une batterie, chez soi, c’est facile. Mais pouvoir en jouer… À Bordeaux, tu en joues dans les caves. Des groupes se créent comme ça, et ça finit par former un cercle vertueux.

TH Da Freak, Flippin’ Freak, Freakenstein… Tu te définis toi-même comme ‘freak’. Maintenant que tu as bientôt trente ans, est-ce que ce mot te correspond toujours ? Ne te sert-il pas à te cacher également ?

Je ne me sens plus trop comme ça. Cependant, je me considère toujours comme un freak par rapport au monde qui m’entoure. Faire de la musique, c’est une niche, un truc un peu spécial. Avec le temps, j’ai découvert et rencontré tellement de gens un peu comme moi que je ne me considère plus comme spécial. J’ai commencé à faire de la musique seul avec trois potes. Je me sentais seul au monde, à vouloir organiser des concerts dans des caves. C’est à ce moment là que ce mot est apparu.

Photos : Eddie, Pierre Martial

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