La Terre Tremble !!!, tectonique du risque

La Terre Tremble !!!, tectonique du risque

Voilà plus d’une décennie que La Terre Tremble !!! avance à l’ombre des étiquettes et des définitions que l’on essaye d’imposer par tous les moyens à sa musique. Conglomérat issu de Clermont-Ferrand mais qui a fondé son identité en pleine terre rennaise, le trio est aujourd’hui à la tête et à l’origine de quatre albums fascinants, complexes et exigeants, qui viennent solliciter l’auditeur pour mieux l’emmener avec lui dans un voyage incertain ou les structures et les genres attendent d’embarquer. Devant ce projet obscur, il a fallu questionner Paul et Julien, deux des membres du groupe, pour qu’ils nous expliquent l’origine des forces étranges qui habitent leur projet vieux de 10 ans.

Vous avez plus d’une décennie d’existence avec La Terre Tremble !!!. Comment vous êtes-vous rencontrés en 2005 ?

En fait, avant de créer La Terre Tremble !!!, on se connaissait déjà. Nous nous sommes tous rencontrés à l’adolescence à Clermont-Ferrand dont nous sommes tous originaires.

Vous aviez des groupes avant ?

Oui, mais rien de sérieux, des groupes d’ados. C’est vraiment en montant à Rennes en 2003 qu’a démarré l’idée d’un groupe.

Et ce groupe, il s’est matérialisé autour de quelle idée ?

Au début, il s’agissait juste de se réunir autour d’un enregistrement. On a commencé par enregistrer un disque qui était une sorte de collage de tout ce qu’on faisait à l’époque. A savoir, des musiques improvisées, psychédéliques, expérimentales, folks… : un gros bordel qui nous représenterait un peu. C’est suite à ça que l’idée d’un groupe est née.

Je lisais d’ailleurs que, pour l’enregistrement de ‘FauxBourdon‘, vous aviez du détruire les automatismes que vous aviez pour ‘Salvage Blues‘. Est ce que c’est une démarche qui est récurrente ?

Oui, j’ai l’impression que chaque album se fait en réaction avec le précédent. Par exemple, ‘Travail’ était un album qui était très précis, chirurgical et un peu froid. On a donc pris le contre pied après avec ‘Salvage Blues’ dans un album un peu débordant. Et pour le coup, ‘FauxBourdon’ est peut être un peu plus doux, un peu plus mélancolique. C’est ça que j’aime bien. Ce qui m’intéresse en général chez un artiste, c’est la somme de tout ce qu’il a fait, plus qu’une œuvre individuelle. Ce qui fait sens, c’est son parcours. Cet album a du sens parce que tu le mets en relation avec l’album d’avant, dans une suite logique, ou illogique d’ailleurs. Dans le cinéma, c’est pareil : un film est intéressant quand tu le mets en contexte par rapport à la filmographie d’un réalisateur.

Du coup, pour ces automatismes, est-ce que ça consiste à jouer beaucoup avant de composer pour repartir sur de nouvelles bases ?

Ce n’est pas simple parce que, jouer ensemble, on le fait quasiment depuis le lycée ; et musicalement, on se connaît trop bien malheureusement. C’est ça le souci : arriver tous les trois à se remettre en danger pour faire les choses. Ce qui n’est pas forcément évident pour nous.

Est-ce que l’apport de nouveaux matériels, avec la possibilité de créer de nouveaux sons, peut vous aider ?

Oui. Par exemple, sur cet album et contrairement aux précédents, on a moins composé avec la guitare, qui était très présente sur ceux d’avant. On voulait composer avec des instruments qu’on ne maîtrisait pas trop bien. Il y avait même des morceaux qui étaient composés au piano, ou au synthé, et à la guitare acoustique souvent même si ça, ça reste une constante sur tous nos albums qui nous apporte souvent une idée de départ.

Comment a évolué votre rapport à la scène au cours de votre carrière ? Est-ce que c’était quelque chose de difficile à appréhender au début ?

Au début du groupe, ce n’était pas du tout quelque chose qu’on avait envisagé. On voulait vraiment faire de la musique, bricoler chez nous, faire des disques. Les concerts, c’est apparu au moment ou Seb a rencontré Julien du collectif Effervescence (qui est devenu Murailles Music). On leur a proposé un de nos albums pour qu’ils le sortent sur leur label. En gros, ils ont accepté mais ils ont demandé de voir ce que le groupe pouvait donner en live. Ça a été un peu le déclic, de se dire oui, pourquoi pas passer à la scène et voir ce que ça peut donner. Et très rapidement, on s’est rendu compte que c’était deux choses très différentes pour nous. On s’est aperçu très vite qu’il y avait des choses qui n’allaient pas être possibles telles quelles, et qu’il allait falloir les adapter.

C’était quoi les plus grosses difficultés ?

En gros, nos albums ont volontairement un coté artificiel, avec des choses pas naturelles, travaillées pour l’écoute afin que l’auditeur ne s’en rende pas compte. Et on n’a pas les techniques nécessaires pour les reproduire telles quelles en live. Il y a des choses qui sont impossibles à faire en trio, en tout cas en terme d’instrumentation, d’arrangement. On cherche à chaque fois des solutions d’adaptation pour transformer le morceau ou le rendre intéressant dans le cadre d’un concert.

Comment vous présentez-vous sur scène maintenant ?

C’est assez nouveau, vu qu’on a fait que trois concerts avec le nouveau live de ‘FauxBourdon’. C’est déstabilisant pour nous et assez drôle aussi, on casse complètement ce à quoi on était arrivé sur ‘Salvage Blues’, cette formule rock avec ce power trio basse-guitare-batterie. Là, il y a beaucoup moins de puissance sonore. A l’image de l’album, tout est plus diffus, on a plus d’instruments sur scène, qu’on maîtrise beaucoup moins que la guitare. C’est un tout nouveau monde.

Quel impact a eu le projet ciné-concert ‘Tom et Jerry’ sur le groupe ?

L’aventure ciné-concert, on ne pensait pas que ça aurait cette importance dans l’histoire du groupe. On pensait que ce serait un one shot. A la base, c’était juste l’idée de faire un ciné-concert, pour une salle de concert, le temps d’un seul événement, pour un soir. Mais en fait, on a tourné plus qu’on ne l’imaginait parce qu’on s’est retrouvé à trimbaler ce ciné-concert pendant 2 ou 3 ans. Et forcément, ça donne un tout autre rapport à la musique. Un ciné-concert, c’est un spectacle qui se doit d’être alchimique, très millimétré, ou tout est réglé sur l’image. Donc disons que, pendant 3 ans, on s’est retrouvé à jouer en concert mais en étant un peu dans l’ombre, au service de l’image et non plus au service de nos chansons. Ça a changé plein de choses, notamment le fait de jouer une musique qui soit moins frontale. Ça a eu une influence sur ‘FauxBourdon’ qui est moins exubérant et moins axé sur le mur du son.

Qu’est ce qui vous a plu dans cet univers de Tom et Jerry, ce coté un peu absurde ? Comment avez-vous découvert ça ?

A la base, la salle qui nous a commandé ce ciné-concert nous a laissé le choix libre du film, et l’idée pour nous était de nous dégager d’une œuvre trop marquée, trop respectable aussi. Il fallait qu’on bosse sur un projet avec un peu de détachement, donc il ne fallait absolument pas choisir un film de grand maître ou notre film préféré. Pour des histoires de rythme, on trouvait que le cinéma d’animation, les formats courts, étaient intéressants. Dans cette série des Tom de Jerry, ce qui nous a plu le plus n’était pas les deux personnages qui ne sont pas si importants que ça, mais plutôt l’univers dans lequel chacun évolue, cet univers un peu fantastique dans lequel il n’y a rien de stable. Ça, c’était une super matière.

A l’époque de ‘Salvage Blues’, vous évoquiez un processus de création assez difficile, tortueux. Qu’est ce qui vous pose le plus de difficulté dans l’enregistrement de nouveaux morceaux ? Comment s’est passé celui de ‘FauxBourdon’ ?

Il n’a pas été aussi difficile que celui de ‘Salvage Blues’ qui était particulièrement pénible dans sa création. Mais oui, ça reste toujours des épreuves assez difficiles, même si il y a toujours des bons moments en soit. Ce n’est jamais facile de faire un nouvel album, pour nous en tout cas. Au tout départ, à la suite du ciné concert, on était un peu lessivé, on s’est retrouvé forcément un peu triste, on se demandait ou aller. Ça, c’est très angoissant, mais l’enregistrement n’a pas été si compliqué que ça. C’est plutôt le mixage je crois qui est toujours une période compliquée à gérer pour nous, alors que c’est peut être la plus passionnante parce que c’est là que tu donnes forme à ton disque. Toute la matière première est là, tout est sur le papier, mais il faut tout modeler. Je ne sais pas si les groupes s’en rendent compte, mais c’est vraiment une étape décisive : il y a vraiment moyen de transformer une chanson, de partir dans une direction qui n’était pas du tout celle voulue au départ. Et tout ça, ça demande de faire des choix.

C’est là que les difficultés commencent ?

Oui ça peut arriver, pas tant entre nous parce que, au final, j’ai l’impression qu’on a quand même toujours la même vision d’ensemble, on sait ou on veut aller. Mais c’est vrai que c’est compliqué pour notre ingénieur du son, la personne qui nous enregistre et qui mixe, de nous supporter avec nos caprices. On n’a pas toujours les compétences techniques de nos idées, donc tout le jeu est de faire comprendre à l’ingénieur du son que les éléments doivent sonner comme ça. Il nous dit que, non, ce n’est pas possible, et on lui répond que si, donc c’est là que le combat commence !

On parle beaucoup des structures de vos morceaux, mais on évoque moins vos textes. Est-ce que vous développez une cohérence d’ensemble qui s’étend sur tout un album ? Pour le dernier, ça reste assez abstrait dans l’ensemble. Comme le premier morceau ‘Henry & I’ qui évoque une sorte de petite annonce. Comment ça se passe pour l’écriture des paroles 

Tout à fait, l’écriture des paroles se passe toujours après la composition de la musique. Et là, pour le coup, l’écriture est venue après l’enregistrement de la musique. C’est vraiment un travail qui s’est fait par dessus ce qu’on avait fait, donc c’était comme une deuxième étape. Ce qui était le plus important sur le disque, ce n’était pas de savoir ce que j’allais dire dans la chanson, mais qui est ce qui allait la chanter. C’est plus important pour moi de savoir qui est le narrateur et ou il se trouve, plutôt que de se demander ce que ça raconte. Ça, ça m’intéresse assez peu. En général, savoir qui parle est le meilleur point de départ pour écrire une chanson.
Dans ‘Henri & I’, il y a ce côté un peu réclame ou publicité pour quelqu’un qui vendrait ses services en amitié. Il y a quelque chose d’assez pathétique. Je peux être votre meilleur ami en remplissant l’espace chez vous, et quelque part ça me faisait un peu penser à un musicien. Ouvrir le disque comme ça, c’était un peu une façon de dire bonjour, on s’appelle La Terre Tremble !!!, est-ce qu’on pourrait être votre meilleur ami le temps d’un disque ? C’est une proposition qui, dans le cadre de la chanson, est un peu triste et pathétique mais, en relisant ça, je me suis dit que c’était un peu le boulot du musicien que de remplir l’espace d’un intérieur quand quelqu’un écoute un disque, ou de remplir l’espace d’une salle de concert.

Il y a d’autres textes de l’album ou tu détectes une sorte de double sens comme celui-là ?

J’ai l’impression que je pourrais relire toutes les chansons et trouver un sens que je n’imaginais pas au moment de l’écriture. Je suis dans un état un peu second quand j’écris les paroles, j’écris jamais en parlant à la première personne, avec mes volontés et mes envies. Je ne parle jamais de moi, j’essaye toujours de me mettre à la place de quelqu’un d’autre.

Vous avez invité Sourdure sur l’album ou il chante en occitan. Du coup, qu’est-ce que vous pensez de son travail sur le patois, le mélange entre tradition et modernité ?

C’est quelque chose d’impressionnant, qu’on respecte énormément. C’est pour ça qu’on a fait appel à lui. C’est vraiment un domaine dans lequel on ne se sentirait pas à notre place. Lui, il a une légitimité à le faire parce qu’il vient de là, il a vraiment travaillé ça. On a fait appel à lui parce qu’on avait cette musique dont on ne savait pas quoi faire. Elle était déjà composée, et il y avait une place pour le chant que je ne savais pas comment remplir. J’avais du mal à trouver la voix sur cette chanson alors on a eu envie de demander de l’aide à quelqu’un. Est arrivée cette idée de faire appel à Sourdure qu’on ne connaissait pas personnellement mais qui est venu réveiller cette chanson, la transcender en posant cette voix qui nous a beaucoup parlé parce que ça fait écho à l’endroit d’ou on vient, de Clermont, avec cette culture occitane qu’on ne maîtrise absolument pas, avec tout un jeu de territoire et de culture qui nous a plu.

Ça vous amuse ou ça vous agace quand on vous range d’une manière un peu réductrice dans une case précise ?

Les gens sont obligés de parler avec leurs références. On ne peut pas leur en vouloir, mais c’est vrai qu’il y a toujours eu des incompréhensions. A une certaine époque, on parlait de nous comme un groupe math-rock et ça, c’est quelque chose qui m’a toujours sidéré, déjà parce qu’on sait pas ce que c’est, et qu’on a jamais eu l’impression de faire ça. Il y a toujours des incompréhensions entre ce qu’on veut faire, ce qu’on fait et ce que le public entend de nous. On a envie de faire une musique fantastique dans le sens presque littéraire du terme, une musique qui s’inscrit dans un cadre, ou il se passe des choses un peu dissonantes.

C’est votre album le plus cinématographique. On mentionne beaucoup de réalisateurs dans votre bio (Peckpinpah, Friedkin)… Est-ce que c’est quelque chose de toujours plus prégnant dans le groupe ?

Je pense que ça a toujours été un peu là. Après, c’est difficile de dire en quoi le cinéma influence la musique. On aime beaucoup les réalisateurs que tu viens de citer, on aime la manière dont ils utilisent le genre, un cadre très précis, le polar, le film policier, le film fantastique, et comment ils se servent de ce genre pour dire autre chose, pour aller beaucoup plus loin. Moi, je sais que ça fait plusieurs années que je suis beaucoup plus client de cinéma que je ne le suis de musique. Ça a forcément une influence sur nous.

C’est quoi la pire question qu’on vous ait posé en interview ?

Il y en a pas mal… Le truc qu’on aime le moins, c’est surtout dans les interviews radio. Ce ‘alors La Terre Tremble !!!, est ce que vous pouvez vous présenter ?‘. C’est insupportable, définir notre musique n’est jamais évident. C’est déjà quelque chose de la faire. En parler, il n’y a pas de soucis, mais la définir, je ne sais plus.

Tu as l’impression de trop l’intellectualiser en mettant trop de mots dessus ?

C’est tellement furtif l’idée que tu peux avoir de ton morceau à un moment donné… La musique, ça s’écoute, et faire passer à quelqu’un, par des mots, l’idée que toi tu as de ce morceau là, ça devient lourd. Plus que la question du pourquoi, on ferait mieux de nous poser la question du comment. C’est ça qui m’intéresse, et je pense qu’il y a moyen de dire plus de choses.

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