17 Mai 24 Technopolice, mistral gagnant
Après une poignée de singles malins et bouillonnants, révélateurs en ce sens de sa ville, Marseille la singulière, Technopolice publiait In Your Pocket début avril. Ce second EP a tout d’une pierre véritablement fondatrice pour sa jeune carrière, et explore en sept titres les genres du punk, du post-punk et du garage, montrant l’étonnante faculté du groupe à instiller au sein de constructions parfois complexes un grain de folie irrésistible, s’épanouissant pleinement et joyeusement sur scène. Peu de temps avant de jouer à la Lune Froide à Nantes, on rencontre Jules Massa (batterie), 21 ans, Zacharie Capitant (basse), 20 ans, Charles Priem (guitare, chant), 24 ans, et Léo Jousselin (Guitare, chant), 28 ans, visiblement éprouvés par la soirée rennaise de la veille, mais se requinquant à vue d’oeil en parlant et, surtout, en jouant leur musique deux heures plus tard dans le bar bondé, face à un public qui ne se fera pas prier pour faire la fête avec eux. Ces jeunes gens, il faut se le dire, n’ont pas simplement pour eux la vitalité et l’enthousiasme de leur jeunesse, mais encore cette pleine maîtrise de leurs références musicales qu’ils combinent d’une manière ludique et décomplexée pour produire une musique à la fraîcheur insolente.
Racontez nous l’histoire du groupe…
Charles : Jules et moi étions d’abord dans des groupes de punk. J’ai quitté SoVox pour composer mes propres morceaux, et nous nous sommes alors retrouvés avec Zacharie et Jules, en février 2021, juste après le Covid, quand les salles ont commencé à reprogrammer. Léo a intégré le groupe en octobre pour un premier concert au 6mic à Aix en Provence, qui n’est pas une SMAC (scène de musiques actuelles) mais qui en a tous les atouts. C’était notre premier concert.
Léo : Quand je suis rentré dans le projet, je faisais ce que l’on me disait de faire. C’était Charles qui était chanteur lead sur la majorité des morceaux, et ce n’est qu’au fur et à mesure que l’on a été plus à l’aise les uns avec les autres. Avec Charles, on porte maintenant le groupe à égalité en tant que chanteurs.
Vous aviez une idée précise, dès le début, du genre de musique que vous vouliez jouer ?
Charles : On voulait faire quelque chose de post-punk, avec des influences genre Idles, Fontaines DC. On en reparlait d’ailleurs aujourd’hui, de Fontaines DC : ça faisait longtemps qu’on n’avait pas écouté le groupe, au point d’oublier à quel point il a été pour nous une influence.
Léo : On réécoutait Dogrel dans la voiture tout à l’heure et on s’est rendu compte que Hijacked Communication, qui ouvre notre EP, a le même type d’intro que Liberty Belle, avec une batterie / voix au commencement, puis le reste des instruments qui suivent.
Charles : Après, je suis tombé amoureux de Parquet Courts, et quand Léo à intégré le groupe, c’est une direction artistique dans ce genre-là que j’ai proposée. Nous avons donc un mélange d’influences américaines et anglaises, avec tout de même une dominante anglaise.
Qu’est-ce qui vous a amené, chacun, à la musique ?
Léo : En ce qui me concerne, c’est mon père. Il est bassiste depuis qu’il a 17 ans, et il en a 55 aujourd’hui. Donc, grâce à lui, j’ai toujours baigné dans un univers musical, un peu barjo d’ailleurs, puisque je me souviens d’écouter des K7 de Frank Zappa dans la voiture. C’était naturel, pour moi, de chercher à m’exprimer par le biais des instruments. Au départ, je faisais également de la basse, puis je me suis tourné vers le chant.
Jules : J’ai commencé petit le piano au conservatoire. Puis, vers l’adolescence, j’ai découvert le rock par hasard. Je veux dire que, là, ça ne venait pas de mes parents : j’ai 12 ans, j’entends Nirvana pour la première fois, et c’est la claque de ma vie.
Charles : C’est aussi Nirvana qui m’a marqué. Il y avait un pote de ma mère qui téléchargeait toutes les discographies de tous les artistes, et il m’a filé l’intégralité d’AC/DC et de Nirvana – du classique, à l’époque – et j’ai commencé à écouter du rock comme ça. Ce qui m’a amené à jouer de la musique, en revanche, c’est le hasard : j’hésitais, ado, entre acheter une guitare ou une platine vinyle. C’était soit l’un, soit l’autre. Il se trouve qu’à l’époque, mon parrain avait fait refaire complètement sa guitare – qui était une super guitare d’ailleurs – et j’avais capté qu’il n’en faisait plus trop ; je lui ai donc demandé si je pouvais l’essayer, et juste après il me l’a donnée. J’ai donc commencé à faire de la guitare en regardant plein de tutos, sur Youtube, pour apprendre à jouer des classiques rock.
Zacharie : C’est ma grand-mère qui m’a fait connaître la musique, surtout du jazz, qu’elle aimait beaucoup. Et la pratique de l’instrument est venue en même temps : j’ai commencé la contrebasse au conservatoire, que je n’ai pas vraiment quitté puisque je fais aujourd’hui du jazz à celui d’Aix en Provence.
Justement, sachant que parmi vous, deux viennent du conservatoire et deux sont autodidactes, comment travaillez vous ensemble ? Vous parvenez à combiner les acquis d’une formation exigeante d’un point de vue théorique et pratique avec une forme de spontanéité ?
Charles : Je fais tout de façon spontanée. Quand, parfois, pour un morceau, est amenée une proposition technique, je vois spontanément si ça marche ou pas. Je peux être dur là dessus, mais si je ne le sens pas, bonne idée ou pas, je ne le sens pas.
Léo : Je fais beaucoup confiance à Jules et Zach. Ils apportent les structures rythmiques, et je me cale dessus.
Jules : La clé en musique, c’est de s’ouvrir à tout ce qui existe. L’important, ce n’est pas ce que l’on sait déjà, c’est ce que l’on ignore encore, ce qui signifie écouter des choses différentes de ce que l’on fait et connaît. C’est comme ça que viennent les bonnes idées.
Zacharie : La formation classique, elle m’aide surtout techniquement pour l’instrument et pour savoir ce que je peux faire en composition. Mais je ne sens pas l’influence particulière d’un genre travaillé au conservatoire sur notre manière de faire de la musique.
Jules : Pourtant, pour avoir joué avec d’autres bassistes, je sais que tu apportes des idées de composition que les autres n’envisagent pas.
Charles : D’ailleurs, à ce sujet, je n’ai jamais eu l’explication, mais l’idée de la fin de Mediterranean Boy, elle vient d’où ?
Jules : C’est du 4 temps, un procédé rythmique que l’on retrouve surtout dans le blues. (S’adressant à nous) On te fera signe pendant le concert quand le passage arrivera, on te dira : ‘C’est là ! Compte, compte !’. (Ce qui arrivera effectivement ! ndlr).
On voit que vos morceaux obéissent à des cadres, mais que vous les bougez en permanence afin de les rendre imprévisibles.
Jules : C’est grâce à Charles, ça, il est fou ! Il n’aime pas la simplicité. Au début, je croyais que c’était l’un de ses défauts mais je me rends compte maintenant que c’est l’une de ses qualités : dès qu’une structure est trop simple, il dit que ça ne va pas. Et c’est ce qui explique sans doute que dans les morceaux, il y ait des choses qui dénotent, d’autant plus que Zacharie arrive souvent avec des structures polyrythmiques.
Léo : Sur Ticket To Mars, qui est l’un des premiers morceaux que j’ai apporté il y a deux ans, on était bien dedans avec Zach et Jules, mais Charles n’arrivait pas à y poser son jeu. On l’a donc mis de côté et quand on l’a repris, il a tout de suite trouvé quelque chose, spontanément, pour intégrer sa guitare. Et ça a changé le morceau.
Charles : Je le trouvais trop simple, et je cherchais quelque chose qui le rende plus original. Et là, j’ai fait le truc le plus basique au monde : une octave qui fait de la glissade, imitant le bruit d’une sirène. Là, je m’y retrouvais.
D’où vient le nom de Technopolice ?
Zacharie : C’est le nom du premier morceau composé, et il parle des techniques de surveillance, du fait d’être toujours épié même lorsque tu te crois seul. Le nom s’inspire de 1984 d’Orwell. Hijacked Communication et Danke sont encore dans cet esprit là, mais on a poursuivi en parlant d’autres choses, de Marseille notamment.
Vous êtes tous de Marseille ?
Jules : Le basse-batterie (Zacharie et Jules, donc) n’a jamais bougé de Marseille, c’est pour ça qu’il est aussi efficace (rires) ! Et je passe mes vacances à Aix en Provence… Là, je suis à Nantes, je ne suis jamais allé aussi loin de chez moi (rires) !
Charles : Je viens de Lille. Je suis arrivé il y a douze ans, j’en ai vingt-quatre. J’ai passé la moitié de ma vie en haut de la France et l’autre moitié en bas.
Léo : Je suis arrivé dans le sud en 2015, mais je me suis installé en juillet 2021 à Marseille. J’ai d’ailleurs écrit Ticket To Mars sur cela. Avant, j’habitais la région parisienne avec ma mère et, quand on entendait parler de Marseille dans les journaux, c’était toujours la violence qui était mise en avant. Pourtant, quand tu y arrives, ce n’est pas du tout ce que tu vois. Les paroles du morceau s’inspirent de Las Vegas Parano de Hunter S. Thompson, duquel je reprends la phrase ‘buy the ticket, take the ride‘, qui marche vraiment bien avec cette ville parce qu’on la prend à cent à l’heure ou on ne la prend pas. Marseille ne ment pas : si tu veux connaître l’état de l’Occident, tu passes un après-midi entre Noailles, La Plaine ou Belsunce, et là tu te rends compte de ce qu’est le monde, loin du voile médiatique qui essaye de nous faire croire que tout va bien. Ce titre est la photo d’un moment, mais dans lequel j’essaye quand même de glisser de l’humour, lorsque je parle de la taille des rats aussi grands que mes pieds, par exemple.
Vous parlez de surveillance, des inégalités économiques. Quel rapport avez-vous avec la politique ?
Léo : Il y a une certaine colère dans nos morceaux…
Jules : … Mais on n’est pas un groupe engagé à proprement parler. On se sert de certains thèmes pour raconter des histoires. Technopolice et Hijacked Communication sont plus des constats que des critiques. Il n’y a pas de partis-pris dans nos morceaux. À Marseille, on a vécu des scènes complètement délirantes. Je ne sais pas, par exemple, si tu as entendu parler de la reconstruction du quartier de La Plaine : la mairie avait clôturé l’entièreté du quartier avec des murs de deux mètres de haut, ce qui fait qu’on a commencé à faire la comparaison avec le mur de Berlin.
Charles : On utilise Marseille un peu comme un emblème. Et le fait de tourner dans d’autres villes nous montre à quel point la nôtre est unique en son genre.
Mort-Vivant, le dernier morceau, est en français, et il contraste avec les autres par son côté direct, bien punk. Tout au long de l’EP, vous vous amusez avec les structures, refusant d’être bruts de décoffrage. Avec Mort Vivant, c’est tout le contraire…
Jules : C’est exactement ça !
Charles : C’est un bras d’honneur aux six morceaux d’avant !
Jules : On s’est fait chier avec toutes ces structures à la con…
Léo : C’est un morceau qu’on a composé en jammant, comme une blague, en échangeant nos instruments.
Jules : Ce ne sont plus Charles et Léo qui chantent, c’est Zach et moi. Dès fois, on le fait en live, et on passe alors à la guitare, tandis que Léo passe à la batterie et Charles à la basse. On l’a effectivement fait en rigolant mais on s’est dit après coup que ça nous manquait un morceau qui ne soit juste qu’une minute de bordel, à fond. Parce qu’on vient tous de là, des caves à punk dans lesquelles ça transpire et où tout va très vite.
Léo : On finit le concert avec Technopolice, et si les gens en veulent encore, on joue Mort-Vivant et après plus personne ne peut plus rien demander. Depuis que l’on a composé ce morceau, on en a intégré un autre en français, Sortir le Soir. C’est Zach qui l’a écrit : il est venu un jour avec ce titre, le texte déjà prêt, indétachable de la musique, et ça collait vraiment bien. Donc on n’a pas cherché à faire la traduction.
Vous pensez déjà à la suite ?
Zacharie : Mort-Vivant sert de transition avec ce qu’on est en train de composer et qui représente un certain changement par rapport à ce que l’on a fait jusqu’à présent : c’est plus direct, et c’est globalement en français. On a une nouvelle influence, le Lo-fi punk australien, avec des groupes comme Gee Tee, Tee Vee Repairmann, Prison Affair. C’est un style plus rentre dedans, plus rapide. Plus simple structurellement, mais pas techniquement.
Charles : Ça fait du bien de chanter en français, on sent mieux les choses.
Jules : Le français, c’est en train de revenir à fond.
Vous êtes, pour l’instant, en autoproduction…
Jules : Sur tout. On a pas mal démarché, mais finalement ça ne l’a pas fait. De ce que j’en tire après une année avec la tête dans les mails et les différentes prises de contact, c’est que Marseille, c’est compliqué. Géographiquement, c’est ingrat, les tournées ne passent pas fréquemment par là. Les italiens et les espagnols y viennent, mais les artistes des autres pays tournent plutôt dans le nord de la France – Rennes, Nantes, Paris – pour rejoindre plus facilement la Belgique, l’Allemagne, l’Angleterre. À Marseille, il y a toujours cette impression de devoir en faire dix fois plus que les autres. Je ne sais pas si c’est complètement justifié, mais je le ressens comme ça, que ce soit pour trouver des dates ailleurs en France ou pour obtenir la confiance des labels.
Charles : Et pourtant il y a des projets exceptionnels à Marseille, avec un potentiel de fou.
Jules : C’est vrai, la scène marseillaise est exceptionnelle. Tu tapes sur une poubelle, il y a dix groupes de fou qui sortent, mais personne ne le saura jamais parce que les salles répondent à un groupe sur quarante. D’ailleurs, marcher dans une ville c’est bien, mais il faut marcher ailleurs pour faire vivre un groupe. Pendant longtemps, ça s’est très bien passé pour nous à Marseille, mais la tournée en ce moment nous fait beaucoup de bien parce qu’on peut montrer dans d’autres lieux qu’on sait faire des choses, et constater que les réactions sont positives.
Charles : On partage notre local de répétition avec Avee Mana et le fait qu’ils aient réussi à tourner et à se faire entendre ailleurs nous a motivé nous mêmes pour mettre les bouchées doubles. Remi (Rémi Bernard, le chanteur et guitariste d’Avee Mana, ndlr) est un de mes meilleurs potes, et je lui pose sans cesse des questions pour savoir comment ils gèrent l’évolution de leur groupe. On est trop contents pour eux et ils nous servent vraiment de modèles.
Léo : Il n’y a pas de compétition entre les groupes à Marseille, plutôt de la solidarité et de l’émulation.
Jules : Comme personne ne nous calcule à Marseille, on se calcule entre nous !
Pourquoi, dans ces conditions, ne pas monter vous-mêmes un label pour faire votre promotion ?
Jules : C’est ce que l’on est en train de faire. On monte un label associatif, Fracas Records, avec Anaëlle Loze, la gérante de l’Intermédiaire, une salle dans laquelle on a bossé. Le premier album sera une compilation d’artistes marseillais, avec justement cette idée d’exporter la scène partout en France. Avec Anaëlle, on se disait qu’il fallait qu’on fasse quelque chose pour faire connaître tous ces groupes trop bien dont personne n’a jamais entendu parler ailleurs. On va donc faire un vinyle, tiré à trois-cents exemplaires, avec quinze groupes qu’on aime. Comme personne ne veut de nous, on va forcer la porte !
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