Talitres, label ambitieux mais raisonnable

Talitres, label ambitieux mais raisonnable

Fondé en 2001, Talitres est devenu, au fil des ans, un label indépendant français de référence. Modeste mais ambitieuse, l’écurie bordelaise au catalogue impressionnant (The Apartments, Thousand, Swell,  The National…) a réussi à survivre à la crise du disque et à deux années de pandémie. Mieux encore, la structure continue de se développer et de multiplier les projets, la récente signature de Nadine Khouri en étant le dernier exemple en date. Cette réussite repose sur les épaules d’un seul homme : son fondateur, l’exigeant Sean Bouchard. Rencontre avec un homme passionné et passionnant, qui gère sa barque en véritable chef d’entreprise.

Comment est né Talitres ?

Sean Bouchard : Talitres est né sur un coup de tête en 2000, après que j’ai quitté mon travail dans l’agronomie. Étudiant à Paris, j’écoutais énormément de musique, j’achetais énormément de disques. J’écoutais Bernard Lenoir, lisais Les Inrocks version mensuelle, Bayon dans Libération… Ça faisait quelques années que me trottait dans la tête l’idée de vouloir défendre des projets musicaux trop peu représentés en France, et de créer un label. Le projet n’était pas très bien défini au départ, c’est pour ça que je parle de ‘coup de tête’. J’étais dans une période où je ne savais pas trop quoi faire. La structuration du label était, à l’origine, relativement fragile. Ça a tout d’abord été une structure associative afin de pouvoir sortir des projets le plus rapidement possible, et d’avoir un cadre relativement légal pour signer des groupes. J’ai commencé à rechercher des projets ça et là sur internet. La distribution numérique telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait pas encore. J’allais sur un site, mp3.com, qui permettait aux artistes – principalement nord-américains et émergents – de diffuser leur musique et de la proposer en téléchargement gratuit. Même si les algorithmes de l’époque n’étaient pas encore très évolués, le site faisait des recommandations et offrait la possibilité de faire des recherches par thématiques. C’est comme ça que j’ai découvert Elk City, un groupe de New-York. Ils avaient déjà un distributeur en Amérique et cherchaient des collaborations en Europe. Je les ai contactés. Ils m’ont envoyé un disque par courrier. J’ai aimé et leur ai proposé de le sortir sous licence en France. Un groupe new-yorkais a donc fait confiance à un petit trentenaire français qui n’y connaissait rien, qui débarquait dans le milieu et, qui plus est, n’était pas basé à Paris. Talitres a commencé comme ça. Je me suis rapidement retrouvé ensuite seul aux commandes, l’ami avec qui j’avais créé le label ayant quitté le projet après quelques mois.

Le premier album d’Elk City, Status, est sorti en mars 2001. Je n’avais pas de partenaires, ni de contacts à l’époque. J’ai donc dû prendre mon bâton de pèlerin pour trouver un distributeur, faire la promo du disque, trouver des concerts… Le tout de façon très scolaire, très ‘Do It Yourself’. Le disque a été bien, voire très bien accueilli. Bernard Lenoir a beaucoup diffusé l’album et, forcément, ça a été un sacré coup de pouce, même si les ventes n’ont pas été énormes. J’ai perdu de l’argent avec ce disque mais je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. J’ai vite déchanté quand j’ai réalisé que je mettais les pieds dans une industrie musicale morose et qui allait bientôt connaître une crise durable que je ne soupçonnais absolument pas. J’ai également compris que la presse ne faisait pas vendre et que les diffusions radiophoniques, même si indispensables, ne suffisaient pas. L’industrie musicale m’est apparue rapidement comme plus industrielle que musicale. J’ai donc compris que tout allait être plus compliqué et laborieux que je ne l’aurais imaginé mais j’ai tout de même eu envie de continuer, monter mon label tel que je l’entendais et ne faire aucune concession artistique.
Par l’entremise d’Elk City (photo ci-dessous, à gauche), qui leur avait communiqué mes coordonnées, est arrivé ensuite, en 2003, un autre groupe qui a eu une visibilité énorme, The National (photo ci-dessous, à droite). J’avais déjà défendu leur premier album (album éponyme sorti en 2001). Je les ai signés en licence et, là, tout de suite, nous avons eu un très bon retour des medias et, surtout, une très belle exposition en Angleterre.

Quels étaient tes modèles à l’époque, les labels qui t’ont inspiré ?

Avant tout des labels nord-américains ou anglais comme Secretly Canadian – qui n’était alors pas aussi énorme qu’aujourd’hui, Matador, Drag City, Merge ou Domino. Au niveau français, et même si nos catalogues se ressemblent peu, Lithium pour la démarche, l’éthique et la philosophie. Labels, aussi, dans les années 90, pour leur catalogue et les labels nord-américains dont ils avaient acquis les droits (mais pas du tout pour leur dépendance à des grands groupes). Tous ces labels là étaient des exemples, des modèles. J’ai eu l’impression d’arriver un peu trop tard dans l’industrie musicale mais, au final, je pense que ça m’a beaucoup aidé. Débarquer dans une industrie en crise m’a permis de me poser pas mal de questions, de remettre en cause beaucoup de choses et de pouvoir, en quelque sorte, développer un label qui a toujours connu la crise. Il a toujours fallu faire avec et essayer de trouver des solutions. Et quelque part, ça nous a permis de nous construire. La crise rend les choses beaucoup plus complexes, bien évidemment, mais elle a également permis de structurer la petite entreprise qu’est Talitres.

Y-a-t-il eu des moments où tu as songé à tout arrêter ?

Oui, presque tous les jours (rire). J’exagère un petit peu mais bien souvent oui, mais un petit peu moins qu’avant désormais. J’ai failli tout arrêter en 2006-2007. 2005 a été une année fabuleuse pour le label avec Flotation Toy Warning, le retour de The Wedding Present (l’album Take Fountain), je signe Piano Magic et The Organ, supporte Idaho… On vend plus de disques qu’on n’en a jamais vendu. On a trois groupes à la Route du Rock l’année où Cure est tête d’affiche (The National, The Wedding Present, The Organ). Le problème, c’est que c’est cette même année que notre distributeur Chronowax, qui était chapeauté par V2, dépose le bilan et ne paie plus les labels indépendants. Concrètement, Talitres vend beaucoup de disques mais ne touche rien. Le label perd 20 000 €, ce qui est énorme pour un indépendant, alors que c’était une année idéale pour se lancer, se développer… Ça m’a fait perdre un tout petit peu les pédales, je pense. En 2006, les succès commerciaux ont été moindres et il a été très difficile de redresser la barre. J’ai commencé à avoir des dettes. L’année 2007, c’est un petit peu la même chose. Là, je me dis ‘A quoi bon?’… Autour de moi, je vois que les gens qui déposent le bilan remontent tout de suite après une autre structure sans payer leurs créanciers, en tout cas les indépendants… C’est bien simple, tous les labels indépendants restent sur la paille. Ça m’a secoué à l’époque. Pendant deux ans, j’ai bien cru décrocher. J’ai voulu tout arrêter, véritablement, mais j’ai tenu… Grâce à divers soutiens, dont notamment celui de Vicious Circle – avec qui nous partageons nos locaux et qui est également notre prestataire de pressage – qui nous a aidé financièrement. J’ai eu également la chance, début 2008, et toujours grâce à ce cher Bernard Lenoir, d’entendre sur France Inter un extrait du premier album d’Emily Jane White (Dark Undercoat). Je regarde un petit peu, farfouille et vois qu’elle n’est pas développée en Europe. Je la contacte le soir même et elle me répond dans la nuit. Trois jours plus tard, nous signons un contrat. Ça a été ultra rapide. Je me dis qu’il faut porter ce beau projet le plus loin possible. Dix jours plus tard, je me retrouve à le défendre dans les locaux de FIP et obtiens sa sélection pour diffusion. Le disque sort en avril. Les retours sont excellents et les ventes plus fortes que d’habitude. Au moins de juillet, le disque est utilisé comme bande son de l’émission ‘Rendez-vous en terre inconnue’ sur France 2, diffusée le premier soir où la chaîne a cessé de passer de la publicité en prime time. Le public, assez badaud et curieux de voir ça, était nombreux. L’audimat a été très bon, assez massif. Ce placement musical n’a pas beaucoup rapporté en droits nets mais nous a permis de vendre 2 000 disques supplémentaires et, surtout, a donné une grosse visibilité à Emily Jane White. Dark Undercoat a été notre plus grosse vente, entre 15 000 et 20 000 disques vendus, ce qui, pour un label comme Talitres, n’est pas mal du tout. Ça a remis du beurre dans les épinards et ça a permis à Talitres de redémarrer.

Je me pose encore, de temps à autre, la question d’arrêter en raison d’une certaine forme de lassitude vis-à-vis du milieu – qui n’est parfois pas très glorieux – ou parce que j’ai l’impression de tourner en rond. Je ne te cache pas que, parfois, sortir des disques, c’est un peu un train-train. Comme tout job, tu me diras. Heureusement qu’il y a les nouvelles découvertes, ça me remet un coup de booster. Les responsabilités liées à la création d’une entreprise font également que je ne vais pas tout arrêter comme ça, ne serait-ce que par respect pour les artistes signés et les salariés que j’ai embauchés (outre Sean, Talitres compte deux salariés à temps plein ainsi qu’un poste ‘administration-comptabilité’ mutualisé avec Vicious Circle et Platinum Records). Et puis, bien évidemment, il y a la question du ‘Qu’est-ce que je vais faire après?’. Je suis marié et j’ai trois enfants. Je me vois mal dire à mon épouse ‘C’est fini, le label. J’arrête et je vais faire du surf’ (rire). Enfin, cette question, je me la pose de moins en moins souvent parce que le label est structuré, parce qu’il a un catalogue, des fondations. Même si, à bien y réfléchir, mieux vaut tout laisser quand ça va bien plutôt que quand ça ne va pas (sourire). Maxwell Farrington & Le SuperHomard, on a des supers retours. Je ne vais pas leur dire ‘Vous ne savez pas quoi, les gars, on arrête tout’. Ce n’est pas comme ça que ça se passe, c’est juste pas possible (rire).

Quand on est un label indépendant français situé à Bordeaux, comment arrive-t-on à signer, attirer dans son giron, des groupes iconiques comme The Apartments, The Wedding Present, Swell, Idaho… ?

Il y a plusieurs réponses à cela. Je pense que la première, déjà, c’est en étant sincère et honnête, en leur montrant ce que je fais au quotidien et sans leur promettre la lune. Le grand discours de Talitres, c’est d’être ambitieux tout en restant raisonnable. On a bien sûr la volonté de porter les groupes que l’on soutient le plus loin possible, et on a envie que tout le monde profite de cette musique là parce qu’on la trouve fabuleuse. Et puis, basiquement, l’ambition d’une entreprise, c’est de vendre. Je revendique tout à fait le côté commercial des choses chez Talitres. Ceci étant dit, il ne faut surtout pas oublier qu’on est une petite entreprise, que l’on n’a pas des moyens énormissimes. On a cependant la capacité de faire pas mal de choses car on est assez réactif. On est souple et on sait se remettre en question. On est raisonnable. C’est ce discours là que j’ai tenu auprès d’artistes comme The Wedding Present, Swell ou The Apartments dans un premier temps. Dans un second, je leur ai présenté de façon sincère ma vision des choses, ma volonté d’avoir un catalogue exigeant. Je sais, c’est totalement subjectif tout ça, mais je revendique totalement le côté subjectif de la direction artistique de Talitres. Je pense aussi que, dans ce discours là, j’ai été aidé par pas mal de journalistes qui avaient identifié ma démarche artistique et philosophique. Je pense que JD Beauvallet des Inrocks – et d’ailleurs sans qu’il me le dise – m’avait un peu ‘vendu’, en sourdine, auprès du Wedding Present. Pour The Apartments, c’est Emmanuel Tellier – ex-Inrocks et désormais Télérama – qui, à un moment, a travaillé sur le retour du groupe en France. Il a vu Peter (Milton Walsh) un peu désemparé par l’industrie musicale et ne sachant pas vers quel label se tourner. Tellier m’a appelé et m’a proposé de rencontrer Peter à l’occasion de sa venue en France. Bien évidemment, j’avais envie de le rencontrer. On a passé la soirée ensemble, à discuter. On s’est revu deux ou trois jours plus tard à Paris et, voilà, ça s’est fait comme ça. Naturellement, simplement. Je pense aussi que ces artistes se sont reconnus dans le catalogue.
Quand j’ai rencontré Motorama, en 2012, en Estonie, ils étaient très dans le ‘Do It Yourself’. Ils ne voulaient pas du tout s’acoquiner avec un label qui, pour eux, cadenasserait tout. J’ai eu une assez longue discussion avec Vlad, le chanteur du groupe. Il a regardé le catalogue Talitres et s’est reconnu dans Destroyer, François & The Atlas Mountains… Je lui ai parlé de notre démarche et expliqué que signer avec un label comme le nôtre ne signifiait en aucun cas une perte d’indépendance. Je lui ai parlé de l’exigence artistique qui était la nôtre. C’est très important d’avoir des artistes qui se reconnaissent dans notre catalogue. Signer sur un label indépendant, c’est rejoindre des gens qui ont des valeurs communes.

As-tu regrets ? Par exemple, des artistes que tu as signés pour ensuite te dire, avec le temps, que tu aurais mieux fait de t’abstenir ? D’autres que tu aurais adoré signé mais ça se n’est pas fait ?

Non, pas du tout. Aucun regret, même si je sais que j’ai signé des projets qui, peut-être, étaient encore un peu légers à l’époque où ça s’est fait, en terme de structuration ou composition(s). Mais, pour le coup, je ne regrette absolument pas ces choix là car ça fait aussi partie du processus. Signer des groupes peut-être un peu trop rapidement, ça arrive. Ce n’est pas grave. Quand tu construis un maison, il y a parfois des défauts que tu n’avais pas vus au départ, des fondations moins solides que tu ne le croyais, mais ce n’est pas pour autant que tu regrettes tes démarches. Un label, c’est pareil.
Il y aussi, évidemment, des groupes que j’aurais aimé voir au sein de Talitres. Hood, par exemple. Je suis un fan absolu. La question n’est pas de savoir si j’aurais pu les signer ou non. Ils étaient chez Domino donc… Je n’ai jamais cherché à les signer mais j’aurais adoré les avoir, oui. Bill Callahan (Smog) aussi . Ce qu’il fait me parle beaucoup. L’exigence, la constance… Dans une autre mesure, même si je pense que le personnage est un peu… compliqué, et c’est même un euphémisme, il y a Mark Kozelek (Red House Painters). J’ai un disque de chevet depuis depuis dix ans, c’est Mark Kozelek & Jimmy Lavalle (de The Album Leaf Album Perils From The Sea). J’aurais adoré commencer une collaboration avec Kozelek pour ce disque-là. Mais, bon, je pense que le personnage est assez imbuvable, donc (rire)… Il est hautain, dédaigneux, désagréable avec ses fans… Je fais une parenthèse. On parle assez souvent dans les médias de cette foutue industrie musicale et des majors qui s’en mettent plein les fouilles, qui ne sont pas tout à fait éthiques… Mais on parle rarement de ces artistes qui, parfois, sont assez imbuvables et pas tout à fait honnêtes. Des connards et des crétins, il y a en a partout. Ce n’est pas le fait d’être artiste qui fait de toi quelqu’un d’honnête et sincère. C’est dommage que Mark Kozelek soit aussi crétin car je trouve qu’il fait de la musique assez fabuleuse, en fait.

Je peux l’écrire, ça? Je doute fort qu’il nous lise, de toute façon… L’artiste ou le groupe du catalogue Talitres qui te ressemble, te touche, le plus ?

Ça, c’est très compliqué à dire. Comme je te le disais, ça évolue avec le temps. Et puis, je n’ai pas envie d’attribuer une partie de mon cœur à un artiste donné. J’ai cependant une relation assez particulière avec Flotation Toy Warning. Un rapport plus singulier qu’un simple coup de cœur ou un attachement particulier. Il y a un historique. Quand on regarde le parcours du groupe et celui de Talitres, il y a des points communs. Des choses qui se rejoignent et se recoupent. La musique du groupe, déjà, me parle énormément. Elle vieillit formidablement bien. L’album qu’ils ont sorti en 2004 (Bluffer’s Guide To The Flight Deck) est encore pour moi terriblement actuel. Il raisonne encore terriblement en moi aujourd’hui. Ce morceau de neuf minutes, Donald Pleasence… Les gens qui vont sur Spotify, il leur faut des morceaux de 3 minutes 30. Donald Pleasence n’est pas assez long pour moi. Il représente tout ce que j’aime dans la musique qui, pour moi, est un truc forcément beau mais qui, aussi, fait souffrir car elle est terriblement éphémère dans sa beauté. Des meubles qui s’égrainent et qui, bien évidemment, disparaissent après dans leur résonance. La musique de Flotation Toy Warning, elle est à la fois éphémère et éternelle. Et totalement intemporelle. Flotation, même s’ils ne sont pas très actifs…

C’est le moins qu’on puisse dire…

(rire) …C’est quand même le groupe le plus ‘ancien’ du label. The National, ils sont partis ailleurs. Calla, The Walkmen, c’est fini… Flotation Toy Warning, ce n’est pas tout à fait fini. J’espère que l’on va refaire des trucs avec eux. On est toujours en relation. Et eux, ils ne sont pas totalement passés à autre chose. Il y a également une relation humaine très forte avec eux, une histoire. On a dû annuler une tournée en 2017 car Paul (Paul Carter, leader du groupe) a eu des problèmes de santé. Il a été touché par une maladie neurologique assez rare, le ‘fatigue chronique syndrome’, qui se traduit par un état de fatigue permanent. C’est une maladie assez peu connue. Même s’il va mieux maintenant, il y a eu une réelle inquiétude le concernant. Flotation Toy Warning, c’est un projet qui me tient vraiment à cœur. On les a accompagnés vraiment longtemps dans la production de leur deuxième album. Ça a pris treize ans, quand même. Tu me demandais tout à l’heure si j’avais songé à tout arrêter… Un projet comme celui-ci m’a aidé à tenir, même si, à certains moments, ils me fatiguaient vraiment (sourire). Il fallait vraiment que j’aille au bout de ce projet, qu’il sorte sur Talitres. Il fallait garder la foi. Pour info, Flotation, avant d’avoir signé chez nous, avait sorti deux EP sur Pointy. On va les sortir très prochainement en 10’ ultra limités, uniquement disponibles sur la boutique et Bandcamp. Ce groupe, même si peu connu, a une base de fans ultra fidèles. Ce qui est marrant avec Flotation, c’est que dès que tu les fais découvrir à quelqu’un, ça devient instantanément leur groupe culte. Ils touchent vraiment les gens.

Dans un monde idéal, dénué de toute contrainte (financière, temporelle, etc.), l’album ou le groupe que tu aurais aimé sortir sur Talitres ?

(sans trop hésiter) Le premier album de The Auteurs, New Wave. Je pense que ce serait celui-ci mais j’hésite avec 41 de Swell, qui a une vraie résonance avec l’histoire du label. C’est un album que j’ai beaucoup aimé et écouté. J’ai vu le groupe pour la première fois sur scène à Montréal, où je faisais un stage de fin d’étude. L’artiste, ce serait Léo Ferré, qui a été un grand choc pour moi à l’adolescence. Les poèmes de Baudelaire mis en musique par Léo Ferré, c’est juste exceptionnel, magnifique.

Quel a été l’impact de deux années de pandémie sur le quotidien de label ?

La pandémie a eu un impact considérable. Cette période m’a demandé plus d’investissement qu’avant même si, à un moment, il a bien fallu décrocher, une fois la logistique et les différents reports gérés. Il faut bien reconnaître que, quoi que l’on puisse dire sur le système public français et sa supposée dégénérescence, nous avons eu des aides qui nous ont fait beaucoup de bien et qui ont permis à un label comme le notre de se maintenir à flot. Sans elles, nous serions certainement toujours là, mais ça nous a considérablement aidé car nous avons dû reporter des sorties d’album (Au Paradis de Thousand), annuler des tournées, tout reprogrammer, etc. Le public, également, nous a beaucoup soutenu. Nous vendons de plus en plus en direct,  ce qui nous permet d’avoir des rentrées de trésorerie plus rapides. Et, dans une période comme celle-ci, ce genre de choses est très important.
La pandémie nous a également permis de repenser certaines choses, comme essayer de travailler plus en local. Notre imprimeur, par exemple, est désormais situé à Bordeaux. Il faut des actes et ne pas se contenter de beaux discours, même s’il est parfois difficile de rester cohérent. Nous essayons, aussi, de moins faire dans la précipitation. Le label sort moins de disques qu’avant. Il y a plein de raisons à cela. Je pense que je suis encore plus exigeant aujourd’hui qu’il y a dix ans. J’ai envie de prendre plus le temps de faire les choses, de mieux accompagner les différents projets sur le long terme, même si c’est risqué.

Depuis des mois, beaucoup de labels rencontrent des difficultés pour faire presser leurs vinyles. Est-ce la même chose pour Talitres ?

Oui. Quand une usine de pressage avec laquelle tu collabores depuis près de dix ans t’annonce, en pleine pandémie et du jour au lendemain, que les délais de fabrication / livraison passent de six à seize semaines, c’est très frustrant. Ils ont accepté de grosses commandes de grands groupes et, d’un seul coup, les labels indépendants aux volumes modestes avec qui ils travaillaient depuis des années sont devenus moins intéressants et ont été relégués en bout de comète. C’est très vexant. Très énervant. Insultant. C’est une vraie marque de non-respect de leur part, d’autant plus que l’on n’a pas vraiment eu d’explications. Talitres n’a pas été le label le plus impacté car nous avons fini par recevoir tous nos disques. D’autres labels ont rencontré de vraies difficultés. Les chocolats que tu commandes pour Pâques, tu n’as pas envie de les recevoir à la rentrée. Nous avons tous pris ça de plein fouet. Il nous a fallu réagir, trouver des solutions. Platinum Records, avec qui nous partageons également nos locaux, a trouvé un prestataire de pressage, Vinyl Record Makers, pas très loin de Bordeaux, à Châtellerault. Les relations ont tout de suite été très bonnes, très humaines. Ils n’avaient qu’une presse manuelle et étaient archi-sollicités, dans l’obligation même de refuser des demandes. Nous leur avons proposé un partenariat et avons investi, avec Vicious Circle et Platinum, dans une presse afin de ne plus dépendre des grosses usines. C’était un choix cohérent et éthique. Nous sommes donc devenus copropriétaires d’une presse manuelle que nous mettons à disposition de cette usine de pressage à Châtellerault. Les avantages sont nombreux : meilleur contrôle des fabrications, délais et coûts, mise en place d’un réel partenariat avec Vinyl Record Makers, etc. Ça a été un peu compliqué au début car la presse que nous avions commandé, qui était censée arriver en juin 2021 n’a été livrée qu’en janvier 2022. Ça s’est arrangé depuis, même si nous sommes confrontés à de très nombreuses problématiques au quotidien : inflation, pénurie de matières premières, guerre en Ukraine… C’est maintenant qu’il va falloir faire preuve de solidité, se serrer les coudes, continuer à investir et, surtout, faire les bons choix, raisonnablement, sans se tromper.

Votre actualité à court et moyen terme ?

Nous allons sortir à l’automne le premier album pour Talitres de la chanteuse anglo-libanaise Nadine Khouri, qui nous a contactés via le journaliste Pierre Lemarchand. Elle cherchait un ‘vrai’ label structuré susceptible de l’accompagner, et Pierre nous a recommandé. Son album est assez fabuleux. Elle a une voix incroyable. Son chant est suspendu. Pour moi, c’est un grand disque. En toute subjectivité, bien sûr (sourire). Un nouvel album des Apartments est également attendu pour l’année prochaine. On va continuer également avec Raoul Vignal. J’aimerais bien aussi que Thousand sorte un nouvel album. J’aime beaucoup ses disques en français (Le Tunnel Végétal et Au Paradis) et son regard distant sur l’industrie musicale.
Nous allons également organiser un évènement le 17 septembre sur Bordeaux, Talitres In Waves, avec Maxwell Farrington & Le SuperHomard et Nadine Khouri dans la cour du Musée des Arts Décoratifs et du Design. Ce sera un double concert organisé avec l’association Musique de Nuit et le musée. L’idée, c’est de développer des collaborations transversales, dans des lieux singuliers, avec des gens qui sont sur la même longueur d’ondes que nous. J’ai envie d’aller dans cette direction. Je suis sans cesse en recherche de nouveaux projets.

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