Stuffed Foxes danse avec les loups

Stuffed Foxes danse avec les loups

S’il on en croit le rythme auquel se révèlent sans cesse de nouveaux groupes, la scène rock française se porte plutôt pas mal malgré les derniers mois qui ont obligé chacun à vivre reclus et à ruminer sa musique sans pouvoir la partager avec son public. Parmi les plus convaincantes de ces derniers mois, on y croise incontestablement Stuffed Foxes. Après un premier Ep qui, en 2019, venait simplement concrétiser son apprentissage de la musique, le sextet a franchi sans aucune difficulté l’étape du premier album. Mélange de toutes les influences pouvant nourrir une poignée de vieux potes vingtenaires, Songs/Revolving – resté longtemps en gestation par la force des choses – a montré de quel bois les Stuffed Foxes se chauffent. On en a fait de même en s’incrustant dans leur colocation le temps d’un entretien avec Léo et Germain, pour y parler d’amitié, de partage, de notion de réussite, de méthodologie, de la scène française à laquelle on les rattache désormais, mais aussi d’un nouvel album déjà sur les rails.

Stuffed Foxes fait figure de révélation de la scène rock française depuis quelques mois maintenant, mais peu vous connaissent vraiment. Pouvez-vous revenir brièvement sur la genèse et l’évolution de votre groupe depuis vos débuts ?

Léo : Le groupe existe depuis 2017, depuis le moment où on a décidé d’arrêter les études pour nous y consacrer, pour saisir notre chance de devenir des artistes à part entière. Pour la plupart, nous sommes des amis d’enfance.
Germain : Léo et moi, on s’est connus en sixième, puis on a rencontré les autres au lycée. On était potes, on écoutait du son et on jouait ensemble. Du coup, petit à petit, l’idée de monter un groupe nous a fait kiffer.

Et c’est la musique qui a lié les amitiés ou l’inverse ?

Léo : Dès le premier jour de sixième, j’ai demandé à Germain s’il connaissait Nirvana, et ça nous a tout de suite lié.
Germain : Je connaissais de nom mais je n’avais jamais écouté. Je venais d’arriver dans le collège, je ne connaissais personne, je voulais me faire des potes. Du coup, j’ai écouté quand je suis rentré chez moi et j’ai trouvé ça trop cool.
Léo : On est trop avancés dans le temps pour se souvenir réellement, mais les deux ont joué. On discutait des musiques qu’on aimait et, chemin faisant, on partageait, on se conseillait des trucs… Ça n’a fait que renforcer notre amitié, et nos goûts musicaux aussi…

Shoegaze, psyché, grunge, noise sont autant d’étiquettes qu’on peut coller à votre musique. Laquelle assumez-vous le plus facilement ? Est-ce que tant de diversité mêlée à tant de cohérence n’est-il pas le meilleur moyen que vous ayez trouvé pour emmerder les journalistes ?

Nous, on joue du rock. On ne se préoccupe pas de l’adjectif à lui coller. Si psyché, c’est au sens premier du terme, celui de 13th Floor Elevator, oui… Si c’en est une liée à la drogue notamment, pas forcément. Grunge, non, ce serait trop bizarre…
Germain : Ce sont toutes des esthétiques qui nous parlent, des genres qu’on écoute. Après, où nous ranger, c’est justement le taf des journalistes. Puis on est six, avec des goûts en commun, mais aussi chacun nos influences différentes qui jouent dans la musique du groupe.

Un premier Ep, No Vacancy, est sorti il y a un peu plus de deux ans. D’après vous, sur quels points le groupe a t-il réellement progressé entre ces deux disques ?

Léo : Sur à peu près tous les points, j’espère. Cet Ep faisait office de crash test, de témoignage de ce qu’avaient pu être les toutes premières années du groupe. J’aurais tendance à dire qu’on est enfin le groupe qu’on voulait être quand on a commencé et qu’on se projetait de façon abstraite sur notre façon de fonctionner ensemble, d’imprégner cette musique de nos personnalités. Cet Ep, c’était le prologue de cette discographie qu’on pourrait avoir plus tard.
Germain : On était prêts, on a mieux travaillé, on a mieux réussi notre coup en studio, le résultat est plus abouti. On a forcément appris à force de jouer ensemble, d’interagir entre nous.
Léo : On est plus ou moins autodidactes même si on a pris quelques cours. Pour No Vacancy, on sonnait comme un groupe de collège. On a progressé, on sait plus comment chacun veut imprégner la musique, ce qu’il veut mettre dedans. On échange mieux entre nous. Thomas Poli a aussi joué un grand rôle : il nous a beaucoup aidés, il a maintes fois servi de garde-fou, nous a aiguillés quand on commençait parfois à perdre le fil du fait de notre goût pour l’expérimentation. C’est beaucoup plus maitrisé sur ce point notamment, et j’espère que le prochain le sera encore plus.

Vous vivez tous en colocation. Du coup, j’imagine que vous n’avez pas vécu le confinement aussi durement que d’autres musiciens plus isolés… Hormis la frustration liée à l’absence de concerts, est-ce que ça a été la configuration idéale pour vous ?

Germain : On n’a pas tous été réunis à chaque confinement, on ne se voyait donc pas plus que d’habitude. Puis, l’atmosphère générale de la situation n’était pas forcément propice à la création, ça jouait même négativement sur le moral.
Léo : Il n’y avait plus d’aventure, plus rien d’inspirant dans cette vie là. Qu’on soit tous ensemble ou non, être enfermé reste emmerdant. Si tu ne vis rien à l’extérieur, si la vie du groupe n’est pas palpitante, il ne se passe rien. On a tous fait beaucoup de musique les dix premiers jours, mais après ça a été vraiment trop chiant.
Germain : Songs/Revolving a été composé et enregistré avant. Par contre, il a été repoussé plusieurs fois. Il représente deux ans de travail.

Pour vous, c’est donc déjà un vieil album…

Léo : Oui. On est déjà en train de mixer le deuxième qui sortira à la fin de l’année. C’est un dyptique. Il s’appellera Songs Motion Return, et l’idée était de construire deux albums avec la même architecture, représentant la même période de travail
Germain : A la base, les deux albums ont un peu été fait ensemble. On dit même parfois qu’on aurait pu sortir un double. Les deux fonctionnent vraiment ensemble mais ce n’est pas une suite pour autant. Ils sont faits différemment, on a essayé d’autres choses en studio… On l’a enregistré au même endroit, de nouveau avec Thomas Poli, on était donc plus en confiance.
Léo : On parlait de rendre les morceaux plus directs, moins étirés, plus épurés. On n’y est pas allés en ressortant les mêmes recettes.

Il y a de longues parties instrumentales dans Songs/Revolving. Est-ce que pour vous les notes parlent autant que les mots ? Quels sont les thèmes abordés, ne serait-ce qu’en filigrane ?

Le groupe a un fonctionnement ultra-démocratique, personne ne ramène de morceau. Au point de départ, ce sont toujours des jams. L’idée, c’est de trouver quelque chose de surréel, d’absolu, d’approcher un autre monde par le biais de la transe, de transformer son être. L’art offre ça donc, dans notre pratique artistique, on a aborde les choses comme ça. C’est donc l’idée qui plane un peu au dessus des textes et des morceaux, d’où leurs structures peu traditionnelles, les longues plages étirées… Elles viennent de longues jams faites d’évènements très spontanés, sans qu’il y ait forcément de cycle ou de lien.
Germain : Ces moments de transe de notre musique, c’est quelque chose qu’on a très envie de faire ressentir en live. Ce sont des sensations fortes.
Léo : Quant à nos textes, ils sont très énigmatiques. Les mots ont la force de laisser paraitre plein de choses aux gens, donc on les laisse se les approprier. Après, ce que j’ai écrit est beaucoup lié à notre histoire étant donné qu’on se connait depuis longtemps, qu’on vit ensemble et qu’on a toujours donné énormément de nous pour ce projet commun. Nos destins sont liés. Que ce soit nos échecs, nos états de démence et de transe ressentis sur scène, l’excitation d’écrire une histoire commune qui n’appartienne qu’à nous, tout ça est très classe. Cette amitié-là est trop cool. Tout est instinctif donc c’est très difficile de rationaliser les choses.

Un de vos morceaux s’intitule Luke Glanton, une référence à un personnage joué par Ryan Gosling dans The Place Beyond the Pine. Est-ce que le cinéma est une influence pour vous ? Est-ce que votre musique génère des images particulières dans votre esprit ?

Germain : Le cinéma nous inspire beaucoup mais de façon inconsciente.
Léo : Il y a un milliard de formes artistiques dont on est très imprégnés et qui vont forcément chambouler notre manière d’aborder la musique, comme l’état dans lequel on va en sortir. Quand tu écoutes un groupe, tu trouves ça énorme, tu es bluffé et tu as envie de ressentir les mêmes émotions sur scène ou en composant avec tes potes. Après, c’est difficile à dire vu qu’on est six et tous imprégnés de choses très différentes d’un point de vue cinématographique, ou même littéraire. Le mieux, c’est de ne pas se prononcer. Tu vois, quand on fait les clips, on s’engueule beaucoup. On a monté ce groupe car on s’entendait bien musicalement, mais ce n’est pas forcément le cas concernant l’image. Et concernant Luke Glanton, on l’a appelé comme ça après avoir écrit les paroles, et c’est plutôt pour ce que représente le personnage. Notre texte parle de la notion de réussite qui se joue souvent à pile ou face. Se dire que ta vie ne sera qu’une succession d’échecs va plutôt bien à Luke Glanton. Tu as beau être talentueux dans beaucoup de domaines, tu peux sans cesse échouer si tu fais toujours de mauvais choix.

Il arrive quelque fois qu’on croise des groupes avec trois guitaristes mais ça reste une configuration peu commune. Comment gérez-vous la place de chacun ?

Germain : Ce n’est jamais réfléchi à l’avance. Il faut juste savoir se placer, se mettre en retrait parfois pour ne pas empiéter sur les autres et gagner en efficacité. Tu joues par rapport à une autre guitare comme tu joues par rapport à une batterie. Mais il faut faire attention à la manière dont tu empiles toutes les couches. A trois guitaristes, il y a forcément plus de dangers à éviter mais ça se fait assez naturellement chez nous.
Léo : C’est un peu le pays des possibles, ça permet de multiplier les évènements, les reliefs, de faire apparaitre nos personnalités respectives. C’est très excitant, très drôle, il y a beaucoup de surprises au fur et à mesure de la création, mais jamais de solo ! (rire) Si les groupes de rock étaient bien payés, il y en aurait beaucoup plus avec trois guitaristes.

La scène française se porte plutôt bien, bien tirée par des locomotives comme Lysistrata, Slift et The Psychotic Monks entre autres. Comment expliquez-vous cette période faste et quel sentiment cela vous procure t-il d’y être assimilée ?

Germain : Cette scène est foisonnante. Rien que chez nous, à Tours, il y a beaucoup de groupes cool et c’est assez excitant de les avoir tous autour de nous. L’expliquer, je ne sais pas… Il y a juste plein de gens qui ont envie de créer, qui sont doués pour ça.
Léo : On est très jeunes donc on ne sait pas trop comment c’était avant, on ne peut pas constater de métamorphose. On a déjà eu l’occasion de rencontrer les groupes que tu viens de citer, mais on est surtout inspirés par ceux que l’on rencontre au quotidien, ceux avec qui on échange, avec qui on joue souvent… Participer à cette effervescence, c’est quelque chose de très inspirant qui, justement, s’est coupé avec le Covid.
Germain : Avant ça, toutes les semaines, il y avait des groupes de Tours qui jouaient dans des bars. C’est super agréable de faire partie de ces groupes qui font une putain de musique.
Léo : Nous, les histoires de potentiel ou de sensation, ce n’est pas quelque chose auquel on attache de l’importance, même si c’est cool que les gens pensent ça de toi. On veut progresser, avancer, rencontrer et partager avec les gens qu’ils soient public, artistes ou journalistes. Que les gens aient envie de nous écouter, d’écrire, ou de venir nous voir en concert, c’est ça qui est excitant et enrichissant.
Germain : Ce qui est génial, c’est de sortir sur un disque ce qu’on avait dans nos six têtes et que les gens puissent ensuite se l’approprier.
Léo : Pendant longtemps, on était centrés sur nous-mêmes, on jouait notre musique pour nous, sans nous préoccuper de la partager alors que, en réalité, offrir aux autres est ce qu’il y a de plus beau dans le fait de faire un disque.

On va finir en parlant de Reverse Tapes, votre label. Quelle est l’ambition derrière cette structure ?

Germain : Du coup, je reviens sur la période Covid parce que c’est un projet que nous avions depuis longtemps et qui incarne le seul point positif de cette période. Ne pas tourner nous a laissé beaucoup de temps libre pour concrétiser cette idée.
Léo : Il y a mille et une façons d’être artiste aujourd’hui, et maitriser un peu plus ce côté-là nous a permis de travailler selon nos envies et nos valeurs. Ca, c’était le point de départ. Maintenant qu’on est structurés, l’idée est de faire bénéficier de notre expérience au plus de gens possibles qui auraient envie de bosser avec nous, et réciproquement. Reverse Tapes a donc pour vocation d’être un vrai label indépendant, de participer à cette effervescence dont on vient de parler, de donner une voix à ceux qui en ont besoin. On va bientôt sortir le disque de TFT, et on en est très heureux. Pour Stuffed Foxes, on a eu la chance d’avoir des acteurs qui se sont très vite mobilisés : on a vite eu un tourneur, on est vite entrés dans des réseaux comme le Printemps de Bourges qui permettent de donner de la visibilité à ton projet. Ca nous a permis de comprendre les rouages de l’éco-système d’un artiste, et d’aider les autres même si on est encore très jeunes et qu’on ne peut pas tout faire. C’est tellement dur d’être un groupe de rock.

Crédits photo
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