
28 Mar 25 Squid, toujours un temps d’avance
Juste avant le départ de Squid pour le reste de l’Europe et les Etats-Unis, nous avons eu l’occasion d’échanger avec Ollie Judge, chanteur et batteur du quintet de Brighton. Tranquillement installé chez lui et toujours empreint de sa relative discrétion qui disparaîtra au fur et à mesure de notre entretien, il s’est notamment confié sur la sortie de leur troisième album, Cowards, qui conforte encore plus leur place sur la scène rock contemporaine, la méthode de travail propre au groupe ainsi que son rapport plus large à la musique.
Si on replace Cowards dans l’historique de votre discographie, on remarque une évolution flagrante depuis Bright Green Field. Ce côté rageur, presque brailleur que tu avais au début, est-il définitivement derrière toi ?
Ollie Judge : Je pense que oui. Je n’aime plus tellement crier désormais. J’apprécie le fait de ne pas faire encore et toujours la même chose, et de ne pas regarder tant que ça derrière moi. Je pense aussi que tout ne me met plus autant en colère qu’auparavant.
En comparaison avec les anciens disques, on ressent un véritable effort de variation dans ta voix. Sur certains morceaux tels que Fieldworks II ou Blood on the Boulders, il y a une sensibilité que l’on ne ressentait pas particulièrement auparavant. Est-ce que c’est quelque chose que tu as beaucoup travaillé ces derniers temps ?
C’est arrivé assez naturellement avec l’évolution de notre musique, en particulier sur Blood on the Boulders où l’instrumentation laisse beaucoup d’espace. Ce que nous jouions auparavant était plus encombré. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles, lorsque nous avons commencé à écrire Cowards, nous avons décidé de composer avec moins d’instruments et d’effets que sur nos précédents disques. En somme, d’enlever un peu tout ce qui me permettait de me cacher. Cela dit, j’étais prêt à ce que ma voix occupe désormais tout cet espace. C’est donc quelque chose qui s’est vraiment développé naturellement pendant que nous écrivions.
Vous avez une manière de fonctionner qui, il me semble, est très collective, très démocratique, là où d’autres groupes se laissent facilement diriger par un ou deux membres. Comment cela se passe concrètement lorsque vous êtes tous les cinq à l’écriture ? Quels avantages et quels inconvénients tires-tu de cela ?
On prendrait beaucoup moins de temps à composer si seulement l’un de nous se ramenait aux répétitions avec un morceau déjà écrit, mais ce n’est pas ce qu’on trouve de plus excitant. On se réunit simplement tous ensemble, chacun avec des petits bouts d’idées que l’on se joue mutuellement, avant d’improviser à partir de celles-ci. C’est ainsi que nous procédons depuis près de dix ans maintenant, en suivant à peu près à chaque fois le même processus. A mon avis, c’est une bonne chose. Lorsque tu essayes de sortir de ta zone de confort et de t’éloigner de ce que tu as pu faire auparavant, c’est bien d’avoir une petite routine à suivre, à laquelle te rattacher. Aujourd’hui, nous réfléchissons collectivement, de manière très naturelle et la méthode à suivre lorsque l’on répète n’est plus un sujet de discussion.
L’improvisation est la principale source de vos morceaux ?
Oui absolument. C’est sûrement l’origine de 80% de ce que nous jouons. C’est seulement après avoir improvisé une première fois que nous devenons plus méticuleux et attentifs.
Et les paroles, tu les écris tout seul, ou bien là encore le processus est collectif ?
J’écris les paroles de mon côté, même si Anton [Pearson] et Laurie [Nankivell] contribuent également de temps en temps. Dans tous les cas, nous écrivons chacun de notre côté. C’est sûrement plus facile comme ça parce que, si je devais les expliquer en même temps que je les écris, ça compliquerait grandement les choses.
D’ailleurs, j’aime beaucoup l’idée des neuf histoires pour neuf morceaux, ainsi que toutes les références littéraires que tu as amenées, mais les textes de Cowards sont teintés d’une véritable noirceur, s’attardant sur les pires vices de l’être humain. Il y a, malheureusement, de quoi être inspiré ces derniers temps avec tout ce qui peut se passer un peu partout dans le monde. Est-ce que ce contexte t’impacte sur le plan artistique ?
Je ne pense pas que cela soit une réaction immédiate. Je ne m’assieds pas juste après avoir lu les journaux, en me demandant ce que je peux écrire à partir de tout ça. Je suis surtout influencé par les livres, la télévision et les films dont les œuvres sont généralement imprégnées par ce qui se passe socialement et politiquement. Selon moi, toute musique est politique. La manière dont je procède fait que mes textes sont probablement imprégnés des différents éléments politiques présents dans les contenus artistiques que je consomme, mais ce n’est pas une influence qui est directe ou spécifique.
L’enregistrement de Cowards a été confié à Marta Salogni et Grace Banks. Comment s’est passée votre collaboration ?
Super bien ! Après avoir travaillé avec Dan Carey pendant six ou sept ans, nous avons souhaité ne pas nous répéter. Nous avons eu le sentiment qu’il fallait secouer un peu tout ça, en collaborant avec de nouvelles personnes. Je ne sais pas ce qu’il adviendra par la suite, mais nous voulions essayer autre chose et voir à quel point cela allait impacter notre musique. Marta est vraiment super. Elle travaille beaucoup en analogique, et elle est arrivée avec de nombreuses et bonnes recommandations, tout en nous laissant libres d’arriver à nos propres conclusions à partir de ses idées. Ca a été très amusant de changer de méthode d’enregistrement.
Lorsque vous avez sorti O Monolith il y a deux ans, il me semble que Cowards était déjà bien avancé. La situation est-elle la même aujourd’hui ? Avez-vous déjà commencé à travailler sur un prochain disque ?
Non. Malheureusement pour tout le monde, excepté pour nous [rires], nous n’avons rien commencé de nouveau. Nous avions en effet terminé Cowards avant qu’O Monolith ne sorte, ce qui fait qu’on avait un peu le sentiment d’être dans une petite bulle secrète, en train de travailler sur quelque chose dont tout le monde ignorait l’existence. C’était très amusant mais aussi très stressant puisque nous avions pris six mois pour écrire et enregistrer Cowards, un laps de temps qui, à l’origine, devait nous permettre de nous reposer un peu. Du coup, on ne s’est pas vraiment arrêté pendant à peu près deux ans.
Est-ce que cette manière de faire, un petit peu en décalé, impacte vos concerts ? N’est-ce pas un peu étrange de défendre un disque sur scène, alors que vous avez déjà la tête dans un tout autre projet musical ?
Oui, c’est certain. Personnellement, j’ai eu beaucoup de difficultés avec l’écriture d’O Monolith qui a été très fragmentée. Nous écrivions un peu, puis partions en tournée, avant de nous retrouver à écrire de nouveau, puis partir encore… On a fait traîner ça, ce qui a sans doute altéré mon plaisir durant cette période. J’étais tellement excité de travailler sur Cowards alors que nous promouvions O Monolith ! Mais ça m’a permis de m’aérer un peu l’esprit.
Je crois que le morceau Building 650, ainsi que son clip, est très inspiré de votre voyage au Japon. Quel est l’impact de vos tournées sur votre processus artistique ? Est-ce une source d’inspiration ?
En ce qui me concerne, ça l’est, assurément. Etant donné que nous avions beaucoup tourné en Europe et au Royaume-Uni jusque-là, nous n’étions plus vraiment dépaysés. Nous étions tellement devenus familiers de ces pays qu’il n’y avait plus beaucoup de surprises. Donc passer un peu de temps en Asie et aux Etats-Unis m’a fait l’effet d’une sorte de choc culturel. Ca m’a donné envie de lire davantage à propos de ces pays et de leurs auteurs ce qui, par répercussion, a inspiré mon écriture.
En parlant de tournées, vous vous apprêtez à quitter l’Angleterre pour l’Europe et l’Amérique du Nord. Depuis plusieurs années, votre succès et votre popularité dans le monde ne cesse de croître. As-tu cela en tête lorsque tu composes ? Est-ce que la réception du public est une nouvelle source de pression ?
Oui, parfois. Si quelqu’un affirme qu’il ne porte aucune attention à ce que les autres pensent de sa musique, il ment [rires]. C’est important, mais ça ne doit ni nous dépasser, ni affecter la musique que nous composons. Evidemment, c’est incroyable que des gens partout dans le monde écoutent notre musique, mais il faut parfois prendre un peu ses distances par rapport à ça, ne pas trop y penser. On arrive plutôt bien à baisser la tête et rester concentrés sur ce que nous faisons, sans trop prendre en considération qui que ce soit d’autre.
Lors d’une vidéo de promotion où vous deviez choisir un album dans les bacs de Rough Trade, tu as sélectionné Person Pitch de Panda Bear, un disque qui est plutôt très éloigné de votre registre. Quel est ton rapport avec la musique des autres ? Portes-y-tu une attention au point qu’elle finisse par t’influencer ?
J’écoute beaucoup de musique, sûrement plus que n’importe qui dans le groupe. Certains d’entre ne s’intéressent même pas à ce qui sort donc ne sont influencés par personne. Moi, je considère que c’est très important, car c’est quand même la raison initiale pour laquelle nous jouons. J’écoute beaucoup de choses, et cela doit forcément influencer indirectement ce que je peux écrire, ainsi que la place que je tends à occuper au sein même de Squid.
Il y a des disques qui t’ont particulièrement marqué récemment, toi ou d’autres membres du groupe ?
J’ai justement bien aimé le dernier album de Panda Bear [Sinister Grift], c’est un bon disque. Plus globalement, il y a certains albums auxquels nous revenons tous régulièrement, notamment Aerial de Kate Bush ou bien Spirit of Eden et Laughing Stock de Talk Talk. Certains disques nous hantent toujours lorsqu’on compose. Kid A de Radiohead en est un autre. Hormis cela, nous ne partageons pas tellement de musique contemporaine.
Cela fait des semaines que j’écoute le disque tous les jours, et je n’ai toujours pas saisi la signification de l’image du scorpion sur la pochette. Tu peux m’éclairer ?
Nous avions envie d’une photo pour la pochette de cet album, ce que nous n’avions jamais proposé auparavant. Nous voulions une image qui fasse un peu frissonner, quelque chose qui évoque le mal de façon légèrement caricaturale. Le scorpion représente un peu cela. J’écoutais aussi beaucoup la musique de Scott Walker à ce moment-là, et je pense que son imagerie un peu brute s’y retrouve aussi.
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