15 Mai 20 Sleaford Mods, qui s’y frotte s’y colle
À une époque où certains slogans dystopiques de l’Angleterre des années 80 semblent prendre tout leur sens, où la plupart des groupes semblent heureux en tant que courtisans, les Sleaford Mods sont plus que jamais un poing oscillant de résistance, une force. Une réplique nette au concept de la culture en tant que propriété de quelqu’un d’autre. Un drapeau planté revendiquant un territoire extraordinaire : le nôtre. Le Mood de Sleaford dénonce une Angleterre stupide, bourrue de petites pièces sordides et de violence planante : une putain de misère ! Mais ce qui le rend si bon et anti-déprimant, c’est ce flux d’énergie imparable émaillé d’une créativité folle. Une éruption continue d’imagination, un robinet chaud des pensées imprévues et logorrhées haletantes. Non, ce n’est pas qu’un spectacle car ces lignes sont exemptes des clichés condescendants anglais et de contes graveleux d’une Grande-Bretagne austère. C’est quelque chose de plus profond : l’austérité comme paysage psychologique, comme mode de vie, façon survie. Leurs chansons font à la langue anglaise ce que Jimi Hendrix a fait à sa Stratocaster : une raquette rhétorique, une rétroaction linguale, une résistance bruyante à une pensée ordonnée et favorable au marché. L’esprit hybride de Jason Williamson – mi punk mi rappeur – décharge des torrents de crasse catapultés hors d’une cage. Le meilleur parolier britannique à ce jour dénonce avec une certaine fougue l’aliénation et l’emprisonnement. Pourtant c’est un Jason certes confiné mais plutôt courtois, voire réservé que je découvre via Skype pour un entretien à l’occasion de la sortie de leur nouvel effort chez Rough Trade. Au fond de moi, je ne pense pas que ce soit de la timidité, plutôt une astuce car il ne faut pas s’aventurer hors de sa profondeur, de peur de juste devenir un gobshite de plus. ll a sûrement beaucoup de choses à dire, surtout dans le contexte particulier actuel.
Avant toute chose, comment vas tu ? Je suppose que tu es confiné en famille à Nottingham ?
Jason Williamson : Oui je vais bien merci. Je suis un peu surpris par la façon dont cette crise est gérée différemment dans chaque pays. Je ne crois pas à une conspiration, loin de là, sinon il faudrait vraiment s’inquiéter (rires) mais cela pousse forcément à se poser certaines questions. En attendant, je m’occupe comme je peux, je profite de ma famille, j’écris et poste des contenus en ligne afin de garder un lien avec notre public.
L’année dernière le Brexit, maintenant la pandémie. A croire que les choses empirent ! Comment un artiste aussi engagé que toi s’adapte face à la vitesse à laquelle les événements s’enchaînent ?
Ce n’est pas plus compliqué à partir du moment où on n’y pense pas tout le temps, qu’on ne force pas les choses ou qu’on ne se sent pas obligé de réagir après chaque événement. Pas la peine de commenter toute l’actualité, les gens ne sont pas stupides, donc inutile de forcément leur rappeler ce qu’ils savent déjà. Le plus important, c’est de donner sa propre version des événements, d’une façon créative qui donne aux gens une autre perspective, qui leur permette de réfléchir différemment. Il n’y a pas de règle, sinon d’être vrai et parler avec son coeur.
Comment vois-tu les années à venir ? Penses-tu que les récents événements auront un impact sur notre modèle socio-économique ?
Je pense qu’il y aura une récession qui va affecter les personnes les plus défavorisées. Comme toujours malheureusement. Dans l’idéal, il faudrait repenser notre modèle de société, notre système de santé, ouvrier et ces secteurs d’activité qui ont souvent été lésés par le système capitaliste. Je ne suis pas très optimiste pour la suite, malheureusement.
Parlons de cet album maintenant, si on peut parler d’album d’ailleurs ! Ce n’est pas non plus un ‘Best of’ puisqu’il contient des inédits comme Routine Dean ou Jolly F**ker que vous jouez souvent en live. Peux-tu brièvement nous expliquer l’idée derrière ce projet ?
C’est une sorte de rétrospective. Nous ne voulions pas faire une compilation des chansons préférées de nos fans, mais de celles qui ont une signification particulière pour nous, qui ont marqué notre carrière dans un certain sens. C’était aussi l’occasion d’offrir un support à ces titres qu’on jouait souvent en concert, et pour lesquels on avait de très bons retours. Il y avait beaucoup de demande, c’était important pour nous d’y répondre.
Pourquoi All That Glue ?
C’est un titre que j’ai écrit avec Andrew. Il est disponible sur le flexi disc inclus dans le coffret or. Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Parce que c’est le titre qui définit le mieux Sleaford Mods : il est très punk et on y utilise très peu d’instruments, tout en donnant le maximum d’effets.
Pour cette sortie, vous avez opté pour une campagne promo inédite en donnant la possibilité à vos fans, amis et ennemis de vous contacter directement via un numéro de téléphone. Choix que vous avez fait il y a un bail et qui prend un sens particulier avec ce confinement. Peux-tu nous dire comment se passe cette campagne promo confinée ?
On ne peut malheureusement pas faire de concerts, ce qui est pourtant la meilleure façon de promouvoir un album. On essaie donc de créer du contenu en ligne, on est disponible au téléphone, sur Twitter, histoire d’être présents un maximum. On espère vraiment que cet album aura le plébiscite espéré.
Des choses de prévues une fois que cette merde sera derrière nous ?
Rien de prévu pour l’instant. On espère pouvoir retourner en tournée. On bosse aussi sur un nouvel album donc vivement qu’on puisse faire des concerts et retourner à temps en studio pour bosser dessus.
Votre dernier album est sorti sur votre propre label, Extreme Eating. Pourquoi ce retour chez Rough Trade ?
On a quitté Rough Trade sur les conseils de notre ancien manager. C’est une erreur que nous avons réalisé trop tard malheureusement. On n’a pas eu d’autre choix que de créer notre label au moment de le sortir mais, au final, ça a été une superbe expérience. L’album a eu un énorme succès, et nous avons été classés dans le TOP 10. Mais on ne le faisait pas pour l’argent, du coup, quand on a dû chercher un label pour ce nouveau projet, bosser avec Rough Trade s’est présenté comme une évidence.
Pourtant, dans certains titres de Eton Alive, on découvrait des mélodies d’influence RnB, et plus de références à Nottingham dans les textes, qui laissaient peut-être présager une volonté de marquer ce changement…
Très bonne remarque. Non, on n’y a pas pensé à vrai dire ! On voulait juste chanter un peu plus (rires). C’était une envie du moment mais pas sûr qu’on continue dans ce sens sur le prochain album. Rien n’est défini encore, on verra le moment venu.
Tu le disais tout à l’heure, tu restes très proche de tes fans via les réseaux sociaux. J’ai d’ailleurs pu découvrir tes talents de showman via la mini série Late Night with Jason ! (rires). Après ton rôle dans Lost Dog et le projet Invisible Britain, as tu d’autres plans en cours ou à venir ?
Oui, j’ai une poignée de rôles en tant qu’acteur qui sortiront bientôt. Je ne peux pas en dire plus pour le moment, mais j’espère que ça aboutira.
Tu n’es ni fan de football (bizarre), ni de Margaret Thatcher (plus logique), et à part Bruce Dickinson, Andy Fletcher ou Ian Paice, c’est très difficile pour une personne lambda de situer Nottingham sur la cartographie du rock anglais, comparé à des villes comme Brighton, Manchester, Sheffield… Pourtant, vous avez une scène indé locale assez excitante. Si tu devais vendre ta ville auprès de nos lecteurs que leur dirais tu brièvement ?
Waouh ! Il n’y a pas grand chose à faire ici tu sais (rires). Je conseillerais les alentours de la ville pour découvrir de beaux paysages et certains sites historiques. Le mieux, c’est d’être conseillé par quelqu’un d’ici pour vraiment découvrir le coin. Concernant la scène locale, elle est très dynamique, il y a un bon vivier de groupes prometteurs, parmi lesquels Babe Punch ou Slumb Party qui commencent à se faire un nom. On n’est pas encore au niveau des autres villes anglaises mais il se passe des choses dans nos petites salles.
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