Sinead O’Brien ne tient pas en place

Sinead O’Brien ne tient pas en place

N’allez surtout pas dire à Sinead O’Brien que la curiosité est un vilain défaut. L’artiste irlandaise vit pour accumuler les expériences artistiques et ne tient pas en place. La preuve : le confort est un mot abhorré de son vocabulaire. Musicienne, chanteuse, poétesse publiée, fashion designer pour Vivienne Westwood et John Galliano… Il est impossible de la ranger dans une case spécifique, à son grand plaisir. Peu avant son concert au Cirque d’Hiver à Paris, et à l’occasion de la sortie prochaine de son premier album Time Bend And Break The Bower, Mowno a pu s’entretenir avec elle. Sinead O’Brien a beau avoir la force tranquille, son cerveau carbure à toute berzingue et les idées coulent autant que la bière à la Fête de la Soupe de Wazemmes. Peu importe le sujet de conversation, l’artiste s’anime et se lance corps et âme dans la conversation. C’est ce qu’on appelle une artiste précieuse, à surveiller activement.

Tu t’apprêtes à jouer au Cirque d’Hiver. En tant qu’artiste aimant la physicalité, la chorégraphie live, ça doit être excitant ?

Sinead O’Brien : Oui ! C’est exactement le genre d’endroit que je fréquenterais si j’habitais encore à Paris. C’est une salle de spectacle incroyable. Au départ, je ne savais pas à quoi m’attendre. Bizarrement, je craignais que l’endroit soit trop dramatique, mais je me suis vraiment connectée à l’espace. Je sens que je peux l’occuper totalement. C’est un sentiment incroyable, une chance de ressentir cela avant un concert, plutôt que de s’y sentir comme un grain de poussière au milieu de l’univers.

Pour ton premier album, tu veux que les gens viennent pour la musique et restent pour ta poésie ?

C’est intéressant… C’est peut être ça en effet ! La musique peut définitivement être un leurre pour attirer car elle offre une gratification immédiate. Les gens qui ont aimé la musique, les paroles – ou quoi que ce soit du projet – ont de toute manière fait le travail en ayant déjà gratté sous la surface. Peut-être qu’une phrase ou une idée a particulièrement résonné chez eux. Parfois, lorsque j’écris, j’arrive à trouver le bon mot après y avoir réfléchi pendant des lustres. C’est quelque chose de vraiment satisfaisant que j’espère pouvoir déclencher chez les autres.

Tu sembles trouver cruciale la distinction entre chansons et poèmes dans ton travail. C’est le cas ?

D’une certaine manière, oui. Ecrire un recueil de poésies est une tâche différente de celle d’écrire les paroles d’un album. Quand je publie de la poésie, je ne mets pas juste des lyrics bout à bout. J’ai des poèmes que je transforme ensuite en chansons. Il n’y a donc pas de barrière entre les deux, pas de différence énorme. Disons que ces deux façons d’écrire sont sur un même spectre, mais sont habillées de couleurs différentes.

Tu es inspirée par la littérature française ? Tes textes me font parfois penser au courant surréaliste…

Honnêtement, je ne connais pas bien le courant surréaliste. Mais j’adore découvrir toutes les recommandations que l’on me fait. En tout cas, un nombre important de poètes, d’écrivains anglais et irlandais ont passé du temps à Paris. J’ai l’impression que la littérature française a imprégné tout ce que j’aime. Récemment, je lisais par exemple un recueil de poésies de Beckett où il traduit également Rimbaud et Verlaine. Je ne savais même pas que ce bouquin existait ! C’est incroyable car ce n’est pas vraiment une traduction précise, j’ai trouvé ça fascinant.

Le terme de musicienne chamane te convient ? J’ai l’impression que ta musique provient parfois d’une inspiration ésotérique.

Tu veux dire d’un point de vue spirituel ? Si oui, tu m’as très bien cerné. C’est tout à fait moi. Je suis toujours en train de chercher des choses donnant plus de sens à notre quotidien. On m’a déjà demandé si j’étais possédée… C’est quand même un peu extrême, là ! Parfois, un morceau que j’ai écrit et que je chante à chaque concert peut devenir le temps d’un soir un titre sur lequel je peux me montrer particulièrement féroce. J’accorde beaucoup d’importance à l’énergie, à la manière de l’équilibrer, de la rassembler quelques jours avant une performance… Pour moi, un concert est comme cette discussion que nous avons en ce moment même : je cherche toujours à ce que ça reste un dialogue. Je ne veux pas être la seule à donner, je veux aussi recevoir. Je trouve que c’est aussi une approche saine à avoir par rapport à la musique.

La danse fait aussi partie de ton ADN ? Tu as même rencontré ton guitariste Julian Hanson sur le dancefloor apparemment !

Oui ! On était chacun en train de tout donner sur la piste de danse, en communicant physiquement de manière très étrange. La danse, et tout simplement le mouvement, sont essentiels pour moi. Quand je danse pendant des heures dans un club, quand je suis des cours ou même quand je fais du yoga, je sens que mon corps est en quelque sorte en train de se purifier. C’est un sentiment vital pourtant, à l’inverse, quand je dois le faire pour le tournage d’un clip par exemple, sans aucune préparation, j’ai l’impression d’être comme un singe en train de danser. Ça impose de se percevoir en dehors de son corps, et d’en avoir rien à foutre du regard des autres. Par exemple, je me rappelle avoir vu Daft Punk en Irlande pendant mon adolescence. Je ne prends pas de drogue mais, ce jour-là, j’étais complètement défoncée par l’expérience vécue lors de ce set et par ces heures de danse. C’était la première fois que j’étais aussi transcendée.

Comment se passe exactement la collaboration entre le groupe et toi ?

Ça peut être différent en fonction des chansons. Certaines se font dans le studio avec Julian… Parfois, le contexte aide aussi, comme cette fois où on s’est retrouvé chez lui à Nottingham. Nous avons dîné avec sa mère qui est adorable, et la session qui a suivi a été extrêmement bénéfique dû fait de l’environnement du moment. D’autres fois, tu as besoin de l’énergie de Londres ! Notre processus peut donc vraiment varier. Le point de départ est toujours le même : j’écris seule. C’est une passion solitaire, et ça me convient parfaitement d’être dépendante de personne. Ensuite, quand quelqu’un est prêt pour se lancer, je suis là, disponible avec pas mal de matière en avance. Quand j’estime qu’un morceau atteint un certain stade de préparation, on se retrouve dans une même pièce avec Julian, on improvise, mais je ne lui donne pas les paroles ! On tient tous les deux à garder un peu de surprise, de spontanéité, de risque aussi. Nous enregistrons le tout sur nos portables, et c’est ce que notre producteur écoute.

Tu as une manière de chanter/parler très distinctive. Tu es team Mark E. Smith ou Gil Scott-Heron ?

Mark E. Smith ! Ses divagations et marmonnements avaient tellement d’esprit ! Chez lui, même le chaos le plus complet fait sens.

D’ailleurs, ton principal but est-il de garder le revival post-punk d’actualité ?

Non, ce n’est pas du tout mon but. Je ne trouve même pas que ça soit utile d’être constamment mis dans des genres ou des cases. Quand on te colle une étiquette, ça tue le plaisir que tu prends à faire de la musique finalement. Ce qui est fun, c’est l’incertitude. Honnêtement, je ne sais même pas ce que ‘post-punk’ veut vraiment dire. Est-ce qu’on parle du même que dans les années 70 ? Je préfère que les gens se fassent leur propre interprétation de ma musique. Et puis, parfois j’ai envie de structures pop, d’autres fois de faire un rap à ma manière… J’ai beaucoup d’idées. Si on arrête de toujours vouloir ranger les artistes dans des cases spécifiques, ça laisse plus de place aux individualités. Depuis plus d’un an, je pousse la réflexion dans ce sens.

Ton inspiration provient-elle principalement du cinéma, de la danse et de la mode ? Tes influences musicales sont-elles finalement assez secondaires ?

Les références musicales peuvent être utiles quand tu es en studio en train d’essayer d’expliquer un son particulier à quelqu’un. Mais je ne veux pas être constamment dans la surenchère de références. Utiliser des mots plutôt que des noms, ça ouvre beaucoup plus à l’interprétation. En plus, quand j’enregistre des démos à la maison, c’est sans musique. Souvent, je fais des bruits avec ma voix, ou j’ajoute une boîte à rythmes pour donner une harmonie. C’est comme avec la mode : quand tu commences à copier, c’est fini. Il faut essayer d’être original pour être le plus respectueux possible envers la musique et la créativité.

Comment s’est passé le travail au studio avec la légende et super-producteur Dan Carey ?

C’est devenu un ami, tout simplement. Avec lui, l’album a été un vrai plaisir à enregistrer. J’ai même pleuré plusieurs fois tant c’était incroyable. Ca ne m’était jamais arrivé auparavant. Dan réussit à créer un environnement où tu fais abstraction de tout, où l’album devient la chose la plus importante de ta vie. Il est capable de capturer les moments les plus émotionnels, comme ce fut le cas lors de la prise du titre The Rarest Kind. Tu lui apportes une chanson, et elle peut drastiquement changer à son contact. Dan est du genre à prendre des risques, et ça rend le processus toujours intéressant.

Tu penses que ton travail dans le monde de la mode a contribué à ton sens du spectacle ?

Oui, cet assemblage d’inspirations m’a été très utile pour rester constamment stimulée. La mode a eu une énorme influence sur moi évidemment, notamment en termes d’imagerie. Vivienne Westwood m’a souvent dit qu’on ‘travaille dans l’air’. C’est quelque chose que j’ai retenu.

Tu as habité un certain temps à Paris. La capitale te manque ?

Quand je reviens ici, ça me manque oui. J’adore l’énergie de Paris, son côté désordonné et toujours sur les nerfs. Son esthétisme aussi, avec ses différents styles d’architecture. Paris est aussi un joyau de création, même si je ne crois pas une seule seconde à son aspect romantique. Ce que j’aimerais, c’est revenir plus souvent pour mieux connaitre sa scène musicale, mais je n’ai plus particulièrement envie d’y rester. Je suis très heureuse à Londres, entourée de mes proches.

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