23 Jan 18 Rone, explorateur en quête de sérénité
Depuis ses débuts, nous suivons et avons toujours eu une affection particulière pour Rone. A chacune de nos rencontres et de nos discussions, nous l’avons senti grandir et évoluer, tant sur le plan musical qu’humain. Il était donc évident pour nous de retrouver Erwan Castex sur l’une des dates de sa tournée actuelle, celle de son dernier album en date, Mirapolis. L’occasion pour nous de retrouver cet éternel anxieux mais non moins optimiste, et d’en savoir un peu plus sur la conception et l’origine de ce tout dernier disque, l’un des plus passionnants de sa discographie.
Première question toute simple : comment vas-tu et comment se passe la tournée ?
Rone : Ça se passe super bien ! On a démarré il y a trois semaines à peu près, on a déjà fait une dizaine de dates et c’est vraiment cool. Tout va bien !
J’étais présent durant tes balances et, du coup, j’ai pu découvrir ta nouvelle scénographie totalement inspirée par la pochette de ton dernier album.
Effectivement, on voulait retrouver l’esprit de la pochette qu’a réalisé Michel Gondry pour le nouvel album. On a essayé de prendre son idée et de la développer à fond.
J’ai vu ça ! Il y a des décors derrière mais aussi devant toi. J’imagine que tu souhaitais complètement t’immerger dans cette cité Mirapolis que tu as crée ?
Carrément ! Je dois dire que j’adore Gondry depuis des années. Notamment sa façon de faire, ce mélange un peu carton-pâte, il y a du vrai génie là dedans. Et je tenais à retrouver ce coté un peu bricolé sur scène, parce qu’aujourd’hui je trouve qu’il y a un peu une course à la technologie dans la musique électronique. Mais personnellement, j’avais envie d’un truc un peu plus poétique et théâtral. Bien évidemment, on joue aussi avec les lumières, c’est ce qui rend le décor intéressant. Mais le but était vraiment de poursuivre l’univers qu’on a créé avec Gondry. Il a vraiment posé un décor avec cette pochette. Elle a d’ailleurs beaucoup inspiré le disque de manière générale.
La dernière fois que je t’ai vu en concert, c’était en 2015 à La Route du Rock, et tu avais déjà une sacrée scénographie, inspirée à l’époque par Créatures. Tu as toujours ce besoin, on dirait, de faire le lien entre l’univers de l’album que tu crée en studio et ce que l’on va retrouver sur scène par la suite.
Oui c’est vrai. C’est un lien permanent qui se tisse dès la composition de l’album et ce jusqu’à la scène. On a toujours ce souhait de développer à fond les concepts. Et comme tu disais, ça me permet de m’immerger totalement dans l’univers que je crée. Là pour le coup, on est vraiment parti dans ce délire de ville rétro-futuriste, c’est vraiment chouette !
C’est la troisième fois qu’on vient à ta rencontre avec Mowno, et j’ai noté une chose qui revient souvent dans tes interviews, c’est l’angoisse. Tu le dis souvent, tu es naturellement quelqu’un d’assez angoissé. Est-ce toujours le cas ? Je te demande ça parce que j’ai vraiment eu le sentiment, en écoutant Mirapolis, que tu avais gagné en sérénité.
Alors ça, ça me fait vraiment plaisir que tu me dises ça ! J’ai probablement gagné en sérénité lorsque j’ai composé ce disque en effet. Parmi les précédents, certains ont été plus douloureux à concevoir, mais la réalisation du dernier s’est vraiment passée de manière agréable et douce dans l’ensemble, et je crois que ça s’entend beaucoup. Bon après, je ne te cache pas qu’en ce moment je retrouve un peu l’angoisse de la tournée parce que c’est quelque chose d’intense, c’est un mélange un peu de stress et de fatigue. Mais tout ça disparaît une fois que je suis sur scène. Et même si je suis anxieux de nature, je crois que j’arrive de mieux en mieux à gérer tout ça.
En écoutant Mirapolis, j’oscillais entre sourires béats et mélancolie. C’est important pour toi ce mélange un peu chaud/froid ?
Oui totalement ! J’adore l’idée de contrastes et le fait de jouer sur différentes émotions. Pour moi, il faut que ça soit à l’image de la vie et des différentes humeurs que l’on peut traverser. C’est d’ailleurs ce qui me plait dans l’univers de Gondry. Tu sais, mon film préféré de lui c’est Eternal Sunshine Of The Spotless Mind. C’est un film assez triste, et en même temps très décalé, dans lequel il arrive à insérer plein de fantaisies, et c’est ça que je recherche aussi dans ma musique : être toujours en équilibre entre des sentiments opposés. Dans le dernier album, il y a un peu de ça. Pour être franc, je souhaitais dès le début partir sur quelque chose de très positif parce que Créatures était déjà assez dark, mais on ne peut pas non plus changer sa nature d’un claquement de doigts, et la mélancolie est quelque chose qui me rattrape toujours au final.
Je trouves que Mirapolis est très inspiré par le souvenir de l’enfance, par l’insouciance et la rêverie du jeune âge. C’est une thématique qu’on retrouve assez souvent chez toi. Penses-tu que dans le climat actuel, qui est parfois morose, on gagnerait à retrouver cette part d’enfance ?
Oui carrément ! Il y a un truc qui m’a toujours fasciné dans l’univers de l’enfance. C’est peut-être parce que je suis un jeune papa aussi. Mais j’ai le sentiment que quand tu as des gosses, quelque part tu redécouvres des choses au travers de leurs yeux. En les observant, j’ai le sentiment qu’on retrouve des sensations de spontanéité. D’ailleurs l’autre jour, je me disais un truc, c’est qu’on a tous dessiné quand on était môme. Alors t’en as certains qui ont continué et qui sont peut-être même devenus dessinateurs, mais la plupart arrêtent, et c’est intéressant de voir qu’en grandissant on abandonne ce genre de choses. En tous cas, je trouve que cette période de l’enfance, et même celle de l’adolescence, ce sont vraiment les périodes les plus riches car c’est à ce moment là qu’on est de vraies éponges et qu’on absorbe absolument toutes les influences qui vont nous nourrir pour le restant de notre vie. Bon après, je te dis tout ça mais j’essaye de pas tomber non plus dans le syndrome de Peter Pan hein (rires) ! C’est dans ces moments là par exemple que ça devient intéressant de bosser avec des mecs comme Saul Williams qui sont très engagés politiquement et qui, du coup, sont là pour te faire une petite piqure de réalité en posant des texte liés à l’actualité.
Parlons-en justement. C’est vrai que tu as la présence de Saul Williams sur cet album, mais la politique n’est pas forcément un sujet sur lequel tu t’aventures habituellement. C’est une question un peu hasardeuse mais, selon toi, penses-tu qu’il soit possible de traduire un message politique de manière totalement instrumentale, sans featuring ?
Ça, c’est une grande question pour moi. Très honnêtement, je pense que pour faire passer un message il faut nécessairement des mots, et c’est pour ça que je m’entoure de mecs comme Saul Williams ou encore Alain Damasio qui ont vraiment des discours et des messages qui me parlent. Je ne suis pas très doué pour ça moi, je ne suis pas un grand orateur. Eux sont des personnes fascinantes, avec lesquelles je suis en totale adéquation. Mais c’est vrai que quand ils lâchent un message, c’est très direct. C’est comme s’ils te prenaient par la main pour t’expliquer et te dire quoi penser. C’est pour ça que j’aime la musique instrumentale, c’est que chacun peut l’interpréter à sa manière en fonction de ce qu’il ressent. J’aime donc jouer sur les émotions, mais je suis aussi très heureux quand je peux collaborer avec des personnes qui peuvent accompagner ma musique de tout leur talent oratoire.
On va aborder le sujet des collaborations justement car Mirapolis semble être le disque de ta discographie sur lequel on retrouve le plus d’invités à ce jour. On dirait que, plus tu avances dans ta discographie, plus tu sembles t’ouvrir aux collaborations. Je dirais même que c’est ce qu’il y a de plus marquant dans ce nouvel album. Quand je l’ai écouté et que j’ai vu tous ces contributeurs, c’était un peu comme si je te voyais toi-même explorer cette étrange ville de Mirapolis, mais avec toute une équipe d’explorateurs pour t’aider dans ce voyage. Et au final, j’ai le sentiment que l’apport de tous ces invités n’a rendu cette ville imaginaire que plus passionnante.
C’est très vrai, et c’est marrant parce que je fais justement le lien maintenant avec ce thème de la ville. Pour moi, Mirapolis devait être de toutes façons une cité que je ne pouvais pas explorer seul. Elle devait être très hétéroclite, avec des gens qui viennent d’univers très différents, et c’est ce qui lui a donné plus de profondeur je crois. Toutes ces personnes m’ont vraiment permis d’élargir ma palette et le champ des possibles. En général, je suis habitué à avoir surtout des synthés et des machines autour de moi, mais là j’étais un peu comme un chef d’orchestre qui pouvait composer avec des voix, des batteries, des guitares, et tout un tas d’autres instruments. C’était génial.
Je sais qu’au tout début, avant même de commencer à composer, tu ne pensais pas faire un album avec autant de collaborations. J’ai lu que tu souhaitais faire quelque chose de beaucoup plus intimiste. Est-ce que finalement, après coup, ça t’a donné envie d’aller encore plus loin ? De pousser encore plus cette expérience collaborative ?
J’ai très envie des deux en fait ! Parfois, je me dis que j’aimerais aller plus loin dans la collaboration en faisant carrément un opéra électronique. Mais j’ai aussi toujours cette idée de faire un truc très intime, voire carrément ambiant, sans rythmiques. En tous cas, je ne me fixe aucune limite, et surtout je me laisse porter par l’instant. J’aime bien les surprises dans la vie. Certaines personnes avec qui j’ai travaillé, j’ai cherché à les contacter, mais la plupart sont le fruit de rencontres inattendues, totalement accidentelles. Saul Williams par exemple, je l’ai croisé par hasard dans la rue à Paris, et je lui ai proposé de passer au studio. J’aime bien quand les choses se passent ainsi, ça peut du jour au lendemain changer complètement ce sur quoi tu bosses.
On traverse actuellement la période des bilans et autres classements musicaux de fin d’année. T’écoutes quoi en ce moment ? Qu’est-ce qui t’a le plus marqué en 2017 ?
Pour être honnête, je suis vraiment à la bourre de ce coté là ! J’ai passé tellement de temps à travailler sur le nouvel album… Quand c’est comme ça, je m’immerge à fond, je deviens complètement hermétique à tout ce qui sort à coté. En revanche après, une fois que le disque est sorti et qu’on part en tournée, je redeviens une éponge et j’écoute plein de trucs. Bien évidemment, je me suis plongé dans les discographies respectives de ceux qui ont collaboré à mon nouvel album, notamment celle de Baxter Dury qui est géniale. J’ai beaucoup aimé le dernier album de Mount Kimbie aussi. Et là récemment, il y a une fille qui s’appelle Kaitlyn Aurelia Smith que j’aime beaucoup. Elle me fascine parce qu’elle utilise un synthé que je possède aussi, mais qui est hyper dur à manier. Je suis assez épaté parce qu’elle arrive à en faire.
Peut-être une nouvelle collaboration à venir ?
Pourquoi pas !
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