
10 Fév 25 Robin Zeller, le secret le mieux gardé de l’indie français ?
En 2018, Robin Zeller déboulait de nulle part avec un premier Ep, Electric Postal Card, qui laissait déjà largement entrevoir le potentiel de songwriter du bonhomme. On ne se faisait alors aucun souci sur le fait qu’un label s’empresse de l’enrôler afin de lui faire embrasser une carrière méritée. Sept ans plus tard, on réalise que la partie n’est jamais gagnée d’avance. Mais ce n’est pas parce qu’on n’a pas les armes qu’on ne peut pas lutter. La preuve puisque c’est seul, comme un grand, que l’isérois d’origine s’est tourné vers New York et Sam Cohen (Kevin Morby, Benjamin Booker, Curtis Harding…) afin de mettre en boite un premier album appelé à lui faire passer un nouvelle étape dans le parcours du combattant que représente le fait d’être un artiste indépendant au sein d’un music business sans grande pitié. Après trois semaines passées entouré de musiciens qu’il qualifie lui-même de ‘machines de guerre’ (ils ont improvisé sur tous les titres sans instructions ni partitions), Robin Zeller repart de Brooklyn avec dix nouveaux morceaux sous le bras et pas mal d’expérience glanée au passage. ‘Je sais écrire un texte, une chanson, par contre je ne suis pas un musicien technique donc je préfère bien m’entourer et laisser beaucoup de place à ceux qui savent‘ nous confie t-il avant de détailler chacune de ses nouvelles compositions.
MORGAN MOST LIKELY
Robin Zeller : Je rêvais d’avoir une vraie Marche sur l’album, un morceau monté sur rail avec un kick engagé. Morgan Most Likely est une chanson anti-militariste dans la pure tradition du texte folk. Ça parle de jeunesse gâchée, de vie volée. L’opposition entre l’espoir et la réalité parfois cruelle. Les choeurs angéliques en intro sont là pour contraster avec l’enfer du conflit, même si la chanson est enjouée. Stuart Bogie a posé un solo de saxophone d’anthologie en plein milieu. Mon meilleur souvenir. Pour lui donner un effet massif, il l’a doublé en une seule prise, du premier coup. Vous entendez deux pistes l’une sur l’autre, sans retouche. Une masterclass.
THE SONG I SHOULD SING
C’est certainement la chanson la plus personnelle de l’album. Je suis assez nostalgique en général, mais pas nécessairement dans un sens négatif. Ce qui est intéressant avec la nostalgie – ici de l’adolescence – c’est qu’on devient obligatoirement quelqu’un d’autre avec le temps, mais on s’accroche parfois a des sentiments qui ne nous appartiennent plus, ceux d’une autre version disparue de nous-même. Ce texte, c’est une lettre d’affection pour le Robin de 16 ans. Jessica Carvo joue le rôle féminin avec la seconde voix, elle me donne des frissons. Musicalement, c’est peut être un petit hommage à Norah Jones (mon featuring de rêve) avec qui Sam avait déjà bossé. C’est ma go-to artist pour un ressenti nostalgique. L’arrangement des cuivres de Stuart me font penser au groupe de jazz un peu nonchalant qui joue dans les rues d’Halloween Town dans l’Étrange Noël de Mr Jack.
FOUR MINUTES TO LIVE
La scène, c’est un avion qui va s’écraser dans 4 minutes. On observe les passagers qui tombent inéluctablement vers leur fin. Ça peut paraitre un peu glauque mais c’est un laboratoire d’honnêteté. J’imagine qu’à quatre minutes de sa mort, on tombe le masque et par la force des choses, on est soi-même. C’est une situation fictive intéressante pour observer la nature humaine. Stuart Bogie est arrivé avec une panoplie de saxophones, de flûtes et de clarinettes. D’un étui énorme, il a sorti une clarinette basse. Il m’a fait comprendre qu’il l’emmenait partout au cas où mais qu’il avait rarement l’opportunité de la caser sur une session. Après une petite démo du son, j’étais accro. On a échangé sur notre amour pour la musique Klezmer et il a fait pleurer la clarinette sur une prise mémorable, à faire pâlir Giora Feidman.
LIFE AT LAST
C’est le portrait de quelqu’un qui n’est que spectateur de sa vie. J’essaye d’explorer le regret et les ‘si seulement’, mais avec compassion. On peut être perfectionniste et se mettre une pression monstre tout seul mais il faut savoir se donner du mou. Avec un peu de recul, on s’en sort peut être pas si mal. Le morceau est musicalement plein d’imperfections mais la prise est sincère. La guitare douze cordes est jouée par Sam, passée dans un léger chorus qui lui donne du volume, un côté dreamy et introspectif.
NIGHT GARDENS
Le surréalisme force l’instinct et se détache de tout jugement. J’essaye souvent d’écrire en attrapant les idées avant de les réfléchir et de les interpréter. Vu comme ça, Night Gardens est un peu dépourvu de sens mais a toujours été mon texte préféré. C’est une exploration nocturne d’un jardin, tropical ou bien taillé, avec ses jeux d’ombres et ses habitants. De nuit, l’herbe devient bleue, et on croit voir ce qu’on imagine, on pense entendre ce à quoi on croit. La flûte et le synthé organique évoquent des insectes ou des esprits végétaux qui nous épient à travers les branchages. Je voulais des arrangements aussi fluides et délicats qu’on peut l’être quand on marche à tâtons, pieds nus, dehors et dans l’obscurité.
STANDARD TIME
À la fin de la première semaine d’enregistrement des structures de base des morceaux, on a ouvert quelques bières et il restait un peu de temps au chrono avec Brian Betencourt (basse) et Dave Christian (batterie). Ce morceau n’était pas censé figurer sur la track list mais on a essayé pour le plaisir. On était dans leur crémerie, style americana, c’était facile pour eux donc on n’a fait qu’une seule prise live improvisée. Sam a rajouté la douze cordes et une deuxième guitare, debout devant sa console. C’est le seul solo de guitare de l’album d’ailleurs. Ça file tout droit. Pour le texte, c’est un mélange chaotique qui s’interroge sur la présence ou non d’un sens à la vie.
ROMAN GODS
Avec le panthéon mythologique et religieux en général, on a toujours sous la main un vivier incroyable d’images métaphoriques pour parler de sujets plus ou moins profonds. Ce qui est cool avec les dieux romains, du moins la vision que j’en ai, c’est qu’ils sont très humanisés et ce sont leurs défauts et contradictions qui les rendent accessibles. La composition de l’orchestration est assez malicieuse mais aussi massive par moment, avec l’overdrive très gras de la guitare de Sam. J’avais en tête les structures mélodiques des artistes de la scène galloise comme H.Hawkline ou Cate Le Bon, toujours très singulières avec des sonorités pop hachées et des twists burlesques.
GIULIANA
Mettons les choses à plat tout de suite : Giuliana n’existe pas ! C’est un nom au hasard que j’ai sorti de mon chapeau mais ce n’est pas une femme en particulier. Plutôt l’expression de ma fascination pour le sexe opposé. L’instru est assez sobre, mais on cherchait quelque chose d’original pour créer des nappes texturées après les refrains et sur la fin. Comme je suis né en Isère, on s’est amusés a rendre hommage à un petit compositeur local qui s’appelait Berlioz. On a samplé trois notes d’une de ses oeuvres dans la même tonalité, on les a mises à l’envers, ralenties et étirées sur des kilomètres et ça donne ce son étrange et planant. C’est une private joke, n’importe quel son de synthé aurait fait l’affaire.
DIORAMAS
Comme les Dioramas peuvent être et sont souvent des maquettes qui présentent une scène en particulier, cette chanson est une suite d’images qui décrivent la place de notre espèce et la trajectoire dénaturée quelle emprunte. On fonce dans le mur et personne n’est aux manettes. Par contre, ça ne doit jamais être une fatalité, donc on répète comme un mantra l’expression No Future! empruntée au Punk, suivi d’un No Way! ensuite, pour répondre qu’il est hors de question qu’il n’y ait pas d’avenir pour nous. La batterie est assez large mais c’est surtout le saxophone qui dialogue sur tout le morceau. Le son est tellement serré que ça me fait penser aux couinements des ballons quand les clowns font des animaux avec. On sent l’influence afrobeat de Stuart, qui a été premier saxophone sur la comédie musicale sur Fela Kuti pendant des années à Broadway, et membre du groupe Antibalas.
HOLLYWOOD REVIEW
L’univers du cinéma est une grosse influence dans ma façon d’aborder les textes. Hollywood Review décrit un plateau de tournage avec ses personnages décalés, ses extras en costume d’indiens sur leur portable ou la vedette en costume de Charlemagne qui tape un scandale pour le plus grand plaisir des paparazzis. Ce mélange improbable cristallise dans un microcosme réduit tout les maux de notre société. ‘La vie n’a rien de sacré, c’est juste un film qu’on tourne‘ dit le refrain. On entend par moment des notes d’un synthé que je joue qui évoquent des cloches. Le son est sorti par hasard en scrollant dans la bibliothèque du Mellotron et j’ai tout de suite vu les images du Grand Bleu avec la BO d’Eric Serra. Les musiciens n’en avaient jamais entendu parler ( ah ces américains… ) donc je me suis permis de rattraper le coup et c’est devenu une référence pour l’habillage du morceau !
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