
11 Avr 25 Robin Zeller, de la musique qui compte
Quand Robin Zeller sort Electric Postal Card en 2018, il n’a ni plan de com’ béton, ni gros réseau derrière lui. Juste des chansons qui tiennent debout toutes seules, et un talent brut de songwriter qui donne envie d’y croire. De quoi penser qu’un label finirait forcément par lui tendre la main pour l’aider à passer la vitesse supérieure. Sept ans plus tard, toujours pas de maison de disques à l’horizon. Comme quoi, même avec du talent, rien n’est jamais gagné. Pas grave : Zeller n’a pas attendu qu’on lui donne le feu vert. Il a traversé l’Atlantique pour aller bosser avec Sam Cohen à New York – un gars qui sait faire sonner les disques, comme l’ont compris Kevin Morby ou Curtis Harding avant lui. Trois semaines plus tard, entouré de musiciens qui improvisent comme d’autres respirent, il repart avec dix nouveaux titres et l’impression d’avoir monté d’un cran. Dioramas est un premier album bluffant de maitrise et de maturité, porté par une vision claire, sans ego mal placé, mais avec une vraie envie de faire de la musique qui compte. Rencontre.
On a fait ta connaissance en 2018, à la sortie de ton premier Ep Electric Postal Cards. Depuis, tu as seulement sorti quelques singles jusqu’à l’arrivée de ton premier album il y a quelques semaines. Qu’as-tu fais durant tout ce temps ? Pourquoi la genèse de ce premier long format a t-elle été si longue ?
Robin Zeller : Je suis parti enregistrer cet album à New York juste avant la pandémie. On a bouclé le mix au moment du lockdown, et j’ai du mettre le projet en pause quelques mois. Les partenaires avec qui la sortie devait initialement se faire ont rebattu leurs cartes, et le mastering s’est fait un an plus tard. Entre temps, j’en ai profité pour explorer d’autres médiums comme la peinture : quelques expositions plus tard et le temps de me remettre sur le projet en cherchant le moment parfait qui n’arrive jamais… et nous y voilà.
Tu as confié la production de ce premier album à Sam Cohen. Pourquoi ce choix ? Et comment t’es tu retrouvé à Brooklyn pour enregistrer ?
J’ai découvert la musique de Sam sur son premier album solo Cool It, puis sur son travail avec Kevin Morby et Benjamin Booker. J’avais besoin de déléguer la production pour rester concentré sur la simplicité d’écriture que je recherche. Et en tant qu’artiste solo, c’est essentiel pour moi de rester ouvert en collaborant sans basculer pour autant dans le format ‘groupe’. Je peux être un peu control freak, donc pour avoir confiance, ça me semblait obligatoire d’arriver en fan. On est entrés en contact en marge d’une tournée européenne de Sam et Kevin. Je lui ai envoyé quelques morceaux et ça lui a plu, donc il m’a proposé de venir quelques mois plus tard. J’ai composé un album spécialement pour l’occasion et je suis arrivé avec dix morceaux tout frais.
Vous ne vous connaissiez donc pas vraiment avant que tu arrives à Brooklyn. De fait, comment se sont passés les premiers jours ? Est-ce qu’il a été difficile de vous mettre sur la même longueur d’ondes ?
J’ai été plongé dans le bain immédiatement. On a juste pris le temps d’un petit déjeuner sur la console du studio avant que les musiciens ne débarquent. Sam était dans une période ou il voulait s’écarter des arrangements de guitares un peu trop évidents. On trouve tous les deux que le format ‘gros solo de guitare’ systématique est un peu dépassé. Ça correspondait bien à mon envie de revenir au piano (mon premier instrument d’enfance) et à mes influences jazz.
Tu as collaboré avec une poignée de très bons musiciens sur cet album. Tu ne les connaissais pas avant de te pointer au studio, et eux n’avaient jamais entendu parler de toi jusque-là. Sam Cohen t’a t-il dit sur quels arguments il a su les convaincre de s’investir dans ta musique ?
Ils sont entrés, ont pris un café pendant que je leur chantais un premier morceau au piano. Sans rien dire, Sam a fait un mouvement de la tête et Brian (basse) et David (batterie) m’ont accompagné dans la rec room, où ils ont improvisé directement une ligne sur le morceau. On a fait trois prises avec le chant en live et c’était fini. Toute la fondation de l’album est enregistrée comme ça. Sam demandait parfois une petite modification sur l’intention mais la confiance est totale, ils se connaissent parfaitement. Ils ne posent pas de questions car ils ont les mêmes goûts. Quand Sam les appelle pour une session, ils viennent et font le boulot sans sourciller. Finalement, outre son travail sur le mix et les instruments qu’il a lui-même joués, son job de producteur consiste principalement à assembler la bonne équipe pour un projet.
Parmi eux, Stuart Boogie (Antibalas) semble avoir occupé une place particulièrement importante. Comment évoluait le binôme que tu as formé avec lui, sous la coupe de Sam ?
Je ne connaissais pas Stuart avant la session, c’est un type d’une bonne humeur contagieuse. Sam m’avait prévenu et avait vanté son talent. J’avais le sentiment d’assister à un concert privé, donc je mangeais tout ce qu’il avait à me donner. Je n’ai jamais rien eu a dire car tout était incroyable, prise après prise ! J’en garde un souvenir impérissable. Ça a été une chance d’assister à ça, qui plus est sur ma musique.
Tu cites beaucoup Norah Jones en référence poutant, quand on écoute ce premier album, on pense plus volontiers à Kevin Morby, à Bob Dylan ou à Timber Timbre. Que couvre réellement ton spectre d’influences ?
Ce n’est pas très original mais j’ai découvert le songwriting avec Dylan. Plus que ses mélodies, c’est son texte et les arrangements entre ses musiciens qui m’ont toujours fascinés. Je suis moins intéressé par ses premières années, avant son virage électrique. Désolé Timothée Chalamet ! Bien que je sois parti de là pour biberonner mon écriture, j’écoute de tout et principalement du jazz. Norah Jones s’inscrit dans ce registre sans vraiment en être. Pour moi, elle fait partie de ces artistes un peu inclassables : je pense que Bob Marley relève autant de la pop que du reggae, Dylan autant du jazz (sur ces derniers albums) que de la folk, et Norah Jones fait aussi de tout. Le point commun entre ces artistes, c’est qu’ils sont avant tout des songwriters et de là, ils naviguent à vue. J’essaye de nager dans les mêmes eaux qu’eux.
Le registre folk, de nos jours et au contraire de musiques plus dynamiques, n’est plus aussi engagé qu’il ne l’était dans les années 60 et 70. Quand tu écris une chanson anti-militariste comme Morgan Most Likely, es-tu de ces artistes qui veulent redonner une crédibilité politique au genre ?
Une certaine folk se contente d’une recherche de beauté, très lyrique. D’accord, la musique peut parfois nous servir comme bande originale au coucher de soleil ou nous réchauffer devant la cheminée, mais ça ne doit pas être uniquement une ambiance d’accompagnement. On ne peut pas toujours être dans la recherche du confort et du divertissement, parfois il faut savoir être un peu sérieux.
Sur The Song I Should Sing, tu écris au Robin de 16 ans. À quoi ressemblait ta vie à cette époque ? Te projetais-tu déjà dans la musique ?
À 16 ans, j’étais lycéen, rien de spécial. Je jouais d’un instrument depuis petit, mais c’est à cette étape de la vie où on se cherche une identité que j’ai découvert la mienne à travers la musique. Ça m’a pris du temps avant de comprendre que c’est ce que je voulais faire, mais c’est évidemment un moment charnière. C’est une phase tellement aigüe de la vie qu’on met des années à se l’approprier. Heureusement, ça donne matière à écrire.
Dans le track by track que nous avons récemment publié, tu dis ‘écrire souvent en attrapant les idées avant de les réfléchir et de les interpréter‘. Tu peux nous expliquer cela plus en détail ?
C’est un peu l’idée que je me fais du surréalisme : disjoncter l’interprétation et le jugement automatique qu’on porte sur les choses pour les accueillir objectivement. C’est plus honnête. Je ne pratique pas l’écriture automatique mais j’aime bien l’idée de noter les images comme elles m’apparaissent pour ensuite observer l’histoire que ça raconte, un peu comme un cadavre exquis.
Dioramas est un premier album ambitieux qui a largement de quoi plaire, pourtant tu restes un secret trop bien gardé. Qu’est-ce qu’il manque selon toi à ton parcours pour que tu décroches le succès que tu mérites ?
Si seulement je le savais ! On pourrait imaginer que je n’ai peut être pas fait les bonnes rencontres au bon moment, etc… Mais si je devais être honnête, je pense que je n’ai tout simplement pas fait de buzz, à l’heure où c’est tout ce qui compte. Je me force à me plier à l’exercice des réseaux sociaux mais ça ne m’intéresse pas du tout. La majorité des professionnels du milieu cherchent surtout à monter à bord d’un train déjà en marche. On se penche rarement sur un dossier si l’algorithme ne l’a pas déjà proposé.
Considères tu que le music business peut être parfois cruel vis à vis d’artistes comme toi, dans l’ombre malgré leur talent ? Crains-tu que la frustration prenne un jour le pas sur le plaisir de jouer de la musique ?
Bien sur que c’est un business cruel, mais c’est le principe du business ! Ça ne peut reposer que sur une compétition, c’est d’ailleurs à ça qu’on mesure le succès non ? Le degré de ‘réussite’ par rapport au voisin. La frustration prend bien sur parfois le pas sur le plaisir, mais comme je ne peux pas concevoir autre chose chose que la création sous une forme ou sous une autre, je ne vois pas comment je pourrais m’arrêter. Je ne vais pas aller vendre des piscines parce que Jean-Michel Manager n’a pas cru en mon projet. À mon sens, être artiste n’est pas un choix, c’est une condition.
Si on trace le fil de tes ambitions en tant que musicien, ou se situe Dioramas ? Comment souhaites-tu voir ta carrière évoluer à l’avenir ?
J’aimerais faire vivre l’album sur scène même s’il est très ambitieux. C’est une musique qui se joue idéalement avec beaucoup de musiciens donc je vais travailler à une adaptation fidèle pour le live. J’espère pouvoir retourner en studio dans un avenir proche, ce sera l’occasion de mêler d’autres influences. Mais je n’en dis pas plus pour l’instant.
Photos : Titouan Massé
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