Ride, le poids d’un héritage

Ride, le poids d’un héritage

On a beau s’être habitués aux reformations tout azimut, ce début d’année 2017 nous fait quand même tout drôle tant il ressemble à lui tout seul à un rappel à l’ordre de la décennie 90. Ou plus précisément à la période 88-94, celle qui vit l’Angleterre pop noyer ses mélodies dans un brouillard de bruit et d’écho. Après The Jesus and Mary Chain et Slowdive, un autre fleuron de la scène qui s’autocélèbre (‘The Scene That Celebrate Itself’ d’après la vanne du NME) s’apprête donc à sortir son nouvel album.
Rappel aux plus jeunes ou ceux qui auraient manqué un épisode en route : Ride est surtout l’auteur de deux pavés, ‘Nowhere’ (1990) et ‘Going Blank Again’ (1992), qui chacun à leur manière ont embrassé l’histoire de milliers d’adolescents chétifs en quête d’absolu. L’un pour incarner à merveille la sensibilité shoegaze, l’autre pour avoir placé la britpop sur les rails avant que Damon Albarn et Liam Gallagher ne viennent y mettre les doigts.
La mèche folle en moins mais le timbre de voix toujours aussi juvénile : on avait déjà aperçu Mark Gardener et sa bande il y a deux ans au festival Primavera (désormais spécialiste notoire dans l’exhumation des vieilles gloires du rock indé). Les batailles d’ego qui avaient coûté sa séparation au groupe semblaient bien mises de côté pour relancer définitivement la machine à tubes. C’est donc presque sans surprise qu’on a vu Ride débouler il y a quelques mois avec l’annonce d’un cinquième album, le premier en 21 ans, enregistré en catimini avec le producteur électro Erol Alkan. On est allé en parler avec la moitié du groupe – soit Mark Gardener et Steve Queralt (basse) – de passage à Paris pour promouvoir ce ‘Weather Diaries’.

J’imagine que vous donnez beaucoup d’interviews ces temps-ci. Pas trop fatigués par la promotion ?

Mark Gardener : Jusqu’ici, on s’est plutôt bien répartis la tâche. Donc ça va ! Et puis c’est aussi intéressant de pouvoir s’asseoir avec les mecs de son groupe pour parler de l’album, comme on le fait aujourd’hui. Ça permet de clarifier certaines idées, de mieux se comprendre.

Ce n’est pas quelque chose que vous faites pendant le processus d’enregistrement ?

Si, bien sûr ! Mais lorsqu’un album est programmé, on se concentre sur sa réalisation. On ne passe pas notre temps à discuter. En interview, nous sommes aussi très à l’écoute des retours qu’on nous fait. Découvrir la façon dont les journalistes peuvent interpréter tel ou tel morceau, c’est toujours instructif.

Est-ce que l’accueil que va recevoir ‘Weather Diaries’ est un motif de préoccupation ?

Steve Queralt : C’était stressant au départ, quand on s’est dit qu’on allait refaire un nouvel album. On n’avait aucune idée de la façon dont il allait sonner et encore moins s’il allait être bon. On devait revenir aussi fort que nous l’avions fait sur scène. Heureusement, à l’arrivée, je trouve que cet album est encore meilleur que ce que j’avais espéré.
Mark Gardener : On est conscient d’avoir un héritage. Et on avait peur de tout gâcher en n’étant pas à la hauteur, que les gens se disent : ‘En fait c’était ça Ride ? C’est pas terrible‘. Mais maintenant que l’album est réalisé, je suis moi-même très content du résultat.

Ça n’a pas été difficile de redémarrer le groupe après toutes ces années ?

Steve Queralt : On est toujours restés proche après la séparation, ne serait-ce que pour gérer l’héritage que Mark évoque. On pensait l’aventure terminée avec ‘Tarantula’ parce que cet album s’est mal vendu et qu’il a reçu un mauvais accueil critique. Mais notre musique a suivi son propre chemin, elle a continué à gagner en popularité et la scène shoegaze dans son ensemble est devenue une sorte de légende. On se revoyait donc une fois par an environ pour parler best-of, merchandising, etc. Alors quand on s’est retrouvés tous les quatre pour jouer à nouveau, on s’est très vite aperçus qu’on était sur la même longueur d’onde. Ce qui était une bonne nouvelle en soit parce que ça n’a pas toujours été le cas dans notre histoire.

Justement, je voulais évoquer les dissensions entre Mark et Andy [Andy Bell, second compositeur du groupe aussi connu pour avoir assuré la basse chez Oasis] qui ont marqué la fin de Ride. Comment êtes-vous parvenus à les dépasser ?

Mark Gardener : La fin du groupe n’a été qu’une succession de conflits. On savait que les choses devaient se terminer comme ça, dans le fracas. C’était la même chose pour notre label Creation Records. Mais c’est aussi ce qui rendait tout cela génial ! On fonçait, on passait tout notre temps ensemble… Si quelqu’un était intervenu pour nous dire ‘Eh les gars, vous devriez plutôt fonctionner comme ça‘, on ne l’aurait probablement pas écouté. Sauf qu’aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir revenir et de ne pas rester assis sur nos erreurs.
Steve Queralt : Les choses se sont compliquées au moment d’enregistrer ‘Carnival Of Light’ et surtout ‘Tarantula’. Andy avait des idées très arrêtées et il n’y avait plus beaucoup de place pour la discussion. Chacun a depuis reconnu ses erreurs. Je trouve que ‘Weather Diaries’ est presque la suite directe de ‘Going Blank Again’ dans le sens où il a été réalisé de façon très démocratique. Toutes les idées étaient bonnes à prendre pour ‘Going Blank’, et on ne s’était rien refusé. On n’a pas essayé de faire un ‘Nowhere’ 2. C’est ce qui est génial quand tu entames la vingtaine, ton deuxième album peut encore être ton premier.

Vous étiez effectivement très jeunes lorsque vous avez rencontré le succès.

Mark Gardener : On a vécu avec la pression du public et de la presse pendant à peu près six ou sept ans. Tout le monde pouvait nous encenser puis nous détruire. Nos potes allaient à l’université, fondaient des familles, et nous, on vivait dans ce cirque complètement instable. Je ne changerais rien à ce qui nous est arrivé, mais ça n’a pas toujours été facile. Il nous a fallu plusieurs années pour nous réadapter à une vie plus normale.

Qu’est-ce qui a provoqué votre retour ?

Pendant longtemps, j’ai pensé qu’on ne reviendrait jamais. Je ne voulais pas. Je voyais des groupes se reformer et le résultat n’était franchement pas terrible. Et puis il y a trois ou quatre ans, j’ai commencé à changer d’avis. Déjà parce que j’ai aussi pu voir de bonnes reformations – ce qui était très stimulant – mais aussi parce que le temps passait et que je sentais que si on ne revenait pas bientôt, j’allais le regretter.
Steve Queralt : C’était excitant de renouer avec l’énergie du groupe vu que les choses s’étaient terminées de manière assez brutales. On avait quand même peur de ne pas être à la hauteur de l’attente, mais on a vite été rassurés. Beaucoup de gens qui nous ont vus dans les années 90 nous trouvent meilleurs sur scène aujourd’hui.

Pour en revenir à votre nouvel album, j’ai trouvé le choix d’Erol Alkan assez audacieux pour la production. Vous le connaissiez déjà à la base ?

Mark Gardener : Andy le connaissait vaguement je crois. Disons qu’on ne savait vraiment pas s’il nous fallait un producteur, un ingé son ou si nous étions capables de tout faire seuls. Cette question nous a beaucoup fait réfléchir. C’est en listant une série de producteurs avec lesquels nous pourrions collaborer que Andy a soumis l’idée d’Erol. On s’est tous dit : ‘Erol ?! Mais c’est un DJ techno ! Qu’est-ce qu’il connait au rock ?‘. Mais quand on l’a rencontré, on s’est rendu compte qu’il était bien plus indie-kid que nous ne l’avions jamais été ! On a travaillé avec lui comme avec n’importe quel producteur, sauf que lui passait la musique la plus dingue que nous ayons jamais entendue en studio. Dès le matin, il branchait son iPod et nous faisait écouter tous ces trucs étranges : du disco turc, du rap indien…
Steve Queralt : On s’est tous retrouvés dans son incroyable passion pour la musique.
Mark Gardener : Travailler avec quelqu’un issu d’une sphère musicale différente de la nôtre a apporté quelque chose de novateur sur ce disque. Erol est un grand fan de Ride, mais il s’est vraiment détaché de ce que nous avions déjà fait pour tenter de nouvelles choses.

Comme par exemple ces voix vocodées en ouverture du titre ‘All I Want’ ?

C’est drôle parce que tout le monde nous pose cette question. En vérité, c’est Steve qui en a eu l’idée.
Steve Queralt : Alors que les sons de guitare les plus saturés sont des idées d’Erol !

Neil Halstead de Slowdive m’a récemment confié que le nouvel album de son groupe avait été conçu comme un album ‘normal’ de Slowdive, parce qu’il devait d’abord renouer avec les fans avant de tenter des choses nouvelles. Si j’ai bien compris, ce n’est pas une idée que vous partagez…

Je ne commenterais pas ce qu’a pu dire Neil parce que c’est un ami et que je respecte énormément son travail. Mais selon moi, pour que ta musique reste pertinente, tu dois t’interdire toute idée préconçue à son propos. Au contraire, c’est stimulant de se mettre au travail sans savoir à l’avance ce qui va en sortir. C’est beaucoup de décisions délicates à prendre, et peut-être que les gens seront déçus du résultat. Mais je reste confiant.
Steve Queralt : ‘Weather Diaries’ ne sonne comme aucun autre album de Ride. Il reflète juste ce que nous sommes à présent.
Mark Gardener : La seule comparaison qui puisse être faite avec nos précédents albums, c’est la frustration et la colère qui nous animent. On observe chaque jour des événements d’actualité qui nous donnent le sentiment d’être impuissants. Le Brexit est un événement vraiment très embarrassant. Ce n’est pas du tout ce qu’on souhaitait, et c’est difficile de trouver du positif là-dedans. Le nationalisme monte un peu partout et ça n’apporte rien de bon. Notre album évoque ce chaos et la volonté de garder la tête haute.

Oui, il en ressort quelque chose de positif autant dans les mélodies, les paroles, que dans le vernis de la production.

Parce qu’on veut croire que le meilleur arrive à la fin même si on doit traverser toute cette merde. Avoir nos propres familles nous rend plus sensible mais aussi plus combatif face à ce genre de situation.
Steve Queralt : Si tu comptes ceux qui se sont abstenus lors du référendum sur le Brexit, cela ne donne au total que 37,5% de votes en faveur d’une sortie de l’Union Européenne. C’est donc une minorité qui a décidé pour l’ensemble du pays ! Ça me fout vraiment en colère. Tout comme la première Guerre d’Irak avait pu nous mettre en colère quand nous avions fait ‘Going Blank Again’.

Les modes d’écoute ont beaucoup évolué depuis la sortie de votre dernier album. Vous avez des attentes concernant l’attention que les gens vont lui porter, ou sur la façon dont ils vont l’écouter ?

On ne peut pas contrôler ces choses-là. Quand on faisait de la musique dans les années 90, l’industrie musicale fonctionnait de manière très simple. On faisait un disque, puis on le donnait à notre label qui se chargeait de le distribuer dans les magasins, et les gens venaient l’écouter et éventuellement l’acheter. S’ils l’achetaient, ça voulait dire qu’ils allaient l’écouter pendant des semaines et des semaines… Alors que maintenant, si tu sors un album, les gens s’enthousiasment pendant à peu près six heures, puis ils l’oublient.
Mark Gardener : La situation est d’autant plus difficile pour les jeunes artistes, ceux qui n’ont pas déjà accédé à la renommée.
Steve Queralt : J’adore Youtube parce qu’en tant que fan je peux y faire des bonnes découvertes, mais en tant qu’artiste, cela me fait du mal. C’est le service de streaming le plus utilisé au monde, et pourtant il ne reverse rien aux artistes. De leur côté, Spotify et Apple Music payent de mieux en mieux, même si ce n’est toujours pas suffisant.

[Le chargé de promotion du label nous fait signe que l’interview touche à sa fin]. Bon, dernière question alors : est-ce que vous pensez que votre musique peut jouer un rôle de moteur dans la vie de vos fans ?

Mark Gardener : La musique en général a toujours été une forme d’empowerment selon moi. Elle agit de cette façon-là.
Steve Queralt : La musique est ce qu’il y a de plus important dans la vie, avec l’amour et la famille. C’est tout ce que j’ai à dire là-dessus.

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