
16 Mai 25 Rehash et le crépuscule de Weimar
2025 rime-t-elle nécessairement avec intelligence artificielle ? Avec AktionReaktion!, un premier EP nerveux sorti à l’automne dernier, Rehash et son post-punk à l’ancienne donne sa propre réponse à la fin programmée de la création sous toutes ses formes. Preuve que l’on peut faire du vieux avec du neuf et inversement, et que si le talent n’attend pas le nombre des années, cela vaut bien la peine de faire un petit détour par la Hollande un dimanche soir pour rencontrer des mecs qui vivent à Anvers et chantent en allemand.
Sur la Voorstraat, l’une des artères principales de la ville d’Utrecht aux Pays-Bas, le soleil descend doucement sur les canaux de la ville. De l’autre côté du trottoir, des kids descendent des bières en face d’un bâtiment décrépit, l’ACU, une salle de concert qui fut jadis un garage automobile avant de devenir un squat dans les années 70, puis un bar et enfin le principal repère alternatif d’Utrecht. J’écrase ma Lucky Strike avant d’entrer dans le bar anarchiste qui se remplit tranquille. Les mecs de Rehash font leurs balances au sous-sol tandis que mon regard se perd sur les murs où les ‘Fuck the system’ n’ont pas beaucoup changé depuis 50 ans. Un camion se gare devant l’entrée de l’ACU : ce sont les autres groupes de la soirée qui débarquent amplis à la main pour descendre s’échauffer. J’en profite pour m’infiltrer là où Willem, Marteen, Suus et Arthur viennent de terminer leurs balances. ‘C’est pour l’interview ?’ Willem semble m’avoir reconnu sans que nous ne nous soyons jamais vus. J’acquiesce en les suivant derrière la scène dans un long couloir qui mène sur un patio végétal pas des plus désagréables. On se cale dans des escaliers, binches à la main, je sors l’enregistreur.

LES ANNÉES FOLLES
Willem et Marteen n’ont pas 20 piges et pourtant des choses à dire. En 2021, ils profitent du COVID pour monter un groupe, leur groupe, Rehash, et composer des morceaux à quatre comme les Beatles. La comparaison s’arrête là car leur son n’a rien à voir avec celui de Liverpool, on se situe davantage du côté du punk que de la pop, un punk option krautrock et mention spéciale pour le chant en allemand. das Bauhaus, l’un de leurs titres sorti en 2022, interpelle pour des ados. Marteen s’explique : ‘C’est l’un de nos premiers morceaux, à l’époque on ne savait pas encore trop comment écrire ! J’ai toujours été fasciné par le mouvement Bauhaus’. Précision qui a son importance : Marteen étudie l’art à Anvers, ceci pouvant expliquer cela. Willem, le frontman, prend la main : ‘Je pense qu’inconsciemment l’esprit du Bauhaus se traduit dans notre musique. Ces grandes lignes droites, régulières, l’envie de faire quelque chose qui dépasse un peu la musique’. Et c’est vrai que ça colle. Des grandes lignes droites dans la tradition allemande, ils me citent DAF mais pas que. Le punk anglais aussi : des groupes comme Wire ou Gang of Four.
Zoomons sur un autre titre : King of Weimar sorti sur AktionReaktion!, un premier EP à la pochette soignée et sorti sur le label berlinois Mangel. Là encore, pour une génération que l’on dit gavée de purée intellectuelle, cela ne manque pas de sel. Willem ne se défile pas : ‘Je pense que c’est une période de l’Histoire absolument fascinante. Cette grande nation qui est sur le point de s’autodétruire de l’intérieur. J’y puise des émotions intéressantes pour faire de la musique’. Le clip (voir ci-dessous) joue sur le mouvement, la tentation, le clair-obscur, le jour et la nuit. Et Marteen d’ajouter : ‘On peut voir cette période comme un reflet de notre époque. Ce titre sonne aussi comme une forme de sarcasme, être le roi de quelque chose qui n’avait pas de roi, alors même que ce quelque chose n’est plus rien’. Inutile de vous faire un dessin. Parler de génération comme d’un bloc n’a, à l’évidence, aucun sens. On peut aussi bien avoir 20 ans en 2025, faire du post-punk comme un groupe des années 70 et poster des vidéos sur TikTok. Tic tac. Nous voilà bien avancés.

PAS UN GROUPE DE NICHE
À vrai dire, ces mecs semblent se foutre royalement de faire de la musique comme tout le monde. Au Grauzone de La Haye en janvier dernier où ils étaient programmés, nous avions été, une fois n’est pas coutume, frappés par la moyenne d’âge pour le moins composite de leur public. Est-ce que ça vous emmerde les gars ? ‘Nous ne voulons pas devenir un groupe de niche pour les vieux nostalgiques de post-punk’, nous explique Marteen. ‘Notre public n’est pas nécessairement un public de vieux. Quand on joue à Anvers ou en Allemagne, le public a notre âge’. La veille à Anvers justement, où Rehash joue à domicile, Willem m’affirme que le public n’était pas composé uniquement de vieux rockers : ‘Si tu fais de l’art ou tente de faire quelque chose de plus original que l’air du temps, forcément tu vas toucher plusieurs générations à la fois. Ça nous va qu’il y ait des jeunes et des vieux qui se mélangent à nos concerts’. Willem chante en Allemand, un choix qui surprend moins quand on sait que Willem est… Allemand. ‘Je me suis rendu compte que l’Allemand fonctionnait très bien en fait. J’aime vraiment ce moment, quand on compose. Jouer c’est cool, mais de toute façon, la plupart du temps, les gens se foutent de ce qu’on raconte ou ne comprennent même pas ce qu’on chante. Jouer c’est fun, mais c’est plus gratifiant de construire quelque chose en créant quelque chose avec notre musique’.
On pourrait faire le parallèle avec les années 20 ou 30. Voire avec les années 70 ou 80. On pourrait. Mais au risque de pédaler dans la choucroute, nous préférons nous restaurer au bar une heure avant le début des hostilités. À l’étage, c’est distribution de riz aux épices, les portions sont généreuses, l’ambiance d’habitués conviviale et la participation laissée libre à toutes les bourses. L’ACU revendique depuis 40 ans une forme d’auto-gestion destroy et festive. ‘On n’était jamais venu ici’, me glisse Willem. ‘J’ai entendu dire que c’était un squat avant. On ne sait pas ce qui sent comme ça dans le couloir des chiottes, c’est bizarre. Hahaha ! Mais c’est un endroit très cool’.
Les quatre mecs d’Anvers avalent leur repas avant d’entrer en piste. 21h : ils débarquent sur la scène de l’ACU. Ils mettront tout le monde dans leur poche en moins d’une heure. Guitares acérées comme des rasoirs, basse tout voile dehors, les rois de Weimar en mettent plein la vue. Ils n’ont pas froid aux yeux et regardent loin devant.
Photos : Jef Mampaey, Pieter Van Buyten, Alicia Nieto, Koan Declercq, Isa Verdellen
Pas de commentaire