03 Fév 23 Protomartyr, les infiltrés
Peut-on exister dans la scène post-punk quand on a dépassé la vingtaine et qu’on ne vient pas d’un patelin au Royaume-Uni ? Protomartyr et son statut culte pèsent dans la balance du oui. Avec cinq albums au compteur, aucun gros tube et autant de compromis, le groupe suit une trajectoire ascendante, auréolé d’un succès critique et de la reconnaissance d’un public acquis à sa cause. On a pu interviewer le chanteur Joe Casey, définitivement en lice pour le meilleur look quadra rock de l’année avec son combo costume chic – lunettes – casquette. Il a aussi prouvé, une bonne fois pour toutes, qu’on peut être pince-sans-rire tout en ayant une personnalité chaleureuse.
Vous n’avez pas vraiment pu défendre Ultimate Success Today à l’époque de sa sortie. Ça te fout toujours autant la rage, ou tu es juste heureux de pouvoir le faire maintenant, même après tout ce temps ?
Joe Casey : Je suis heureux de le faire maintenant, mais c’est vrai que je suis encore très frustré. La première tournée qu’on a faite aux Etats-Unis a eu lieu entre deux vagues de COVID, dans des petites salles. Du coup, il n’y avait pas grande monde…
Avec toutes ces calamités, tu n’as pas l’impression parfois d’être comme un prêtre dans un monde apocalyptique et voué à la perte ?
Pas un prêtre, mais plutôt un mec louche dans la rue, qui n’a pas de job. Un mec toujours fourré dans les bars et qui, après quelques pintes, donne son avis sur tout. Un mec un peu moins religieux dans l’aspect quoi !
D’ailleurs, le mot ‘nihilisme’ revient souvent lorsqu’on parle de Protomartyr. Tu es d’accord avec ce rapprochement ?
Non, je ne suis pas vraiment d’accord. Je comprends pourquoi le groupe peut donner cette impression vu que notre musique est pesante, et qu’on traite parfois de sujets sensibles. Le nihilisme, c’est penser que rien n’a de sens. Mais au moins, si tu penses ça, c’est que tu es vivant, donc il y a de l’espoir ! Le problème, c’est que quand tu vieillis, tu en as de moins en moins…
Ultimate Success Today sonne différemment des précédents albums de Protomartyr. Est-ce pour souligner et détruire tous les gimmicks qui régissent le post-punk actuel ?
Oui, notre but n’est surtout pas de faire de copie conforme d’album en album. Depuis qu’on a commencé, pas mal de groupes ont émergé avec le même son que nous. C’est vu, revu, et usé jusqu’à la corde, donc on essaie de trouver des choses fun qu’on puisse explorer. C’est pour ça qu’on a fait appel à des musiciens de jazz. Ça aurait pu être un désastre, mais je trouve que ça a été fait avec goût. C’était vraiment enrichissant et excitant d’avoir réussi cela. J’aime aussi le fait que Protomartyr n’ait jamais vraiment eu de gros tube. Quand on me parle, chaque personne a son album préféré, mais jamais on ne me dit que Protomartyr était mieux avant.
Tu as hurlé combien de fois après que le groupe ait été comparé une énième fois à The Fall ?
Au début, je prenais cette comparaison comme un compliment ! Ensuite, je me suis rendu compte qu’on nous accusait de copier délibérément The Fall. En fait, j’étais plus inquiet que ça vienne aux oreilles de Mark E. Smith. Et puis il est mort ! Donc je n’ai plus à m’en soucier. Mais bon, quitte à être comparé à quelque chose, autant l’être à ce qui se fait de mieux.
Ultimate Success Today est un album très collaboratif. C’est quelque chose que tu voudrais continuer à explorer ? Ça a ouvert de nouvelles perspectives pour le groupe ?
Ça nous a surtout convaincu qu’on pouvait ajouter des musiciens au sein de Protomartyr sans que cela change l’âme du groupe. Pour la tournée actuelle, on a ramené Kelley Deal des Breeders en guise de cinquième membre. Ça embellit totalement notre son. Inviter des personnes et voir où ça nous mène, c’est quelque chose qu’on a décidé de faire encore plus à l’avenir.
Du coup, c’est une approche très spontanée. Il parait que tu aimes écrire les choses à la dernière minute. C’est pour rendre l’exercice plus surprenant, voire dangereux ?
Oui, il y a un peu de ça ! Je n’arrive pas à écrire les paroles avant que la musique ne soit composée. Et dans le cas des deux derniers albums, les morceaux n’étaient pas terminés avant qu’on arrive en studio. Je n’ai donc pas eu le choix. Mais j’aime ce cas de figure parce que je deviens incroyablement focus sur les paroles, qui doivent répondre correctement à la musique proposée. Et non l’inverse. C’est vrai que, parfois, je voudrais avoir plus de temps pour m’y pencher, mais c’est toujours un challenge d’écrire des choses qui ont non seulement du sens pour moi, mais aussi pour les autres.
C’est aussi pour combattre l’aspect parfois fastidieux du travail en studio ?
Oh oui ! J’ai toujours imaginé le passage en studio comme un moment où on est tous réunis dans une pièce avec des bougies allumées, pour jouer du rock’n’roll et chanter. Mais en fait, ce sont trois jours de bruits de batterie, puis la basse, et ensuite la guitare. Toi, en tant que chanteur, tu restes assis à ne rien faire, du coup je profite de tout ce temps pour écrire les paroles. C’est toujours mieux de faire ça que de picoler dans ton coin ! En général, le groupe n’a pas besoin de moi avant la deuxième semaine.
As-tu profité des confinements et du chaos généralisé du COVID pour écrire et lire plus que d’habitude ?
J’aurais aimé que ça soit le cas ! Je n’ai strictement rien fait pendant le premier confinement, à part regarder des films. Je n’arrivais pas à lire. Mon cerveau était complètement débranché. Il n’y a que cette année que j’ai recommencé à écrire et à avoir des livres en main. Mais, à part les paroles de Protomartyr, je n’écris pas grand chose. J’ai commencé à rédiger des articles pour le magazine américain Creem, et c’est là que j’ai compris à quel point il est difficile d’être journaliste. Mais, au moins, ça garde mon cerveau éveillé. Il faut que j’arrête de mater la télévision.
Penses-tu qu’en 2022, le monde soit plus ouvert à un groupe qui n’est pas sur Instagram, et dont les membres ne sont plus très jeunes ?
Je vais te répondre que non. Nous n’avons pas Instagram parce que nous ne sommes pas des gens intéressants. A part la musique, nous sommes très chiants. Les jeunes doivent écouter de la musique de jeunes, même si j’espère qu’ils aiment également des groupes comme Protomartyr. J’étais inquiet pour Detroit parce qu’il n’y avait plus énormément de jeunes groupes qui explosaient mais, depuis peu, il y a une réelle résurgence punk. Ça me donne de l’espoir.
Detroit est toujours une des meilleures villes au monde d’un point de vue musical ?
Où que tu vives, c’est très dur d’être un jeune musicien à l’heure actuelle. Peut être plus à Détroit qu’ailleurs car les groupes ont tendance à zapper la ville dans leurs plans de tournée. Ils passent chez nous sans s’arrêter quand ils viennent de Chicago et qu’ils se dirigent vers Toronto. Du coup, les gens de la ville se tournent vers les groupes locaux pour se divertir, et les soutiennent. Je suis vieux maintenant, je ne sors plus comme avant. Plus jeune, j’avais l’habitude d’aller dans les soirées underground pour lesquelles les shows avaient souvent lieu dans des caves et des maisons. Maintenant si je m’y pointe, on risque de me prendre pour un flic. Mais il y a toujours une scène. Je te l’assure : j’ai demandé à des jeunes.
Maintenant que tu as du recul et que tu as eu du temps pour réfléchir, tu considères toujours Ultimate Success Today comme un chapitre final à Protomartyr ?
Je me suis vraiment senti con quand j’ai dit ça et que le COVID est arrivé. J’ai comme l’impression de nous avoir lancé une malédiction. Mais j’ai plutôt dit ça dans un sens de renouveau, pour souligner notre volonté de partir sur de nouvelles bases. Là, on vient de finir d’enregistrer notre nouvel album… J’ai essayé de les lier tous ensemble thématiquement, mais j’ai préféré me libérer de toute contrainte.
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