Premier KÖNTAKT, ça matche ou ça casse

Premier KÖNTAKT, ça matche ou ça casse

Il y a vouloir faire de la musique avec des gens qu’on connait, qu’on apprécie, promettant quelques garanties de voir un projet se concrétiser : une histoire que tout amateur a vécu en se lançant dans une aventure collective. Puis il y en a une autre, plus savonneuse, réservée aux musiciens pouvant déjà compter sur une certaine expérience : se retrouver en studio, sans se connaître, avec pour seul objectif de mettre en boite un album commun dans un temps imparti. C’est ce qu’on fait Pamela Hute (batterie / production), Sylvain Noisel (guitare / clavier), Delphine Barbut (guitare), et Arthur De Cossette (basse) durant une semaine de janvier 2025 en Dordogne, à l’ombre du Studio du Maine Noir. De cette expérience commune, expliquée plus en détails ci-dessous par Pamela Hute, il en est ressorti un documentaire réalisé par Julien Perrin, et donc un premier album que vous pouvez tous les deux découvrir ici en avant-première.

LE FILM
INTERVIEW

Premier Köntakt, c’est donc quatre musiciens qui ne se connaissent pas et qui enregistrent un album en cinq jours. Alors que vous auriez pu en faire une expérience personnelle et intime, vous avez choisi d’en tirer un documentaire. Qu’est-ce qui, selon vous, était important d’être montré au public ?

Pamela Hute : A vrai dire, c’était un peu un hasard. Rien n’a réellement été prémédité. L’idée, dès le départ, était de réaliser un projet éphémère, et d’une façon générale, j’aime bien documenter les expériences singulières. Je pensais à un reportage photo, mais j’ai imaginé qu’il se passerait forcément des choses inattendues avec cette contrainte de temps et de support analogique. Julien Perrin, le réalisateur du documentaire, grand passionné de musique, et que je ne connaissais pas avant cette aventure, a immédiatement accroché au projet par mail puis par téléphone, et tout s’est goupillé en quelques jours. Je n’ai pas vraiment eu le temps de réfléchir et de revenir sur cette idée, en fait. Quand ça roule, j’ai plutôt tendance à suivre le mouvement. On a planifié tout ça en trois jours. Tout le monde était dispo en même temps, Julien était inspiré par l’idée d’en faire un film, RTM – qui nous a fourni les bandes – a adhéré à l’idée que je leur ai présenté et a proposé de nous offrir 50 K7, et voilà. J’ai tendance à penser que toute démarche authentique est digne d’intérêt, et qu’il faut fabriquer des choses, mais peut-être me trompe-je ?

Quels sont les avantages et les inconvénients de s’imposer de telles contraintes de temps selon toi ?

Avoir peu de temps oblige à faire des choix, et la difficulté à trancher est souvent ce qui ralentit l’aboutissement des projets. Aussi, cette fois, comme nous ne nous connaissions pas, cet objectif de composer et enregistrer un disque en cinq jours, essentiellement sur bande, nous a tous occupés. Nous allions tous dans une direction, avec cet objectif en tête. Cela nous a permis de ne pas nous éparpiller, de mettre nos egos de côté. On a finalement très peu discuté d’artistique, d’influences, du son qu’on voulait, on a capté ce qui est arrivé, et on a assumé tout le processus. L’utilisation de la bande a été aussi compliquée : c’est tout un bazar dont on n’avait pas l’habitude, on a mis des bobines à l’envers, le magnéto s’arrêtait sans prévenir… Normalement, tu as un ingé dédié aux magnétos, et on a bien compris pourquoi ! Mais cela faisait partie du jeu. On a tous appris des choses, compris des choses. Le dernier jour a été uniquement dédié à mixer en direct les titres, on n’avait aucun recul sur rien. Je crois que c’est cette immédiateté qui est intéressante. On fait rarement des disques de cette façon aujourd’hui. On a capté un moment, une aventure, sans tricher.

Vous êtes donc ressortis du studio, cinq jours après, avec un album sous le bras. Penses-tu qu’il aurait été radicalement différent s’il avait été enregistré sur un délai plus long ? Le temps imparti vous a-t-il mis la pression ?

Oui, c’est certain. Il y aurait probablement eu moins d’improvisation, on aurait peut-être développé davantage les thèmes, ajouté des voix, fait plus d’overdubs. On aurait eu un peu de recul pour écouter, laisser reposer, revenir sur des choses. Là, on a simplement choisi des séquences improvisées cohérentes, juste après les avoir jouées, et fait quelques montages entre ce qui nous semblait être les meilleures parties. Nous n’avions pas le temps de travailler vraiment les morceaux, et quand nous avons essayé de le faire, cela nuisait vraiment à la performance et on s’épuisait, en perdant un temps fou. Comme nous ne nous connaissions pas, nous n’avions pas de réflexes, d’habitudes de jeu, et reproduire était fastidieux. Ce qui fonctionnait le mieux était de parvenir à capter l’intention initiale.

Sur quels points la collaboration a été la plus facile ? Et a contrario, la plus difficile ?

Il n’y a vraiment eu aucune friction. Je pense que c‘est lié, d’une part au caractère de chacun et à l’expérience que nous avons, mais aussi à la contrainte elle-même. L’objectif et le désir de réussir le challenge étaient plus forts que nos individualités, et chacun a joué le jeu jusqu’au bout. Il y a bien eu quelques moments où nous avons dû discuter, nous accorder, puisque que nous devions à la fois jouer, enregistrer et choisir, mais nous entendions vraiment les mêmes choses et les choix étaient assez évidents. Nous n’avions de toute façon pas le temps de tergiverser. Il n’y avait aucun enjeu personnel, c’était très reposant de ce point de vue. L’improvisation oblige à beaucoup écouter les autres, sinon ça ne fonctionne pas. C’est un exercice dans la live room qui s’est déplacé devant la console, au moment des choix définitifs.

Finalement, vous procédez comme tout groupe en local de répétition, à la différence que vous ne vous connaissez pas. Avez-vous pu mesurer ce manque sur le plan humain pendant ces quelques jours de studio ?

Le studio est une bulle un peu particulière, donc a appris à se connaître assez vite puisqu’on était constamment ensemble pendant ces cinq jours. Encore une fois, je crois que l’enjeu a permis de dépasser ce manque initial, c’était riche et intense, on ne pouvait pas tricher. Et puis cohabiter dans un studio-maison, c’est aussi un apprentissage, on avait tous un peu déjà vécu ça, dans nos groupes précédents. Le lieu est grand, on avait des moments de calme, on pouvait sortir faire un tour dans la forêt quand nos oreilles étaient fatiguées, ce n’était pas très stressant, même si c’était intense. Cela dit, avec l’excitation, on dormait peu, on était crevés ; les 3 autres musiciens ont terminé la semaine avec un grippe carabinée et ont mis 15 jours à s’en remettre ! C’était une expérience forte, qui nous a tous rappelé des choses, qui a remué des envies, réveillé des petits traumas, qui a secoué notre passion pour la musique… Alors on a gardé des liens forts et je pense pour toujours.

Est-ce que les frustrations engendrées par le concept permettent quand même d’assumer pleinement l’album ? Est-ce une explication au fait que vous ne souhaitiez pas le jouer live et poursuivre cette aventure collective ?

On assume complètement le résultat. Et l’idée de s’embarquer dans un projet classique avec des répétitions régulières serait complètement contraire à cette dimension éphémère qui a réuni tout le monde. Il y avait un enjeu d’enregistrement sur la semaine, mais pas d’enjeu à long terme. C’était super cadré. J’aurais bien rejoué live, mais sans doute pour des raisons un peu égoïstes, pour retrouver les sensations de cette semaine avec eux. Mais au fond, je crois que cela dénaturerait complètement l’idée.

Le Studio du Maine Noir est ton propre studio, ce qui fait de ce film une très bonne publicité. Est-ce que tu es souvent sollicitée par des artistes ou labels ? Qui est venu enregistrer chez toi ?

En effet, c’est un studio résidentiel qui est chez moi, dans le Périgord vert. J’y produis et j’enregistre des artistes, au gré des rencontres, selon les affinités. J’essaie notamment de m’inscrire dans une démarche liée au territoire, en produisant des artistes locaux qui sont sensibles au parti pris très analogique du studio. Mais je travaille aussi à distance, bien sûr. Je commence juste à susciter de l’intérêt, et j’ai de beaux enregistrements prévus cet été et à l’automne. C’est long, et ma démarche est un peu singulière puisque je me présente plus comme studio-productrice que comme un studio commercial. Il y a une vraie curation dans les collaborations. J’ai besoin que les artistes comprennent ma démarche, le lieu, et s’y reconnaissent. Je ne pourrais pas enchaîner l’enregistrement de groupes, comme un ingé son ou un producteur plus classique. J’ai besoin qu’une relation se crée, de comprendre le projet de l’artiste, de partager un bon repas et une bonne bouteille au coin du feu, de discuter musique, de rigoler, de mettre des musiciens en relation pour créer de jolies choses et ouvrir des perspectives artistiques. Ce studio est comme un instrument de création, c’est le laboratoire des artistes ; dans cet endroit, il y a mes instruments, et chaque machine, ampli, batterie a une histoire à raconter, a été choisi pour une raison. J’ai aussi envie de transmettre ça dans le travail que j’entreprends. Alors, oui, c’est un peu à contre-courant, et ça prend du temps d’installer cette philosophie. J’entretiens plutôt des relations à long terme avec les artistes que je reçois ici et qui souvent reviennent d’un album à l’autre. L’année dernière, j’ai travaillé sur le second album de Gaz Newton (qui sort dans les bacs en juin prochain sur mon label My Dear Recordings / Kuroneko). C’est un artiste lyonnais – dans la veine Pixies, Grandaddy – avec qui j’avais fait le premier album Loveheroin pendant le confinement. Il y a aussi un très bel album de pop qui va sortir à la rentrée, d’un auteur-compositeur et peintre, Jéremie Francblum, que j’ai mixé et sur lequel je joue de la batterie. Je travaille enfin sur divers projets persos comme mon nouveau groupe Zombie Dog qui vient de sortir son premier EP Skeleton.

Il existe déjà plusieurs séries de rencontres en studio comme celle-ci. Je pense à In The Fishtank notamment qui a vu passer Low, Tortoise, The Ex, Sparklehorse, Sonic Youth… Est-ce que tu serais susceptible de nourrir une telle ambition en organisant ça plus régulièrement ?

J’y pense…

Photos : Pam E. Hute

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