Porridge Radio, en pente douce mais le vent en poupe

Porridge Radio, en pente douce mais le vent en poupe

Sorti début 2020, Every Bad, premier album de Porridge Radio, avait attiré nombre de regards et d’oreilles vers le groupe de Brighton et son rock conjugué au féminin, à la fois mélodique et écorché vif. Navigant – volontairement ou non – sur l’écume laissée par des formations aussi différentes que Hole, Big Thief ou Young Marble Giants, le tout en surfant sur la vague post-punk actuelle, Porridge Radio laissait alors l’auditeur dériver à l’intérieur de la psyché singulière de sa chanteuse-guitariste Dana Margolin pour y découvrir ses élans et ses obsessions. Une croisière en eaux troubles qui se poursuit aujourd’hui avec Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky, aux sonorités généralement plus synthétiques et apaisées, et néanmoins toujours emprunt de ce romantisme exacerbé qui fait la marque de fabrique du groupe. Entre Dana, sa complice Georgie Stoltz aux claviers, et le batteur Sam Yardley, l’émulation des débuts reste donc intacte. Un charme insaisissable qui se ressent autant dans leur musique que dans l’entretien qui suit, effectué à la sauvette avant leur concert au Levitation France. Comme un appel du large avant les grandes marées.

On trouve dans votre deuxième album un plus grand nombre de sonorités douces et feutrées par rapport à votre premier LP, Every Bad. Est-ce que ce résultat est en lien avec un nouvel état d’esprit ? Certaines choses ont elles changé dans vos vies personnelles depuis l’époque de ce premier album ?

Dana Margolin (guitare / voix) : Il est indéniable que je souhaitais devenir quelqu’un de plus patient au moment où j’ai écrit ces nouvelles chansons. Je voulais m’autoriser à être plus douce, et ces deux-là m’ont beaucoup aidée (rires et signe de tête reconnaissant vers Georgie et Sam).
Sam Yardley (batterie) : Every Bad était plus cru et plus dur, c’est vrai…
Georgie Stott (claviers) : C’était fun de se concentrer sur quelque chose d’un peu différent et de voir où on pouvait aller avec ça. Mais rien n’a vraiment été anticipé au départ. Construire cet album, écrire les chansons et les enregistrer, tout cela s’est passé dans le même élan, sans heurts. Personne dans le groupe ne s’est dit que l’on devait absolument créer un nouveau son ou une nouvelle esthétique. C’était un développement tout naturel de ce que l’on faisait auparavant.
Sam : On s’est quand-même rendu compte que l’on maîtrisait mieux les choses avec ce deuxième album. Et on avait plus de latitude pour décider où on devait aller exactement.

La pandémie du COVID est venue couper votre élan au moment de la sortie d’Every Bad. Vous deviez partir pour une grosse tournée à ce moment-là, mais tout a été remis aux calendes grecques. Avec le recul, estimez-vous que cette situation a toutefois été un mal pour un bien, et qu’elle vous a permis de vous ressourcer pour mieux repartir de l’avant ensuite ?

Dana : Cette pandémie a avant tout frappé la planète toute entière. On ne pensait pas aux conséquences pour le groupe, on a juste du s’adapter. Mais je me souviens avoir été soulagée de pouvoir respirer un peu. J’étais fatiguée…
Georgie : Ça a définitivement été un mal pour un bien en ce qui me concerne. Ça me dépassait un peu de partir en tournée pour si longtemps. (rires)
Dana : T’étais tellement à bout que tu pensais même que c’était de ta faute, tout ça, je m’en rappelle ! (rires) On peut l’avouer maintenant, Georgie est derrière tout ce qui s’est passé ! Elle avait tout prévu depuis le début ! (rires)
Georgie : Non, non, pas du tout ! (rires) C’est juste que j’étais dans un état un peu cinglé quand cette situation nous est tous tombée dessus, c’est vrai… Donc c’était bien de faire une pause. D’un autre côté, notre planning est devenu très chargé par la suite, quand cette période très particulière s’est terminée.
Dana : Quand on est revenus l’année dernière, ça a été vraiment dur. On a commencé par faire plus de cent concerts, puis on a sorti le second album, ce qui implique de faire à nouveau de la promo et d’autres concerts encore ! On était sur la route en permanence, et presque jamais à la maison. Mais si la première grande tournée s’était passée il y a deux, trois ans, au moment où elle aurait dû logiquement démarrer, ça aurait été dur aussi. C’est juste que les difficultés auraient été différentes.

Dana, que ce soit dans Every Bad ou Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky, tu utilises beaucoup la répétition au sein de ton songwriting. Certaines phrases deviennent des mantras au pouvoir cathartique. As-tu déjà réfléchi à l’origine de ce goût que tu as pour la répétition ?

Dana : (réfléchit quelques secondes) Les comptines pour enfants. Ça vient de là, je pense… On trouve ça dans le chant choral, aussi.
Sam : Je t’ai déjà entendue parler de chants religieux quand on aborde ce sujet avec toi…
Dana : Oui. Je trouve que c’est quelque chose de très ancré et de très simple. Tu prends une phrase qui a au départ un sens unique, mais d’autres peuvent se développer ensuite, au fur et à mesure des répétitions. J’ai grandi en fredonnant beaucoup d’airs juifs ou judaïques, et on y trouve également pas mal de litanies. Cela vient peut-être de là aussi…
Georgie : Quand je t’entends chanter ces phrases répétitives, juste en tant qu’auditrice, cela me rappelle quand je ressens une émotion très forte, et que c’est la seule chose que je suis capable de ressentir à ce moment-là. Pour moi, c’est cathartique de t’entendre répéter ces phrases, parce que c’est la même sorte d’émotion qui jaillit à travers toi lorsque tu chantes ces phrases qui tournent en boucle.

Cela me rappelle tes paroles dans le titre Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky : ‘I don’t want the end, but I don’t want the beginning ‘. Je ne peux pas m’empêcher de penser que cette phrase a un rapport profond avec toute cette histoire de répétition et de cycles sans début ni fin. Ce lien t’a déjà traversé l’esprit ?

Dana : C’est chouette comme idée… Mais non, ça ne m’a jamais traversé l’esprit (rire général). Mais t’as raison, il y a un lien… C’est très poétique. C’est comme si j’avais fait exprès d’écrire cette phrase pour cette raison. Mais non. Ceci dit, je garde l’idée sous le coude ! (rires)

Fais toi plaisir… Tu es aussi une artiste visuelle. Est-ce que tu vois des équivalents à cette pulsion de répétition au sein de cette autre activité artistique ?

Dana : Quand tu dessines, tu dois beaucoup t’entraîner. Tu dois faire des croquis et recommencer au début en permanence, ou alors faire des séries de peintures sur un sujet bien spécifique. Tout comme les arts visuels, la répétition est un moyen fort utile de cerner ton sujet, et de ne plus lâcher. Le lien est là pour moi.

Dans You Can Be Happy If You Want, tu chantes : ‘My head is stuck to your head so everything that I think belongs to you’. Si la télépathie existait, penses-tu que le monde serait un endroit plus heureux ? Ou alors au contraire, est-ce que ce serait un endroit plus dangereux et complexe encore ?

Dana : Je pense que la télépathie, ça existe vraiment et je ne crois pas que le monde soit meilleur ou pire parce que l’on est capable de lire dans les esprits des autres, et d’ainsi comprendre leurs motivations.
Georgie : On ne peut jamais faire confiance à ses propres pensées de toute manière. C’est la façon dont les gens projettent leur intériorité sur le monde qui rend cette projection tangible, si tu vois ce que je veux dire… Désolé, je ne sais pas si c’est clair, ça me fait des nœuds au cerveau toute cette histoire de télépathie ! (rires)
Dana : Non mais je vois ce que tu veux dire, Georgie ! En dépit de ce que l’on sait à propos de l’autre et de ce qu’il a en tête, nos propres pensées à ce sujet sont toujours défaillantes. On a tous des défauts, et on passe tous par des malentendus lors de nos relations interpersonnelles. Même si j’étais capable de lire ton esprit maintenant (Dana se tourne vers l’intervieweur et le regarde fixement dans les yeux) – que je sois oui ou non réellement capable de le faire – ma compréhension de tes pensées serait aussi la projection des miennes. Et peu importe ce que tu me dis, je te comprendrai toujours au travers de mon propre prisme.

Et si je fais pareil de mon côté, on sera obligé de trouver un compromis. Si tu projettes un truc et que je projette un autre truc à mon tour…

Dana : …On finira par projeter nos pensées l’un sur l’autre pour l’éternité ! Mais pas de soucis ! (rire général)

Sauf qu’il va bien falloir que cette interview se termine à un moment. En parlant de ‘projections’, tiens… Penses-tu que les étiquettes que l’on utilise pour décrire les ‘groupes de rock’ actuels deviennent de plus en plus maladroites ? ‘Post-punk’, ‘indie-rock’, tout ça… Porridge Radio a un son très particulier, à part. Si tu devais inventer une étiquette pour présenter le groupe ces jours-ci, ce serait quoi ?

Sam : Je me rappelle d’une fois où on avait parlé de ça, et je ne sais plus pourquoi, on s’était arrêté sur le terme ‘Blood Grunge’.
Georgie (enthousiaste) : C’était cool, ça ! Blood grunge…
Dana (beaucoup moins enthousiaste) : Tous ces termes sont redondants au final. Et ils l’ont toujours été ! Ils sont utiles pour se retrouver sur une scène en particulier, comme celle de ce post-punk britannique dont tout le monde parle en ce moment, par exemple. On est effectivement amis avec beaucoup de musiciens issus de cette scène-là, qui sont des gens géniaux. Mais tous ces mots, ils ne décrivent jamais la musique elle-même. Je n’ai jamais compris la façon dont les journalistes musicaux écrivent sur la musique en général. C’est toujours un peu redondant. Ne le prends pas pour toi, je suis certain que tu écris très bien, et que tu dois être l’exception à la règle !
Sam : Il y a toujours eu des scènes musicales, mais tout ne tourne pas forcément autour de celles-ci. Et ces ‘scènes’ sont souvent créées à posteriori, de manière rétrospective. Donc il ne faut pas accorder beaucoup d’importance à tout ça…

J’ai lu que pendant l’enregistrement de ce dernier album, vous avez écrit une longue liste de groupes et de musiciens qui vous avaient influencés. Et c’est une liste très variée, qui va de Deftones à Charli XCX, en passant par Coldplay. On y trouverait vingt ou trente noms. Je me demandais une chose… Si vous deviez ne garder de cette liste que trois ou quatre références, ce serait lesquelles ?

Dana : Je crois qu’il y a une bonne raison au fait que cette liste soit très longue. Elle est effectivement constituée de tous les noms que nous avons prononcé à un moment ou un autre dans le studio. Elle nous a été utile quand on parlait du type de production que l’on souhaitait avoir pour nos chansons… C’était un bout de papier totalement chaotique. Au départ, j’y avais juste noté tout ce que l’on devait faire pendant l’enregistrement, le tout divisé au sein de petites sections à la con. C’était déjà le bordel, mais j’ai ensuite ajouté au verso de ce papier toutes les références qui sortaient quand on discutait de l’enregistrement. Ça servait un peu de pense-bête. Je suis retombée sur cette feuille il y a pas longtemps… Ça m’a émue.
Georgie : Oh, c’est mignon ! Tu l’as mise dans un cadre ?
Dana : Je ne peux pas. C’est écrit dessus recto-verso ! Il faudrait du verre transparent des deux côtés. Ça ferait un mobile. J’adore les mobiles…

Photos : Titouan Massé, qui est sur Instagram

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